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01 juillet 2014

Les leçons de Kilbi 2014

Illustration: Guillaume Denervaud
Le Kilbi constitue un moment clef de chaque année pour Think Tank. L’édition 2014 du Kilbi s’annonçait presque modeste, avec une programmation qui nous a assurément moins excité que lors d’autres éditions. Pourtant, les qualités du festival restent fortes : surprise, ambiance détendue, chill au bord du lac… le Kilbi finirait presque par devenir une habitude pour nous avec ce que cela sous-entend de répétitif mais aussi de plaisir confiant. Retour sur les leçons à tirer de cette édition 2014 entre découvertes et déceptions avec autant de points de chaque côté et des enchainements bien sentis. 



Habitude de surprendre
Le fait d’arriver sans être convaincu par avance par des noms de la programmation n’est pas synonyme de crainte à Kilbi où on fait confiance au festival pour nous surprendre là où l’on s’attend le moins. Par exemple, malgré son image récente et trompeuse de festival de branchés, le Kilbi reste un festival bien ancré dans sa campagne fribourgeoise, c’est-à-dire rock blouson cuir. Et même si ce genre n’est pas forcément mon préféré, il reste qu’on y rencontre encore de très bons artisans traditionnels avec par exemple cette année les américains de Wooden Ships avec une recette simple mais toujours efficace: de gros riff, un peu de psyché, bam, emballé c'est pesé. En poussant encore plus loin le curser du psyché, on trouve R. Stevie Moore. Grosse découverte pour moi que ce franc-tireur ayant sorti plus de soixante albums, influence avouée d’Ariel Pink (à l’évidence) et de MGMT. Dans un concert brut, sa vieille barbe n’est resté que peu de temps assise reprenant son souffle entre comptine punk et balade, le tout d’une naïveté pop proprement génial. Du Robert Wyatt en plus foufou. Niveau tête d’affiche, le concert qui m’a finalement le plus convaincu et ce fut là aussi une surprise, fut celui de Jagwar Ma. Bob sur la tête, pop sous acide, les Australiens semblent sortir droit du Manchester des années 90. C’est très référencé mais aussi très bien rendu avec un live efficace entre guitare, basse et table électro. Peu importe l’originalité, du moins le temps d’un live où les Happy Mondays et Primal Scream semblent être tombés dans la fontaine de jouvence. Deux derniers picks aux origines fortement éloignées, tout deux programmés samedi. Côté latino pour soirée du samedi ensoleillée, je demande les Meridian Brothers de Colombie: moustache, grands sourires, psychédélisme calypso. Côté teuton fin de festival dans la nuit, je demande Diamon Version: frères allemands, techno, "you lie/we die", basses brutes et violentes.


L’attente, mère de déception 
Peut-être que le revers de cette anticipation de la surprise consiste à être déçu par tout ce qui avait provoqué en nous une attente. Ainsi, on finit peut-être à ressembler à de vieux cons, arrivant au Kilbi en habitués, cherchant seulement à combler notre routine. Néanmoins, il faut aussi reconnaître que des artistes peuvent décevoir ou perdre ce qui faisait qu'on les aimait. Ainsi, j'attendais de Forest Swords, dont le dernier album est sorti chez Tri Angle, la musique sombre et tribale de ces disques. Pour l'adaptation live, Forest Swords bascule du côté euro-dance de la force avec une musique beaucoup trop lissée et des voix qui se veulent club mais font publicité. Dans la déception, il existe plusieurs registres. Il y a celle née de l'aura d'un groupe. Ainsi, Neutral Milk Hotel arrivait avec l'image du groupe-qui-a-influencé-arcadefire-et-qu'on-pensait-jamais-pouvoir-voir-en-live et n'a donné à voir qu'un vieil adolescent à barbe fâché qu'on l'ait sorti de sa chambre et un concert possédant tous les défauts du style "arcadefire", des musiciens multi-instrumentistes mais sans puissance et trop de chansons molles pour peu de grands tubes folk épiques. Un autre type de déception peut provenir d'élément extérieur. Ainsi difficile de rendre entièrement responsable les Black Lips d'un concert qui n'a jamais décollé malgré de grands (vieux) titres comme "Dirty Hands" et "Hippie, Hippie, Hoorah", étant donné l'horaire qui leur a été attribué.  Un concert des Balck Lips sur la grande scène à 20h30, c'est presque impossible. Un autre type de déception est celle qui vient confirmer la méfiance préjugée. Par exemple, de Wild Beast, je n'attendais pas grand chose. Ce fut pire. Une ou deux bonnes chansons pour un concert fastidieux de vieux garçons faisant des trémolos un verre de rouge à la main tout en pointant constamment vers le vague. Une dernière sorte de déception constitue un reproche moindre car étant causée par une attente trop forte. Ainsi, j'attendais impatiemment le concert de Nisenmondai suite à l'euphorie de différentes personnes avisées et surtout après avoir raté leur concert lors de l'édition 2011 pour cause de dégustation de fly falafel. C'est de cette trop forte attente que nait une légère déception face à un concert de qualité mais sans véritable séduction où les trois japonaises créent un set électro carré et puissant avec une ligne d'instrument rock.


Oriente mon son 
Pour finir, revenons sur un motif récurrent de cette édition: la présence d'un son orientalisant avec par exemple Goat ou Praed. Là aussi, la formule déception VS bonheur se retrouve. Avec dans le camp de la déception, Acid Arab. Cette formation revient fréquemment actuellement que ce soit dans la presse ou dans les programmations de festival. Malgré un public plein de désir de danser sur de la musique orientale, il faut relever le niveau extrêmement faible du duo de DJ, mixant mal les chansons, saupoudrant leur sample d'une électro frenchy dans l'acceptation facile et pénible du terme, sur une sélection de titres limitée: presque uniquement du Omar Souleyman, des ajouts de musique non arabe au milieu, aucune découverte. Pour entendre une telle musique de qualité, il fallait plutôt se rendre auprès de Bombino. Le Touareg délivre son concert de guitares avec une monotonie toujours belle. On pourra lui reprocher une guitare un peu trop sage lors de ce concert, mais cette dernière est au combien compensée par une voix poignante et narrative malgré la distance de la langue.

A l'année prochaine