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22 mai 2014

Dieu, le retour

Illustration: Charlotte Stuby
La sortie d’un film sur Noé pointerait-elle le retour en force du religieux dans le cinéma mainstream américain ? En effet, dans de nombreux films et séries actuels, se fait sentir un fort vent de conservatisme. Reste à savoir s’il s’agit bien d’un tournant.

Cette présence d’un discours chrétien dans le cinéma américain n’est évidemment pas nouvelle, le religieux ayant toujours une place importante pour de larges secteurs de la société américaine et se retrouvant dans de nombreuses productions culturelles grand public. J’ai néanmoins le sentiment qu’on assiste à un retour en force, un retour au premier plan de cette dimension chrétienne dont l’aspect le plus visible, mais pas forcément le plus représentatif, j’y reviendrai, réside dans la sortie du film Noé. Pendant les années les plus fortes de la crise, le cinéma mainstream présentait de très nombreux films pessimistes sur l’humanité, où le salut ne pouvait venir qu’en dehors d’elle : l’amour véritable devait se chercher les vampires, les modèles chez les super-héro ou des espèces extra-terrestres comme dans Avatar ou District 9.


Or, aujourd’hui que la crise serait prétendument derrière nous, un discours conservateur et religieux se fait beaucoup plus présent. Cela ne signifie évidemment pas que le mainstream précédent était révolutionnaire (rappelons de plus que l’année de sortie d’Avatar, l’Oscar a été donné à Démineurs, un film glorifiant les soldats américains devant déminer des bombes en Irak). Ce à quoi on assiste aujourd’hui, c’est plutôt à une réarticulation du discours dominant vers un conservatisme beaucoup plus assumé où les valeurs et les figures chrétiennes jouent un rôle prépondérant, ce que j’entends montrer à travers différents exemples de productions à succès récentes. Ce processus se lit dans le mainstream mais n’implique pas pour autant que ce conservatisme s’impose directement dans la population, preuve en est de l’actuelle recrudescence des mobilisations aux Etats-Unis, notamment autour du salaire minimum. 


Un premier exemple de ce conservatisme chrétien pourrait être donné par la mise en avant du couple hétérosexuel reproducteur comme seule possibilité de réussir sa vie. La série comique de moins en moins drôle, au succès large et prétendument "générationnelle", How I Met Your Mother, délivre ces valeurs jusqu’à la nausée. Dans cette série, l’impossibilité de faire des enfants signifie l’inutilité de la vie tandis que l’ensemble des protagonistes ne cherchent qu’une chose : trouver l’être qui leur destiné, qui leur permettra de faire des enfants, injonction qui doit prendre le pas sur tout le reste de leur vie. Même le dragueur invétéré ne trouvera son salut et le vrai bonheur que dans l’amour de sa progéniture. Une autre série sensation, le thriller True Detective, démarrait sur une noirceur face à un personnage envisageant l’humanité comme dépourvue de tout libre arbitre dans une vision cyclique du temps, vision se reproduisant dans la narration de la série où chaque épisode constitue un recommencement. Mais en toute fin du dernier épisode, Nietzsche se transformait soudain en figure christique, la temporalité se définissant alors comme une lutte entre le bien et le mal. Ici domine la figure du sacrifice individuel, où le salut ne saurait venir de l’entraide, de la solidarité, mais uniquement du choix de la pénitence et de suivre aveuglément les principes moraux. Une telle figure résonne fortement avec la situation d’enlisement de la crise et assène ce discours conservateur : "les choses ne semblent ne pas aller mieux, pourtant tu dois continuer à croire que le paradis se rapproche. Pour que celui-ci advienne, il ne saurait être question de se rebeller, de se rassembler. Chacun doit suivre sa voie d’ascète et accepter le sacrifice de sa propre vie et de son bonheur." 


Matthew McConaughey, jusque-là plutôt habitué aux films à l’eau de rose wasp, acteur principal de True Detective, a été oscarisé (en profitant d’ailleurs pour remercier avant tout et longuement Dieu), pour son rôle dans le film Dallas Buyers Club. Malgré un scénario qui évoque le SIDA et le changement d’un cowboy texan réac en militant de la cause gay après être devenu séropositif, le film transpire le conservatisme. Quelques escrocs existent mais rien n’est à reprocher au système et à la société américaine. Le salut vient à nouveau du sacrifice, de la rentabilité économique saupoudré de ce qu’il faut de générosité. Même la valorisation de l’homosexualité ne permet pas d’échapper à ce constat : le gay y finit par être représenté simplement comme un homme qui aimerait être une femme, conçue ici de façon fortement sexiste, à savoir faire le café, bien s’habiller et être inconsciente. On pourrait multiplier les exemples: le nouveau GODzilla insiste lui sur la toute puissance, implacable et juste, du Dieu-monstre, face auquel les hommes n'ont qu'un choix, le sacrifice. Ce dernier est de plus représenté à l'aide d'images religieuses (les anges descendant du ciel).


En ce sens, Noé constitue finalement l’exemple le moins représentatif de ce type de discours. Evidemment du fait de son récit, il évoque la bible, Dieu et est habité par la certitude que la vie humaine se doit d’obéir aux ordres divins et accepter le sacrifice. En dehors de Noé, sont présentés en repoussoir les hommes qui pensent que l’humanité peut choisir, que lorsque qu’elle se rassemble, elle peut tout accomplir et s’opposer à Dieu. On se retrouve donc face au même discours conservateur. Mais Aranowsky parvient tout de même à dépasser ce simple récit pour s’amuser du potentiel cinématographique de la Bible, les scènes montrant l’arrivée des animaux ou la création du monde étant très réussies. C’est bien la force du mythe qui intéresse avant tout le réalisateur, détournant le récit biblique vers une science-fiction peuplée d’êtres fantastiques dans une terre apocalyptique, ravagée par la soif de pouvoir d’une humanité détestable envers laquelle Noé est convaincu qu’elle mérite de disparaître. 


Aucune des différentes productions qui ont été mentionnées jusqu’à présent n’évoquent la situation concrète actuelle, aucune ne parle de la crise, toutes se réfugient dans des récits de soumission, jetant l’opprobre sur toute forme de lutte collective. S’il fallait trouver un film à succès faisant de la crise économique son propos, il faudrait ce tourner vers Le Loup de Wall Street de Scorcese. Ce dernier montre les excès d’un système où tout est guidé par une recherche de l’argent au mépris de la population et ne se refusant aucune arnaque. Pourtant, on peut se demander si la portée critique de ce film ne connaît pas les mêmes limites qu’Apocalypse Now. A l’instar de ce dernier pour le Vietnam, le Loup de Wall Street n'aurait-il pas surtout pour but d’exorciser le traumatisme de la crise, de l’incorporer au récit national grâce à un récit finalement plus fictionnel qu’il ne laisse paraître, surpeuplé de codes culturels contemporains jouissifs (notamment la musique).