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04 mars 2013

A l’arrière: produits dans l’ombre

Illustration: Julien Fischer
Portés disparus de la musique à instrument, ayant pris la première place dans l’électronique, et si le hip hop était la dernière musique où les producteurs peuvent trouver leur place ? Bien posés à l’arrière, tapis dans l’ombre. Presque inaperçu, totalement indispensables. 

Fatima Al Qadiri consacrait son top de l’année 2012 uniquement à des producteurs de track hip hop pour casser l’anonymat dans lequel presque tous, à part les quelques stars, sont confinés. La relation rappeur/producteur peut être comparée avec celle qui existe entre un acteur et un réalisateur au cinéma. D’abord, l’attention est subjuguée par la performance de l’acteur, il occupe toute la scène. Mais ensuite, on se rend compte que sa prestation n’est possible que grâce à la cohérence que lui donne la trame et le montage de la réalisation. Ainsi, pour reprendre un exemple cité dans le top de Fatima Al Qadiri, à la première écoute de "My type of party", on est happé par le flow de Dom Kennedy, hyper régulier et lancinant. Mais il suffit de prendre un léger recul pour se rendre compte que si cette chanson nous plait autant, c’est surtout grâce à la production de Dj Dahi, qui parasite ce tube bitch’n booze avec des sonorités sensuellement embrumées et une rythmique tendue. De même, le côté explosif et tournoyant de "Kingpinning" doit bien sûr beaucoup à la performance de Mikky Blanco mais repose sur la production de DJ Brenmar, issu de la nouvelle scène électro américaine. 


Cette présence de production inventive voire expérimentale sur des titres hip hop n’est pas nouvelle. On pense notamment à la reconnaissance que connaît Clams Casino, qui de Lil B et Soulja Boy, est devenu l’indispensable featuring de toute mixtape qui se respecte et voit ses versions instrumentales recevoir l’honneur d’une sortie à part entière. Ce regain d’attention actuel, sûrement la conséquence de l’intérêt grandissant que porte un public venu des scènes électros ou alternatives à la musique hip hop mainstream ou non, a le grand mérite de mettre en lumière le travail d’anciens groupes. Ainsi, le label No Hats No Hood a sorti une compilation des instrus du collectif Ruff Sqwad : WHITE LABEL CLASSICS. Avant de faire un titre moyen sur un joueur de foot incroyable, la Dream Team de Russ Sqwad produisait parmi les meilleurs titres des débuts d’un genre aujourd’hui en tête des références : le Grime. Enchainer la vingtaine de titres en mode instru relève évidemment du sacerdoce. Néanmoins, il vaut la peine d’écouter attentivement ces tracks nues, dépourvues d’artifice, laissant voir les contours de leur construction. On retrouve ainsi des beats acérés, des rythmiques instables et tendues propre au style. Néanmoins, ces atours très tough abritent des envolées lyriques, qui en mode instru finissent par prendre la première place, incarnant des chansons psyché, en mode bien chill avec "Lethal Injection", "Function on the low" ou encore "No Bass". On retrouve aussi sur cette compilation la preuve de la qualité des producteurs hip hop capables de mettre en place des très bons titres dance, 2-step, alors même que leur travail ne doit servir que comme arrière-fond musical, avec les bombes "Together" et "Good old days"



Aujourd’hui, difficile d’échapper à la vague Ryan Hemsworth et ses productions porno R’n’B’, parfois écoeurante. A ce dernier, on préfèrera la posture de Clams Casino et DJ Dahi, beaucoup plus proche de notre idéal du producteur. Tapis dans l’ombre, il hante les tubes avec ses sonorités fantomatiques et ses samples autant nerveux que bizarres. Parasitant des titres efficaces, il parvient ainsi à distiller son sérum anti banalités. Pas des producteurs stars à la recette efficace. Des producteurs à l’arrière, artisans d’une musique aussi tubesque dans l’émotion ressentie que fine dans la construction.