Photos: Vincent Tille |
TT comme tout-terrain, trending topic, temps terrestre ou Tunisie Télécom: TT aussi pour sigle/ étendard de ce blog interdisciplinaire au nom générique qu'est Think Tank, suisse romand, proche des activités culturelles riches et transversales nationales et d'un peu plus loin. Le monde contemporain tend à réduire la dissociation entre les disciplines, mainstream et underground, avant-garde et pure luxuriance; comme l'an passé, nous témoignons du temps écoulé avec un recensement des meilleurs moments culturels, entre raves, Allemands au poing levé, ultimes groupes rock, actes politiques et enchères records.
Pierre Raboud, rubrique musicale de Think Tank
1)
R&B
Si différents styles musicaux ont vu naitre de grands albums cette année
(avec Kendrick Lamar et Andy Stott en têtes de liste), celui qui aura
connu une réussite insolente fut bien le R&B. A un tel point que
même Usher a réussi à faire une bonne chanson. Surtout, au-delà des
tubes de Cassie ou Future, de très bons albums ont été produits : du très
médiatique Frank Ocean à l’hanté Cooly G, en passant par le bizarre
Triad God et la mixtape sexy au possible de Jeremih. Mais la palme
revient à KALEIDOSCOPE DREAM de Miguel : inventif, lascif, surprenant,
la crème de la crème.
2)
Un weekend de rave
C’était au mois de juin, en pleine canicule, les marcels sortis jusqu’au bout de la nuit. Les planètes devaient avoir un sacré alignement pour permettre un weekend aussi parfait. Vendredi : après une marche campagnarde au clair de lune, traversée d’apparitions de cheval flashé au bord d’une grange et ces basses qui semblent venir de tous les replis du paysage. Une fois la clairière atteinte et les cocktails 1/10 de club maté – 9/10 de vodka avalés, toutes les hanches se sont trémoussées au delà d’une aurore inoubliable. Samedi : le problème de la veille fut l’oubli rapide de la musique écoutée et du doute quant à sa qualité, le concert d’Ital au Bourg vint alors combler ce week-end avec un corps en transe et la meilleure musique live que j’ai entendue en 2012.
3) Tiker, taylor, soldier, spy
A une époque où on pense que du kitsch mal cadré mérite trois films de
trois heures, Tomas Alfredson pose un nouveau magnifique manifeste avec "Tinker, Taylor, Soldier, Spy", un film d’espion à l’ancienne
transfiguré par un style d’une maitrise époustouflante et des scènes
belles à en mourir.
4)
A l’arrache en Roumanie
Tout à l’Est, enfin un pays où le n’importe quoi continue d’exister. Pas
de musée ripoliné ou de boutique aseptisée. A l’exception du chiqué
touristique de la Transylvanie, Budapest et Constanta font figure de
dernières villes européennes où les codes culturels du divertissement
culturel européen n’ont pas encore été imposés. Du gigantesque palais du
parlement où on a fait le choix de laisser des fausses peintures du
Vatican collées lors du tournage de "Amen" parce que cela fait joli au
magnifique casino abandonné au bord la mer noire et peuplé de pigeons,
tout est à l’arrache et cela fait plaisir.
5)
De rouille et d’os
Jacques
Audiard réussit déjà l’exploit de faire très bien jouer Marion Cotillard
(en même temps elle ne meurt pas dans le film) et réalise, dans un
registre plus grand public, un film corporel, parfois sublime, avec la
révélation Mathias Schoenerts, et un scène superbe de show avec orque et "Firework" de Katy Perry à la bande son. Sisi.
6)
Grimes
Dans mon Good Times de 2011 était présent le clip d’une alors peu connue Grimes. En 2012, sa coolitude s’est au contraire imposée parfois jusqu’à l’écoeurement. Il n’empêche que son album, VISIONS, souvent rejeté pour le simple fait qu’il soit hipster, reste une réussite indé-pop avec de grands titres, même si leur version live vue à Berlin n’était pas totalement convaincante. Et le clip de "Oblivion" représente une des rares réussites du genre cette année : empowerment du féminin et du cool dans un monde masculin et mainstream.
7) Théorie de l’information
Malheureusement, j’ai eu peu le temps de lire des romans cette année. Celui-ci, d’Aurélien Bellanger, m’a beaucoup plus par son insertion dans le réel contemporain (le monde comme masse d’information) et sa capacité à mélanger théories scientifiques et escapades narratives.
8)
Kilbi
Peut-être que le cru 2012 n’aura pas été l’édition la plus mémorable. Néanmoins, un Kilbi, même en petite forme, reste un des moments forts musicaux de l’année, avec la présence de groupes qui ont marqué mon année et qui y donnèrent de très bons concerts : Elektro Guzzi, La Gale et Nguzunguzu.
9)
Final Fantasy III et IV sur iPhone
Le temps investi par année à trainer ses gros doigts sur ce petit écran peut faire froid dans le dos. Néanmoins, des grands moments ludiques se produisent grâce à lui. Au niveau de la densité narrative et des combats épiques, je n’ai pas vu mieux que la réédition des Final Fantasy III et IV. Nostalgie et émerveillement au programme
Ce n’est pas que j’aime la chanson ou le clip, mais pour moi cette vidéo contient de nombreux éléments centraux de 2012. D’abord, une esthétique Instagram dégoulinante de rétro glamourisé. Ensuite, Lana Del Rey, véritable incarnation de la duckface, est le produit musical qui a suscité le plus de débat. Croisades anti-hipster teintée de misogynie : tout ça pour un album très moyen. Enfin, la preuve que certaines choses ne sont toujours possibles qu’aux Etats-Unis : la présence dans ce clip mièvre d’Asap Rocky. L’un des meilleurs rappeurs actuels, qui a mis tout le monde à l’amende avec sa mixtape de 2011 et s’apprête à en remettre une couche et régner sur 2013 avec son premier album studio. Sa présence ici en président des Etats-Unis, mari idéal et Kennedy assassiné est des plus jouissives.
Colin Pahlisch, correspondant artistique et littéraire de Think Tank
1) La découverte, personnelle c’est vrai mais n’est-ce pas un peu tout le temps le cas dans ce genre de hiérarchie intime du "classement" d’un roman violent, fusant, perçant, traçant, La Horde du Contrevent, de Damasio, bien sûr, preuve s’il en fallait que la SF n’est pas morte, bien au contraire.
2) À la deuxième place mais tout près, on trouve une idée, un espoir plutôt, celui d’une sorte de renouveau libertaire du bricolage dans la création contemporaine en art. Citer une exposition en particulier serait difficile, compte tenu du nombre. On esquissera donc juste une tendance, une amorce, celle que, les sacro-saints "courants" se trouvant à l’agonie, la nouvelle génération d’artistes fait feu de tout bois, de tout matériau, de toute idée, et c’est tant mieux.
3) Année de la fin du monde oblige, on remarquera plusieurs tentatives de compréhension esthétique de ce phénomène de la "fin", parmi lesquelles, un film, Take Shelter, marque par sa justesse, son enfermement psychologique et sa fin haletante.
4) Film, encore, et fin toujours de la trilogie Nolan avec le Dark Knight Rises, récompensant les attentes des aficionados et autres convertis. Sombre, complet, confinant aux grandes idées du cinéma (et sans la 3D) à l’instar de la voix du grand méchant Bane : définitivement le divertissement grand public de l’année.
5) Plus petit, plus humble aussi, le coup de cœur du chroniqueur, la sortie de "Winter Journal" le dernier volume de Paul Auster. Revenant sur sa vie passée pour entrer sereinement dans son "hiver " personnel, l’écrivain New Yorkais trace à la veille de ses 65 ans, fidèle à lui-même, son petit bout de chemin intime, avec l’élégance qui confine aux grandes œuvres. Puisse-t-on, Paul, avoir à ce moment-là ta sagesse.
6) Plus frappant, peut-être, frappé, aussi, le retour dans de nombreux livres, d’un personnage philosophique phare, Marx. Qu’on pense à la chronique que lui a consacré le Magazine Littéraire ou à l’ouvrage plus récent « Marx, prénom : Karl», l’Allemand errant le poing levé n’a pas fini de nous surprendre. Un prémisse pour 2013 ?
7) Une exposition aussi, si ce n’est dans son entier en tout cas dans son particulier, puisque la rétrospective qui s’est déroulée à Berne de l’œuvre de Sean Scully a mérité de figurer dans ce palmarès. Deux tableaux, surtout, retiennent l’attention du spectateur, mais c’est assez, deux, ça prouve la force de l’œuvre en soi, et suffit à convaincre l’intéressé d’y jeter un coup d’œil. Lumineux.
8) Un film, encore, science-fictif toujours, "Looper", s’est révélé une surprise de taille durant cette année 2012. Juste et prenant, glauque et haletant, "Looper "touche au centre de ce qui fait l’intérêt de la SF : penser le monde à venir à partir de soi, et peut-être, changer le cours du présent. Scénario brillant, plans prégnants, rien à redire.
9) On finit par deux décès marquants durant cette année, le premier de Ray Bradbury, auteur de "Farenheit 451", ce livre dans lequel on brûle les livres. Disparition qu’on fera le choix de considérer sous l’angle de l’espoir, celui que la peur du romancier ne se réalise pas (naissance d’un totalitarisme par la destruction du savoir), et qu’il ne tient qu’à nous d’entraver ce futur.
10) Deuxième disparition et non des moindre pour conclure ce Top, celui du peintre Antoni Tapiès, chantre de la poétique par le vide et grand artepoveriste, parti comme il était venu et comme il a créé, sur un nuage mêlé de branches et de tissus.
1) "Holy Motors" de Leos Carax
Ingénieux, étonnant et capricieux, Carax livre enfin son film monstre, qui parle du cinéma, de la vie, et… du cinéma. Le top du top est français… Une bien belle revanche de la part de Monsieur Merde sur 20 années de (quasi) stérilité gauloise.
2) "Tabu" de Miguel Gomes
On a pris de l’avance (le film sort officiellement en 2013 chez nous), mais étant donné qu’il fut déjà projeté une fois en Suisse (Cinémathèque) et qu’on pourra le revoir en avant-première au festival du Black Movie à Genève en janvier, son inclusion dans le Good Times en devient toute naturelle, car "Tabu" est le plus beau film de l’année sur la nostalgie du cinéma, en rendant hommage à Murnau et à la fuite d’un amour perdu.
3) Tame Impala
Un album génial doublé par un concert qui rappelle les instants rock les plus marquants des performances live qu’il m’aie été donné de voir jusqu’à aujourd’hui. Tame Impala, c’est l’oasis au milieu du désert et l’espoir entretenu de réentendre (et de revoir) de bons groupes à amplis dans un futur plus ou moins proche. L’heure n’est plus aux guitares, et tant mieux. Le rock est un cycle, et Tame Impala est le feu follet d’un monde pop en crise et s’en sort magistralement, tout seul, dans cette traversée du désert.
4) "Take Shelter" de Jeff Nichols
Quand un cinéaste américain réussit à prendre les bons côtés du film indépendant et des gros succès hollywoodiens, ça donne "Take Shelter". Une histoire d’un type paranoïaque, astraphobique et persuadé de voir venir l’apocalypse avant tout le monde. Entre réalité angoissante et cauchemars véritables, Nichols ouvrait majestueusement l’année de la fin de tout avec une pépite à (re)voir de toute urgence !
5) Bullhead de Michaël R. Roskam
Sorti en rade en Suisse, "Bullhead" révèle trois choses : la prouesse de savoir tourner un bon film de gangsters dans le nord-est belge, l’acteur Matthias Schoenaerts et la patte d’écriture de Roskam. Ce film, c’est "Drive" en moins classe, mais avec un scénario béton. La meilleure surprise de 2012 et surtout, le film de gangsters à voir à tout prix, devant "Killing them Softly" et "Looper".
6) "Ernest et Célestine" de Benjamin Renner, Stéphane Aubier et Vincent Patar
En pied de nez à la technologie 3D, HFR et numérique, voici le plus beau film d’animation (appelons-le dessin animé c’est mieux) de l’année ! Cette adaptation des albums pour enfants de Gabrielle Vincent est un retour heureux à l’enfance, un voyage écrit à l’encre d’or par Daniel Pennac et par l’équipe qui a réalisé l’excellent Panique au village. Le dessin délicat à l’aquarelle, expressif et charmant, vivant (plus que toutes les imageries numériques de ces dernières années), exploite un sujet pas enfantin du tout, sérieux et même politique. Mais toujours ludique, humoristique et d’apprentissage, ce récit emmené par la voix inattendue de Lambert Wilson n’a qu’un seul défaut : être sorti trop tard. Gabrielle Vincent aurait apprécié.
7) "L'enfant d'en haut" de Ursula Meier
Après l’enfermement de "Home", la réalisatrice franco-suisse partage poétiquement le haut et le bas, la grisaille et la blancheur éclatante, la richesse et la vie dure. Meier réussit à filmer une bien triste région de la Suisse romande et à en faire le décor d’un film de grand calibre, ouvert à l’espace des hauteurs mais toujours refermé sur les problèmes humains et personnels. Son meilleur film.
8) "De rouille et d'os" de Jacques Audiard
Pas au niveau de son précédent film (le chef d’œuvre "Un Prophète") et proposant il est vrai quelques négligences édulcorées (la fin du film fait penser à tous les pires films hollywoodiens), Audiard livre tout de même un objet qu’on ne peut pas négliger, opposant la force virile à la beauté fragile, exposant la destruction de ces deux éléments aussi puissant l’un que l’autre. Il y a quelque chose de profond dans ce film, qu’on ne trouve que très peu en 2012. Et puis les réal' français de qualité sont en voie de disparition, alors ne négligeons pas ce cher Audiard.
9) "La Tête la première" (Blast) de Manu Larcenet
Manu Larcenet n’est pas seulement très productif, il est aussi très doué. Et ça ne va pas de paire. Après d’autres exploits ("Le Retour à la terre", "Le Combat ordinaire", "Donjon"), le bédéiste natif d’Issy-les-Moulineaux revient avec une histoire plus mature, plus sombre encore, et plus poétique peut-être. Le troisième tome de la série Blast ("La Tête la première") vient couronner un travail entamé il y a trois ans sur l’histoire d’un marginale troublé qui doit avouer l’agression d’une femme.
10) "The Dark Knight Rises" de Christopher Nolan
Sans grande surprise, l’épisode final du chevalier noir ne pouvait passer outre les tops de fin d’année. Il n’était pas possible de faire mieux que "The Dark Knight", alors Nolan a décidé de faire à peu près pareil, avec un méchant moins tordu mais plus frontale, plus physique et concret. Bane est la force dévastatrice par excellence, celle contre qui Batman ira se casser les ailes… Au point de vue de l’image, de la réalisation (excepté la pitoyable mort de Cotillard – non mais comment ça a pu passer les projections tests ?), du son et du montage, Nolan affirme sa suprématie artistique sur le cinéma d’entertainement US.
BONUS pour la fin de l’année – "The Trouble With Candyhands" de Deerhoof afin de rappeler l’excellent BREAKUP SONG sorti je ne sais plus quand en 2012, la prouesse de mélanger chanson dansante et capharnaüm audible en une track.
Ingénieux, étonnant et capricieux, Carax livre enfin son film monstre, qui parle du cinéma, de la vie, et… du cinéma. Le top du top est français… Une bien belle revanche de la part de Monsieur Merde sur 20 années de (quasi) stérilité gauloise.
2) "Tabu" de Miguel Gomes
On a pris de l’avance (le film sort officiellement en 2013 chez nous), mais étant donné qu’il fut déjà projeté une fois en Suisse (Cinémathèque) et qu’on pourra le revoir en avant-première au festival du Black Movie à Genève en janvier, son inclusion dans le Good Times en devient toute naturelle, car "Tabu" est le plus beau film de l’année sur la nostalgie du cinéma, en rendant hommage à Murnau et à la fuite d’un amour perdu.
3) Tame Impala
Un album génial doublé par un concert qui rappelle les instants rock les plus marquants des performances live qu’il m’aie été donné de voir jusqu’à aujourd’hui. Tame Impala, c’est l’oasis au milieu du désert et l’espoir entretenu de réentendre (et de revoir) de bons groupes à amplis dans un futur plus ou moins proche. L’heure n’est plus aux guitares, et tant mieux. Le rock est un cycle, et Tame Impala est le feu follet d’un monde pop en crise et s’en sort magistralement, tout seul, dans cette traversée du désert.
4) "Take Shelter" de Jeff Nichols
Quand un cinéaste américain réussit à prendre les bons côtés du film indépendant et des gros succès hollywoodiens, ça donne "Take Shelter". Une histoire d’un type paranoïaque, astraphobique et persuadé de voir venir l’apocalypse avant tout le monde. Entre réalité angoissante et cauchemars véritables, Nichols ouvrait majestueusement l’année de la fin de tout avec une pépite à (re)voir de toute urgence !
5) Bullhead de Michaël R. Roskam
Sorti en rade en Suisse, "Bullhead" révèle trois choses : la prouesse de savoir tourner un bon film de gangsters dans le nord-est belge, l’acteur Matthias Schoenaerts et la patte d’écriture de Roskam. Ce film, c’est "Drive" en moins classe, mais avec un scénario béton. La meilleure surprise de 2012 et surtout, le film de gangsters à voir à tout prix, devant "Killing them Softly" et "Looper".
6) "Ernest et Célestine" de Benjamin Renner, Stéphane Aubier et Vincent Patar
En pied de nez à la technologie 3D, HFR et numérique, voici le plus beau film d’animation (appelons-le dessin animé c’est mieux) de l’année ! Cette adaptation des albums pour enfants de Gabrielle Vincent est un retour heureux à l’enfance, un voyage écrit à l’encre d’or par Daniel Pennac et par l’équipe qui a réalisé l’excellent Panique au village. Le dessin délicat à l’aquarelle, expressif et charmant, vivant (plus que toutes les imageries numériques de ces dernières années), exploite un sujet pas enfantin du tout, sérieux et même politique. Mais toujours ludique, humoristique et d’apprentissage, ce récit emmené par la voix inattendue de Lambert Wilson n’a qu’un seul défaut : être sorti trop tard. Gabrielle Vincent aurait apprécié.
7) "L'enfant d'en haut" de Ursula Meier
Après l’enfermement de "Home", la réalisatrice franco-suisse partage poétiquement le haut et le bas, la grisaille et la blancheur éclatante, la richesse et la vie dure. Meier réussit à filmer une bien triste région de la Suisse romande et à en faire le décor d’un film de grand calibre, ouvert à l’espace des hauteurs mais toujours refermé sur les problèmes humains et personnels. Son meilleur film.
8) "De rouille et d'os" de Jacques Audiard
Pas au niveau de son précédent film (le chef d’œuvre "Un Prophète") et proposant il est vrai quelques négligences édulcorées (la fin du film fait penser à tous les pires films hollywoodiens), Audiard livre tout de même un objet qu’on ne peut pas négliger, opposant la force virile à la beauté fragile, exposant la destruction de ces deux éléments aussi puissant l’un que l’autre. Il y a quelque chose de profond dans ce film, qu’on ne trouve que très peu en 2012. Et puis les réal' français de qualité sont en voie de disparition, alors ne négligeons pas ce cher Audiard.
9) "La Tête la première" (Blast) de Manu Larcenet
Manu Larcenet n’est pas seulement très productif, il est aussi très doué. Et ça ne va pas de paire. Après d’autres exploits ("Le Retour à la terre", "Le Combat ordinaire", "Donjon"), le bédéiste natif d’Issy-les-Moulineaux revient avec une histoire plus mature, plus sombre encore, et plus poétique peut-être. Le troisième tome de la série Blast ("La Tête la première") vient couronner un travail entamé il y a trois ans sur l’histoire d’un marginale troublé qui doit avouer l’agression d’une femme.
10) "The Dark Knight Rises" de Christopher Nolan
Sans grande surprise, l’épisode final du chevalier noir ne pouvait passer outre les tops de fin d’année. Il n’était pas possible de faire mieux que "The Dark Knight", alors Nolan a décidé de faire à peu près pareil, avec un méchant moins tordu mais plus frontale, plus physique et concret. Bane est la force dévastatrice par excellence, celle contre qui Batman ira se casser les ailes… Au point de vue de l’image, de la réalisation (excepté la pitoyable mort de Cotillard – non mais comment ça a pu passer les projections tests ?), du son et du montage, Nolan affirme sa suprématie artistique sur le cinéma d’entertainement US.
BONUS pour la fin de l’année – "The Trouble With Candyhands" de Deerhoof afin de rappeler l’excellent BREAKUP SONG sorti je ne sais plus quand en 2012, la prouesse de mélanger chanson dansante et capharnaüm audible en une track.
Raphaël Rodriguez, programme mixtapes de Think Tank
1) La Grèce
Alors que le vilain petit canard de l’Europe est en proie aux affronts quotidiens et à l’austérité, on oublie trop que, même en pleine galère, une poche d’humanité subsiste et que l’accueil y sera toujours meilleur que par chez toi. Un séjour d’une semaine, pas le premier et sûrement pas le dernier, parce qu’Athènes, les îles et les Grecs restent incroyables alors qu’ils prennent une grosse crise dans le nez.
Alors que le vilain petit canard de l’Europe est en proie aux affronts quotidiens et à l’austérité, on oublie trop que, même en pleine galère, une poche d’humanité subsiste et que l’accueil y sera toujours meilleur que par chez toi. Un séjour d’une semaine, pas le premier et sûrement pas le dernier, parce qu’Athènes, les îles et les Grecs restent incroyables alors qu’ils prennent une grosse crise dans le nez.
2) L.I.E.S
Ou le label qui déchire tout, et tout d'un coup. House rugueuse, techno crado, obscurantisme délibéré, et perle sur perle: Delroy Edwards, Jahiliyya Fields, Bookworms, Xosar, Professor Genius, ça a de la gueule. Et Ron Morelli, boss incontesté de la petite sauterie en a, lui aussi, de la gueule. Pas de site, un twitter vaguement alimenté mais-sans-image-de-profil-alors-tu-doutes-quand-même, pas de facebook, bref: pas de comm', presque pas de promo. Et pourtant, le sacre absolu cette année: tous célèbrent un label à la démarche radicale, sans compromis. Ca fait du bien, ça sent la sueur et ça rétablit un peu l'essence de la house.
Ou le label qui déchire tout, et tout d'un coup. House rugueuse, techno crado, obscurantisme délibéré, et perle sur perle: Delroy Edwards, Jahiliyya Fields, Bookworms, Xosar, Professor Genius, ça a de la gueule. Et Ron Morelli, boss incontesté de la petite sauterie en a, lui aussi, de la gueule. Pas de site, un twitter vaguement alimenté mais-sans-image-de-profil-alors-tu-doutes-quand-même, pas de facebook, bref: pas de comm', presque pas de promo. Et pourtant, le sacre absolu cette année: tous célèbrent un label à la démarche radicale, sans compromis. Ca fait du bien, ça sent la sueur et ça rétablit un peu l'essence de la house.
3) La Palestine reconnue comme état observateur non-membre à l'ONU
Alors oui, les conséquences ont fait mal et ça va coûter cher (l'annonce de la construction de 3000 logements sur les territoires occupés en a donné un avant-goût), mais sur le moment, c'était vachement bon de voir les USA et Israël dans leur coin, pas assez cools pour jouer avec les autres. Et surtout, c'est diablement rassurant de voir au fil des évènements que même si son application reste hypothétique, la solution des deux états retrouve les faveurs d'une partie des dirigeants, face à la radicalisation des radicaux.
Alors oui, les conséquences ont fait mal et ça va coûter cher (l'annonce de la construction de 3000 logements sur les territoires occupés en a donné un avant-goût), mais sur le moment, c'était vachement bon de voir les USA et Israël dans leur coin, pas assez cools pour jouer avec les autres. Et surtout, c'est diablement rassurant de voir au fil des évènements que même si son application reste hypothétique, la solution des deux états retrouve les faveurs d'une partie des dirigeants, face à la radicalisation des radicaux.
4) Le retour des cygnes
Parce que revenir après aussi longtemps, avec une telle superbe, c’est rare. Suffit de voir Michael Gira et sa gueule d’écorché pour comprendre que "The Seer", c’est pas de la rigolade. En cas de doute, l’écoute du morceau éponyme (plus de 32 minutes !) suffira. Ni facile à avaler, ni nécessairement digeste, mais Swans est un monolithe qui semble traverser les âges, pas toujours avec grâce, mais avec solidité.
Parce que revenir après aussi longtemps, avec une telle superbe, c’est rare. Suffit de voir Michael Gira et sa gueule d’écorché pour comprendre que "The Seer", c’est pas de la rigolade. En cas de doute, l’écoute du morceau éponyme (plus de 32 minutes !) suffira. Ni facile à avaler, ni nécessairement digeste, mais Swans est un monolithe qui semble traverser les âges, pas toujours avec grâce, mais avec solidité.
5) Le milliard de vues de "Gangnam Style"
Good time ou bad time, difficile à savoir. Entre, d’un côté, le triomphe absolu du vide, et de l’autre la satisfaction de voir un presque non-américain exploser les limites de la diffusion. Peu importe le personnage lui-même, mais un nouveau stade est atteint : tout (le monde) y passe et le clip est refilmé au MIT, avec Noam Chomsky en guest-star, point culminant et ultime légitimation d’un rouleau compresseur culturel dont on ignore s’il faut rire ou pleurer.
Good time ou bad time, difficile à savoir. Entre, d’un côté, le triomphe absolu du vide, et de l’autre la satisfaction de voir un presque non-américain exploser les limites de la diffusion. Peu importe le personnage lui-même, mais un nouveau stade est atteint : tout (le monde) y passe et le clip est refilmé au MIT, avec Noam Chomsky en guest-star, point culminant et ultime légitimation d’un rouleau compresseur culturel dont on ignore s’il faut rire ou pleurer.
Julien Gremaud, coordinateur de Think Tank
"Panorama" autour du Patron: pour ses 80 ans, Richter occupe la Neue Nationalgalerie et une partie de l'Alte Nationalgalerie. Dans cette dernière, "Oktober 18, 1977", travail anxiogène fait de diptyques ou triptyques sur l'"Automne allemand" de 1977. Portraits détachés, hantés et absorbés par cette agressivité sourde résonnent dans ce vénérable bâtiment du Mitte. A Potsdamer Platz, on se presse aux portes de l'institution accueillant les autres travaux du peintre de Cologne, et on en prend pour son grade. Galvanisant.
Zurich inaugure son Löwenbrau Kunst remanié et lustré en septembre, composé d'institutions et de galeries commerciales. La Kunsthalle tire en premier: la trendy Helen Marten prend l'étage du haut, Tillmans les grands espaces, pour exposer son dernier travail. Leica numérique sous le bras, il visite le monde HD et global, évite toute retouche et tire en grand. L'exposition, davantage que le livre paru chez Taschen (hormis l'entretien avec Beatrix Ruf), témoigne d’une sorte d’inquiétude et de curiosité pour ce monde "astronomique", surreprésenté et high-tech. Tillmans plus que jamais actuel.
Ce disque pourrait résonner avec "Oktober 18, 1977" de Richter: radical à l'extrême, glacial, distant. Et pourtant, cette intégrité ne résulte pas sur un hermétisme définitif. En engageant une amie professeure de piano, amatrice en chant, le Mancunien détourne les codes des producteurs électro et fabrique son LP de titres subtiles, séduisants et obsédants. Un très grand Soundwriter.
A Vevey, Marclay dégaine dans une installation partie prenante de SHOOT ! - la photographie existentielle pour le le Festival Images, mais c'est "The Clock" qui tient toujours la vedette. Lion d'or de la Biennale de Venise en 2010, son installation / film de 24 heures était visible au Kunsthaus de Zurich cet été, mais aussi à Sydney, Los Angeles et ailleurs. "Chef-d'œuvre de notre époque" (Guardian), "The Clock" est aussi une sacrée entreprise artistique, véritable bataillon s'attaquant à l'histoire du cinéma pour ainsi fixer de nouveaux standards de production. Deux plus tard, le film est toujours aussi addictif.
L'une des quatre versions du tableau du Norvégien part à 119,9 millions de dollars à New York, chez Sotheby's. La vente ne durant que 12 minutes, les enchères grimpant parfois de plus de 10 millions en une minute entre les 7 acheteurs sur le "coup". L'oeuvre d'art la plus chère jamais vendue aux enchères, permettant à Sotheby's de faire péter son record pour une soirée d'enchères d'art impressionniste et moderne avec 330,56 millions de dollars amassés sur la vente de 65 des 76 lots proposés. Les chiffres parlent d'eux-même. La crise financière, pour l'art moderne (et contemporain), c'est vraiment trop has been.
Revue galante, photographie et forme critique, Dorade est devenue en seulement quatre numéros une adresse essentielle dans les imprimés. Les Prix fédéraux de design ne s'y sont pas trompés en 2012, honorant les trois fondateurs et éditeurs du magazine, Sylvain Menétrey (à la rédaction) Emmanuel Crivelli (au graphisme) et Philippe Jarrigeon (à la direction artistique). Ne vous attendez pas pour autant à d'obscures théories artistiques: publicité absente et compromis inexistants en toile de fond de cette "exposition sur papier" aux thématiques, interviews et photographies autant avant-gardistes qu'accessibles. Depuis 2009, Dorade s'est présenté comme un modèle pour pas mal de Romands ou d'étudiants de passage à Lausanne (ont essaimé l'excellent Verities, basé à Londres et Adventice, tous deux conçus en programme Master).
Le gimmick est un classique, renvoyant à l'histoire du Hard Rock, à ses multiples reprises et dérives. Beautiful loser ultime, l'Australien Kevin Parker place "Elephant" au milieu de LONERISM, impeccable second album de son projet Tame Impala. On pensait le titre facile, évident et opportuniste. Il fallait le voir se métamorphoser sur scène, en octobre dernier à Lausanne. Un break de plusieurs minutes, halluciné, pour retomber sur ses pattes. On a tous décollés. Le reste du gig portera le coup de grâce: Tame Impala possède un génie à sa barre, un batteur singulier et une incroyable aura, intacte. Le dernier grand flip rock.
La musique actuelle suit la tendance au décloisonnement des genres exprimée dans la culture contemporaine. Et aussi celle de nouveaux modèles économiques, impactant sur ceux artistiques. Désormais, c'est sur le web que se produisent les grands actes musicaux. Flying Lotus, l'un des artistes américains le plus en phase avec son époque, manie les multiples couches inhérentes à sa discipline et fait de ses clips de véritables oeuvres d'art. "Until the Quiet Comes" combine trois titre du déjà classique 4ème LP éponyme de Fly'Lo dans ce court métrage réalisé par Kahlil Joseph aussi beau qu'un film de Jarmusch. Déjà, un nouveau clip est apparu: "Tiny Tortures", par David Lewandowski, avec Elijah Wood en guest star, techniquement imparable.
9) Le blog We Find Wildness
S'il devait n'en rester qu'un… Tenu par une Bâloise trentenaire, WFW est un blog sur l'art contemporain sans ses tares et arrangements habituels, né fin 2008. Avec une ligne éditoriale aussi exigeante que compréhensible, des textes courts mais extrêmement précis, WFW a dépassé les frontières pour s'imposer comme l'une des adresses incontournables du circuit. Puisse-t-il conserver son enthousiasme et son indépendance.
10) Sébastien Tellier et Audrey Pulvar
Audrey Pulvar est un cas intéressant, au service du pathétique télévisuel et de l'effritement de la presse hebdomadaire. Grâce à elle, on a notamment définitivement arrêté de lire les Inrockuptibles – ceci même si elle n'y est déjà plus – et décidé de débrancher le téléréseau. Livrée sur un plateau lors d'un On n'est pas couché en mai 2012, la rossée vache et désobligeante de Sébastien Tellier par Pulvar (plus Natacha Polony) est le dernier acte grotesque du service public et de ces dames soi-disant journalistes, ultime exemple d'un média aux abois.
Illustrant ce classement des meilleures moments culturels 2012, Vincent Tille est un contributeur photographique régulier de Think Tank. Actuellement étudiant en photographie à l'Ecole supérieure d'arts appliqués de Vevey, il collabore à de nombreux projets musicaux. Sur Tumblr, il est Rolf Hot.