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10 novembre 2012

Trash Love II: Ariel Pink, Maria Minerva et 情報デスクVIRTUAL

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Illustration: Markus Marys
L’amour et la fétichisation des déchets battent leur plein. Le modèle absolu de perfection culturelle se formule désormais en terme de trash deluxe: un hamburger avec pain maison, moutarde à l’ancienne, figues et noisettes, viande d’élevage. Ou pour ce qui nous intéresse ici, l’art de la récupération d’anciens rebus en musique. Que ce soit en transformant la pop en chansons barrées avec Maria Minerva et Ariel Pink, ou en érigeant la musique la plus illégitime en sommet émotionnel avec 情報デスクVIRTUAL.

La pop contemporaine semble envahie par une fétichisation des déchets, que l’on désigne souvent par un terme devenu terriblement englobant  et qu’il s’agirait sûrement de prendre le temps de redéfinir profondément : le kitsch. Celui-ci se lit derrière le pullulement de saxophones, l’adoration vouée à la pop coréenne ou encore cette recherche du son de synthé le plus démodé et commicool possible. Cette quête du kitsch s’accompagne parfois d’un élan proprement romantique : la nostalgie face aux ruines. Mais si pour les nouvellistes de la fin du XIXème siècle ces ruines se rapportaient à l’antiquité, aujourd’hui, la perception du temps s’étant accéléré en même temps que les liens avec toute autre passé que récent se sont amenuisés, ces ruines font désormais appel à ce passé lointain, à la fois mystérieux et magique : les années 80 et 90. Le projet de 情報デスクVIRTUAL s’inscrit pleinement dans ce type de démarche. Il plonge la tête la première, sans se pincer le nez, dans les poubelles musicales « antiques », grignotant un reste de musique d’ascenseur, léchant le fond d’une musique promotionnelle et s’empiffrant de musiciens de seconde zone. Cette utilisation, notamment de publicités, on l’a trouve aussi chez Oneothrix Point Never, en particulier dans REPLICA. Mais chez ce dernier, les sons-sources étaient rendues méconnaissable par une expérimentation poussée ou gardés seulement lorsque leur côté risible les rendait facilement utilisables. Chez 情報デスクVIRTUAL, la matière première s’offre aux oreilles de manière brute. Ici pas de ridiculisation, d’appropriation détournée, de mise en perspective. 札幌コンテンポラリー n’est pas un déguisement, une citation, cet album pousse l’appropriation jusqu’à l’incarnation. Si tu vénères les ambiances cheesy porno, cesse de t’agenouiller devant des fausses idôles qui ne font que jouer, reconnaît la grâce de cette véritable essence qui baigne de sa présence universelle un monde au-delà du sexe, peuplé de publicités pour des salles de gym, de musiques de salles d’attentes, de mélodies pour centre commercial, notre inconscient musical à tous. Ca sue, ça suinte et ça se sent dès le titre des différentes plages. Tout commence avec "WELCOME 2 SHOP@HOME NETW☯RK LLC #WEEDBREAK #ROLL_UP_THEM_BLUNTS_FOR_2K12". Le rêve de cet énoncé ouvre sur un funk la chemise ouverte, les synthés sous les aisselles. "ODYSSEUSこう岩寺「OUTDOOR MALL" fait résonner le synthé comme personne ne l’ose mais tout le monde le rêve. C‘est tellement gluant que cela en devient irréel. "iMYSTIQUE エジプト航空「EDU" et "”GEAR UP” 4 FLIGHTシアトルズベスト" ose une figure impossible : titres mélancolique à partir d’orchestres péruviens à flute de pans. « T E S T A R O S S A interLude ~ iNTELLiMAX RELEASE GROUP PRESENTS » réalise un rêve dont on ignorait l’existence : une bande son guillerette et psychédélique de boite à cul. "MARBLE白鳥" donne envie de courir en sautillant au supermarché le plus proche pour acheter plein de super choses. Une avalanche d’étrangetés qu’on écoute finalement agréablement malgré tous les warning envoyés à notre cerveau par notre centre du bon gout. 


Dans un tout autre genre et finalement bien plus sage, Maria Minerva et Ariel Pink font aussi les poubelles. Mais ces derniers ne trainent pas dans les taudis, ils lancent un regard sélectif sur les emballages trouvés dans les quartiers les plus chics de l’histoire musicale, c’est-à-dire la pop des années 60 et 70. Plutôt que de rafistoler les produits congelés pour les faire paraître comme neuf comme le font par exemple Tame Impala, ces deux barrés préfèrent passer la pop au tamis underground, plongeant la pureté des mélodies dans un mélange aqueux de lo-fi. La pop de Maria Minerva et Ariel Pink est maquillée comme on le dit d’une voiture, sauf qu’ici le caractère trash, un peu merdique et bricolé du maquillage est valorisé. Après BEFORE TODAY qui marquait une production bien plus propre, Ariel Pink repart dans un son moins lisse tout en ayant garder quelque chose de la limpidité de cette expérience. On retrouve, dans MATURES THEMES, cette naïveté barrée qui écrirait une chanson des Nuggets en ayant l’impression d’avoir tout inventé à nouveau. A part "Only in my dreams", peu de titres atteignent la perfection pop de certaines chansons de BEFORE TODAY, l’ambition ayant peut-être cédé à l’excitation. Cette dernière prend malgré tout souvent des allures de virtuosité. "Mature Themes" fait très fort dans le registre chanson sentimentale. Avec sa formule à base de guitares approximatives, de rythmes simples, de mélodies accrocheuses, de synthétiseurs bien psyché et d’expérimentation loufoque, Ariel Pink’s Haunted Graffiti parviennent à rejouer une pop retro de façon tellement barreé, qu’on croit volontiers que leurs emprunts sont toujours inconscients. Les plus disco "Symphony of the Nymphs" et son « She’s a nymph(o) at the disco » ou "Pink Slime" sont de ces délices qui, brouillant la mémoire, parviennent à noyer le rétro pour en faire un plaisir dont la jouissance refuse tout conservatisme et toute glorification d’un bon vieux temps du rock dont il faudrait préserver les derniers bastions. 


Dans la musique de Maria Minerva, le tamis lo-fi et expérimental laisse passer moins d’éléments pop, se nourrissant de la dépouille de genres moins évidents : de la disco barré, de la transe, de la pop gaie, de la dance mélangés à une base de chansons proche d’un psychédélisme solo à la Syd Barett. WILL HAPPINESS FIND ME regorge de bruits bizarres, de mélodies superbes mais volontairement chuchotées, comme si on entendait une chanteuse folk à travers la grille d’un back room habités par des nappes électroniques en pleine tension. Variant entre tubes sous influence rave ("Sweet Synergy", "Perpetual Motion Machine"), grandes chansons ("The Sound", "Mad Girl Love Songs"), balades magnifiquement étouffées ("Never Give Up "), Maria Minerva fait finalement exactement l’inverse d’Ariel Pink. Plutôt que de prendre de la grande pop pour la maquiller et en faire des délires sucrés, elle prend des styles étranges comme base pour les déguiser dans des ballades à la fois surprenantes et agréables. Au bout du compte, que ce soit au niveau de la qualité des influences, de l’écriture ou encore dans l’inventivité, tout semble donner raison au procédé de Maria Minerva.