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07 novembre 2012

Au nom du père, du fils et de M : le trio familial de Skyfall

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Illustration: Skyfall / Julien Gremaud



Un nouveau James Bond est toujours un événement. Un évènement commercial bien sûr. Un grand film plus rarement. Sans surprendre, Skyfall réutilise tous les outils et instruments qui construisent le mythe, en les détournant sans les égratigner, et sans jamais entacher et frapper l’agent. En restant britannique quoi, sage mais classe.

Tous les long-métrages de l’agent secret britannique épongent le cinéma contemporain. Vulgairement, les producteurs regardent ce qui marche autour d’eux et engagent ensuite un réalisateur qui devra suivre des normes et un scénario préétabli réunissant les valeurs actuelles qui attirent l’œil et le porte-monnaie du spectateur. Exemple facile : à la fin des années 70, après le succès phénoménal de Star Wars, United Artists décide d’envoyer James Bond dans l’espace. Et quand en 1992 tout le monde court au cinéma voir Sharon Stone et Michael Douglas baiser pendant un bon quart d’heure, le sexe revient de plus belle avec une tueuse sexuelle dans Goldeneye, une année après. C'est l’influence de Nolan qui se lit en filigranes dans Skyfall, avec un méchant qui reprend un plan semblable à celui du Joker dans The Dark Knight. Mais je préfère me stopper ici dans la critique de bas-étage et parler d’un élément qui me semble plus particulier.

Ce n’est ni les scènes d’action (on vous laisse comparer les ouvertures de The Dark Knight Rises et Skyfall… bon d’accord, il est difficile de faire plus fort que Nolan à ce point là), ni le scénario, ni le générique (pourtant excellent, l'un des meilleurs de la série sans aucun doute !) et encore moins les acteurs (quoi que Craig tient ici son meilleur rôle de Bond), qui m’intéresse. Non. C’est plutôt la mission (si elle en est une) qu’a tenu à donner Sam Mendes au plus célèbre agent secret du monde : protéger M, la directrice du MI-6. 


La mère
Disons-le tout de suite, là où Skyfall peut se vanter d’être entièrement nouveau dans la série 007, c’est qu’il est le premier Bond où il n’y pas de James Bond girl. Exit les Ursula Andress et Daniela Bianchi, et place à la figure maternelle de M. Certains me contrediront puisqu'on y rencontre la délicieuse Séverine (Bérénie Marlohe) qui se trouve sur la route de l'agent secret en Chine. Ok, mais sa présence sert plus à remplir la case « bombe sexuelle » dans le cahier des charges de la Century Fox qu’autre chose. Ou comme Ian Fleming le dit lorsqu'il balance la description d'une parfaite James Bond girl : "qu'elle sache s'habiller, sans trop de bijoux, convenable aux cartes et avec un grand sens de l'humour". Dans le scénario, Séverine ne sert à rien. Elle est même réduite à être un appât qui attire Bond vers Silva, le grand méchant. Elle est liquidée, ce qui n’arrive d’habitude pas (ou peu) aux autres James Bond girls. Et une fois tuée, on n’y croit pas tout de suite, c’est trop facile, trop rapide. Mais Bond s’en fout, parce que celle qu’il aime dorénavant, c’est M.

M, c’est la figure maternelle par excellence : c’est elle qui dirige les petits agents du MI-6, c’est la femme trop vieille pour être désirée mais qui garde tout de même une beauté distante et british, donc peu charnelle. "M", c’est Mother, c’est Maman, c’est même « Madame » comme la nomme Bond dans le film. Un « M’dam » dit si vite, qu’on peut le confondre avec « M’am », l'expression universelle employée pour dire « maman » en anglais. Le plus surprenant est donc cette éjection de la James Bond girl pour se centrer sur l’importance de M. James Bond pardonne même à M d’avoir donné l’ordre de le tuer. Bond pardonne tout à M et l’emmène au nord de l’Ecosse pour la protéger contre Silva, un domaine étrange où Bond est né et a grandi.


La famille réunie
Le fils, vous l’aurez compris, c’est Bond. C'est lui qui décide de se réfugier avec Mère pour retrouver le foyer de son enfance et s’y blottir. Et là, comble du trio d’Œdipe, qui se cache dans la tanière surnommée « Skyfall » ? un vieux barbu, exactement de l’âge de M, protecteur et père d’adoption du jeune James (son nom est Kincade). Tout le monde se retrouve alors dans le vieux pays brumeux et froid afin de réunir une fausse famille en un final grandiloquent et shakesperien. Kincade prend ainsi soin de M, en lui donnant une jolie écharpe qui sort d'une caisse poussiéreuse. Tout ce petit monde prépare à se défendre de l'attaque de Silva et de ses hommes, rappelant le Moyen Age et l'attaque du château fort, afin de tuer la Reine. 

Lorsque Silva débarque en deux temps, le plus important est de protéger la Mère. Celle-ci sera d'ailleurs accompagné du Père pour s'enfuir à travers un trou sous la maison. C'est le fils qui leur demande de s'abriter, le temps que l'orage passe. Après de multiples explosions et un hélicoptère qui se fracasse dans le manoir, le trio se retrouve dans la petite chapelle du coin, face à Silva, seul, revenu des flammes.

L’unique objectif de Silva est de tuer M, et de mourir avec elle par une balle de pistolet. Le père, à côté, n’ose broncher. Il n’est alors plus qu’une simple présence de fond, qui n’a aucun pouvoir sur la scène, puisque c’est M qui attire les convoitises, l’histoire et le drame. Silva veut mourir avec celle qui a été un jour sa (Mère) supérieure, comme jaloux de ne plus être sous ses ordres, honteux d’avoir perdu sa place au sein de la famille, lui, le plus discret des frères. M finira par mourir dans les bras de son fils et sous les yeux du père, cloîtré avec son fusil dans un coin de la chapelle, évoquant presque une peinture classique romaine. Skyfall gagne alors en intérêt et en prestige, dans cette réunion familiale symbolique inattendue, où les valeurs de la famille prennent le dessus sur les aventures charnelles et récurrentes du héros. Pour un temps donné en tout cas.