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24 octobre 2012

In Another Country : le cinéma de Hong Sang-soo

Illustration: Charlotte Correia


Surnommé le « Rohmer coréen » par la critique française, Hong Sang-soo se positionne en effet  en marge de ses contemporains, Park Chan-wook et Bong Joon-ho en tête. Son dernier film est sorti la semaine passée en France et n’a toujours pas de date de distribution chez nous en Suisse (comme tous ses précédents films). Pour vous rassurer, In Another Country devrait sûrement être projeté lors de la prochaine édition du Black Movie à Genève, en janvier prochain. Afin de patienter et de se réjouir, doit-on rappeler que Hong Sang-soo compte déjà douze films depuis ses débuts ?

C’est en 1996 avec le titre à rallonge Le jour où le cochon est tombé dans le puit que le réalisateur coréen se fait connaître, film dans lequel on suit les mésaventures sentimentales de quatre personnages (deux femmes et deux hommes) selon chaque point de vue. Seize ans plus tard, Hong Sang-soo est adulé en France, où on le compare à Rohmer et au fils spirituel de la Nouvelle Vague. Lui qui a débuté modestement, il s’est vu ensuite offrir des moyens plus importants pour ses productions à partir de Turning Gate en 2002. Mais HSS est un personnage simple, un être délicat et solitaire et préfère retourner à des coûts de productions moindres, voire même les plus limités autorisés. Depuis quatre ans, il tourne avec une équipe réduite, louant son matériel et ne payant pas (ou très peu) ses comédiens, ces derniers acceptant de venir partager un moment unique avec lui, afin de progresser : « Tout est si différent avec Hong : je note ses consignes, ses remarques, ça me sert tout le temps » explique le comédien Yu Jun-sang, le maître nageur amoureux de Isabelle Huppert dans In Another Country.


La signature HSS
Ce n’est pas la première expérience que Jun-sang partage avec HSS. Il fut déjà enrôlé dans trois de ses films, dont son précédent, le superbe The Day he arrives (2011) qui se passe dans un Séoul en noir et blanc enneigé. Les films de Sang-soo ont cette particularité qu’ils s’imprègnent d’un climat et d’une saison afin de la faire ressentir aux spectateurs. On grelotte quand on regarde The Day he arrives ou La Femme est l’avenir de l’homme (2004) et on a trop chaud devant le magnifique Ha ha ha (2010) et Night and Day (2008). Remarquer qu’un film est réalisé par HSS n’est pas difficile tant le cinéaste aime à retrouver des éléments qui font sa signature. Le « zoom + recadrage » par exemple, une fonction quasi censurée dans le cinéma d’aujourd’hui, est l’une des marques de fabrique ultime de HSS. Cette manière permet de montrer au spectateur un plan général, le laissant libre de voir ce qu’il désire comprendre. Au bout de 10, 20 ou 45 secondes, HSS zoom vulgairement sur une partie du cadre et garde ce nouveau cadrage jusqu’à la fin de sa scène. Ce nouveau champ nous fait alors voir/comprendre/imaginer/interpréter de nouveaux horizons encadrés dans une fraction plus restreinte et plus intime. Sang-soo aime aussi inviter son spectateur dans son histoire de la façon la plus simple et agréable possible : le début de ses films se servent tous d’une légère musique, comme la magnifique ouverture de Conte de cinéma (2005) aux xylophones, présentant en plan-fixe la tour de Séoul, symbole autour duquel l’histoire tournera. Un troisième élément (il y en a bien d’autres) ? Les dialogues, jamais coupés, s’étalent dans des plans-séquences refusant le champ/contre-champ conventionnel, qui permettent ainsi de voir se construire une réalité dialoguée entre deux comédiens. Souvent, le dialogue est écrit le matin même, empêchant toutes répétitions pour les acteurs.

Il est normal de confondre ses films, de se dire que c’est chaque fois la même chose et que finalement on n’avance jamais. HSS aime la répétition, les habitudes, les déambulations dans les rues de Séoul ainsi que les scènes où l’on mange et l’on trinque ensemble – et nous retrouverons à chaque fois ces motifs. Dans son dernier film, c’est justement au jeu de la répétition que HSS s’attelle.


In Another Country
Son dernier film, qui met en scène pour la première fois une actrice européenne en personnage principal (Isabelle Huppert), comporte trois petites histoires différentes mais qui, au lieu des les rassembler dans une narration d’1h30, sont linéairement mises l’une à la suite de l’autre, comme trois courts-métrages. Sauf que ceux-ci ont bien un lien entre eux. Ce choix linéaire a pour but de souligner les habitudes du monde et les répétitions des choses de la vie, mais aussi de montrer qu’il est possible de faire quelque chose de différent avec toujours le même matériel. De ce fait, In Another Country semble être une explication de l’œuvre de HSS, une sorte de défense contre ceux qui ont tendance à dire que ses films sont tous identiques, que la répétition est pesante, inutile et non créatrice puisque « la grande affaire de Hong Sang-soo, c’est l’invisible infusion du romanesque dans le quotidien ».

A lire ses lignes, on craint de voir sur l’écran une narration complexe, intellectuelle et pédante. Ce qui est magnifique avec Hong Sang-soo, c’est qu’il est tout le contraire : c’est simple, naïf et euphorisant. Le plus bel exemple est (à mon avis) le film Ha ha ha (2010), peut-être son meilleur film, où se retrouvent deux amis qui ne se rendent pas compte qu’ils parlent tous deux de la même personne depuis le début de l’histoire. L’humour, bien évidemment, est une notion phare de son cinéma et permet de désamorcer un discours d’adultes souvent pris au piège par leur vision trop sérieuse de la vie. Dans In Another Country, c’est aussi la barrière de la langue, et donc de la communication (les personnages sont souvent de dos), qui est abordée, comme dans cette scène géniale de barbecue où le personnage d’Isabelle Huppert est invitée chez un couple coréen qui ne cesse de s’engueuler dans leur langue à propos de l’étrangère. Si la langue permet le contact, elle laisse aussi le conflit s’instaurer ; ce qui n’est pas possible avec la femme française, trop belle, si différente et si intouchable pour les autochtones. Mais finalement, la grande prouesse du film, c’est la capacité qu’il a d’employer les mêmes scènes pour expliquer des choses différentes : chacune des trois histoires réemploie en effet les mêmes personnages, le même lieu, la même ambiance autour d’un objet qui se ressemble à chaque fois, mais qui n’est pas le même. Le treizième film de Hong Sang-soo pourrait bien être celui de la confirmation d’un des plus talentueux cinéastes de sa génération, mettant en scène les rouages de son style.





Les quelques citations entre guillemets sont tirées des Cahiers du Cinéma, le numéro d’octobre 2012.