Illustration : vitfait |
Comme pour emmerder
Comme s’ils désiraient sauter à
pieds joints dans une flaque de boue pour éclabousser le plus de passants
possible, Tame Impala (c’est-à-dire Kevin Parker et Dave Fridmann, le
producteur) ont très vite décidé que la batterie devait sonner fort, très fort.
La plupart des groupes indépendants font souvent face à un producteur qui leur
demande de baisser la batterie, parce que ce n’est pas l’instrument principal
et que c’est inécoutable ensuite. Kevin Parker a trouvé la parade en siégeant seul au
centre du groupe et ayant trouvé la personne parfaite à qui s’adresser. Dave Fridmann n'a pas produit le deuxième album du groupe de Parker (comme ce fût le cas pour le premier), mais ce dernier a quand même demandé de l'aide à Dave pour le mixage finale. Et ça se ressent.
Le premier album sorti en 2010, InnerSpeaker, utilisait déjà cette formule. Le très impressionant single "Solitude is Bliss" étonnait d’ailleurs par la sur-présence de la
batterie – fantastique ! Quitte à ce qu’on entende mal ce que marmonne
Kevin, la batterie est boostée et cela pour deux
raisons : ce n’est pas une batterie habituelle, les rythmes sont soit
débiles (plan plan plan à chaque temps), soit complètement loufoques (sur le
titre "Endors Toi" où l’on craint une faute de rythme à chaque coup
de caisse claire). Mais cette exagération (et c’est la seconde raison) aura le
mérite de ne pas sonner comme un groupe indé chiant. Ce qui aurait pu très bien
arriver à ce cher Kevin Parker s’il n’avait pas rencontré Dave Fridmann. Car
soyons honnête, si Tame Impala séduit, c’est parce que le maître d’orchestre
n’est autre que Dave, l’homme qui a produit Oracular Spectacular de MGMT (sûrement le meilleur album pop rock des 2000) ou
bien les meilleurs disques des Flaming Lips. Dave, quand il produit, ne se
cache pas derrière un groupe. Il le prend, le triture, le retourne, le pousse à
bout, le détruit et le reconstruit à sa manière. Plus que les précédents, Tame
Impala est un spécimen étrange auquel Dave semble s’attacher, puisqu’il a
repris les commandes pour cette deuxième galette intitulée Lonerism.
La batterie justement
C’est sans surprise donc que le
second disque de Tame Impala débute sur un beat de batterie devenant ainsi l’unique base du morceau introductif, "Be Above It". Pour une
intro, c’en est une. Et d’ailleurs, c’en est tellement une qu’il semble que Kevin ait oublié d’en faire une chanson. Comme un pet dans l’eau, l’amorce de
l’album déçoit un peu, reste insignifiante laissant planer une idée moyenne
sans jamais oser l’exploiter. Même son de cloche pour la plage suivante
d’ailleurs qui patauge malgré l’envie ressentie dans le solo finale. En fait, Lonerism ne
commence vraiment qu’à la plage numéro trois et son majestueux "Apocalypse
Dreams". Le premier single de l’album démarre sec, avec cette batterie imitant le piano (ou serait-ce l’inverse ?),
emmené par une partie vocale séduisante et efficace qui se dédouble dans une
partie ahurissante où le refrain et le couplet s’entremêlent. La chanson
s’accouple avec elle-même, donnant naissance à une seconde partie aux accents
égyptiens et menaçants qui s'éliminent en fade out.
Lennon en force
Le grand Tame Impala débute
alors. Sur une simulation surprenante du Lennon de Sgt Peppers, "Mind Mischief" est tout simplement le morceau le plus profond du disque aux
phrasés hallucinogènes (I just don’t know where
the hell I belong) conduit par un riff génialissime, lent et préoccupant pour arriver au refrain sorti tout droit d’une pilule de LSD. Un régal absolu. Si "Music To Walk Home By" redescend
d’un cran malgré un bon riff baignant dans du flanger (et son solo finale sur les cordes basses !), "Why Won’t They Talk To Me" vient rechercher ce côté Lennon que
Kevin Parker affectionne de plus en plus. Titre aux allures de tube, sans
tomber dans le pastiche, on sent alors que Tame Impala contrôle son truc, comme
ce double départ magnifique du début du titre. Et puis il y a l’énorme "Feels Like We Only Go Backwards" qui dès la première écoute, vous
engloutit dans une tendre tiédeur délirante. Peut-être la meilleur chanson de
Tame Impala, peut-être la meilleure touche du disque, peut-être la joie de
réentendre la chanson pop parfaite. Ici c’est Paul qui côtoie John et ce
dialogue confirme que l’album entier semble tirer ses meilleures lignes du
quatuor de Liverpool. Alors qu’on pensait le rêve terminé, "Keep On
Lying" s’ouvre comme par erreur sur un fade in insignifiant (marque de faiblesse ?) alors que
l’essence de l’album se retrouve en fait uni dans ce morceau dont la base est
un beat primaire qui s’entoure de couleurs flamboyantes. Sur la longueur (la
voix chante en tourbillon To the end of this song), le titre rappelle "Pipers" de Floyd sans jamais bêtement le citer et exprime
une synthèse de tout ce qu’est capable de faire le groupe, ou Kevin Parker seul.
Le titre FM "Elephant" vient
clore ce parfait parcours. En somme, ce sont les deux singles qui ouvrent et
achèvent la partie centrale de l’album, la qualité intrinsèque et
indestructible du disque. Si "Elephant" utilise une idée déjà très
employée chez ses ex-contemporains de BRMC ou White Striphes (le gros riff de
basse), c’est chez Deep Purple et des titres comme "Black Night"
ou "Space Truckin’" qu'il faut aller piocher. En fait, le morceau de Tame Impala
est un savant mélange de ces deux chansons, en plus psyché. La fin de l’album
est légèrement décousue, avec un titre bizarre qui ne dure pas une minute et
une sorte de long trip d’allumés. La ballade "Sun’s Coming Up" se
trouve être la véritable surprise du disque. Peut-être un brin mielleuse, cette ballade
aux accents gothiques est à la limite du pathétique mais tient tout de même la
route. Le final joue sur des sons de grattes, où Kevin Parker semble se
retrouver seul avec sa guitare et un enregistreur mono sur une plage
australienne.
Eté indien
Comme pour prolonger le plaisir,
Tame Impala fait perpétuer la belle saison durant l'été indien et
éphémère, faisant survivre le rock’n’roll, Lennon et les vendeurs de pédales à
effets. Un album qui ne se juge pas vraiment en somme ; il vient juste
asseoir le statut d’un mec qui pense que les 60s et 70s ne sont plus une honte
comme influence, mais un bouquet coloré qui ne lasse pas, et se réinvente.
Tame Impala vient ainsi reprendre un flambeau volontairement laissé tombé par
les Strokes, White Stripes ou Wolfmother. Une sortie de retour en arrière... pour mieux rebondir.