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26 octobre 2012

Tame Impala : dernier bastion rock ?

Illustration : vitfait
Un deuxième album sorti il y a deux semaines, un concert à Lausanne prévu ce week-end aux Docks, Tame Impala est le groupe qu’il est difficile à éviter cet automne. Retour sur une espèce pas comme les autres, dont le centre est son tout (Kevin Parker est à lui seul Tame Impala) et qui exploite les points forts du passé et du futur d’une formation rock. Dernier rempart électrique et bouillant, les originaires de Perth se trouvent à l’aube d’une décennie qui préfère oublier quelques temps les guitares et batterie d’époque trop bruyantes.
Comme pour emmerder
Comme s’ils désiraient sauter à pieds joints dans une flaque de boue pour éclabousser le plus de passants possible, Tame Impala (c’est-à-dire Kevin Parker et Dave Fridmann, le producteur) ont très vite décidé que la batterie devait sonner fort, très fort. La plupart des groupes indépendants font souvent face à un producteur qui leur demande de baisser la batterie, parce que ce n’est pas l’instrument principal et que c’est inécoutable ensuite. Kevin Parker a trouvé la parade en siégeant seul au centre du groupe et ayant trouvé la personne parfaite à qui s’adresser. Dave Fridmann n'a pas produit le deuxième album du groupe de Parker (comme ce fût le cas pour le premier), mais ce dernier a quand même demandé de l'aide à Dave pour le mixage finale. Et ça se ressent.

Le premier album sorti en 2010, InnerSpeaker, utilisait déjà cette formule. Le très impressionant single "Solitude is Bliss" étonnait d’ailleurs par la sur-présence de la batterie – fantastique ! Quitte à ce qu’on entende mal ce que marmonne Kevin, la batterie est boostée et cela pour deux raisons : ce n’est pas une batterie habituelle, les rythmes sont soit débiles (plan plan plan à chaque temps), soit complètement loufoques (sur le titre "Endors Toi" où l’on craint une faute de rythme à chaque coup de caisse claire). Mais cette exagération (et c’est la seconde raison) aura le mérite de ne pas sonner comme un groupe indé chiant. Ce qui aurait pu très bien arriver à ce cher Kevin Parker s’il n’avait pas rencontré Dave Fridmann. Car soyons honnête, si Tame Impala séduit, c’est parce que le maître d’orchestre n’est autre que Dave, l’homme qui a produit Oracular Spectacular de MGMT (sûrement le meilleur album pop rock des 2000) ou bien les meilleurs disques des Flaming Lips. Dave, quand il produit, ne se cache pas derrière un groupe. Il le prend, le triture, le retourne, le pousse à bout, le détruit et le reconstruit à sa manière. Plus que les précédents, Tame Impala est un spécimen étrange auquel Dave semble s’attacher, puisqu’il a repris les commandes pour cette deuxième galette intitulée Lonerism.


La batterie justement
C’est sans surprise donc que le second disque de Tame Impala débute sur un beat de batterie devenant ainsi l’unique base du morceau introductif, "Be Above It". Pour une intro, c’en est une. Et d’ailleurs, c’en est tellement une qu’il semble que Kevin ait oublié d’en faire une chanson. Comme un pet dans l’eau, l’amorce de l’album déçoit un peu, reste insignifiante laissant planer une idée moyenne sans jamais oser l’exploiter. Même son de cloche pour la plage suivante d’ailleurs qui patauge malgré l’envie ressentie dans le solo finale. En fait, Lonerism ne commence vraiment qu’à la plage numéro trois et son majestueux "Apocalypse Dreams". Le premier single de l’album démarre sec, avec cette batterie imitant le piano (ou serait-ce l’inverse ?), emmené par une partie vocale séduisante et efficace qui se dédouble dans une partie ahurissante où le refrain et le couplet s’entremêlent. La chanson s’accouple avec elle-même, donnant naissance à une seconde partie aux accents égyptiens et menaçants qui s'éliminent en fade out.


Lennon en force
Le grand Tame Impala débute alors. Sur une simulation surprenante du Lennon de Sgt Peppers, "Mind Mischief" est tout simplement le morceau le plus profond du disque aux phrasés hallucinogènes (I just don’t know where the hell I belong) conduit par un riff génialissime, lent et préoccupant pour arriver au refrain sorti tout droit d’une pilule de LSD. Un régal absolu. Si "Music To Walk Home By" redescend d’un cran malgré un bon riff baignant dans du flanger (et son solo finale sur les cordes basses !), "Why Won’t They Talk To Me" vient rechercher ce côté Lennon que Kevin Parker affectionne de plus en plus. Titre aux allures de tube, sans tomber dans le pastiche, on sent alors que Tame Impala contrôle son truc, comme ce double départ magnifique du début du titre. Et puis il y a l’énorme "Feels Like We Only Go Backwards" qui dès la première écoute, vous engloutit dans une tendre tiédeur délirante. Peut-être la meilleur chanson de Tame Impala, peut-être la meilleure touche du disque, peut-être la joie de réentendre la chanson pop parfaite. Ici c’est Paul qui côtoie John et ce dialogue confirme que l’album entier semble tirer ses meilleures lignes du quatuor de Liverpool. Alors qu’on pensait le rêve terminé, "Keep On Lying" s’ouvre comme par erreur sur un fade in insignifiant (marque de faiblesse ?) alors que l’essence de l’album se retrouve en fait uni dans ce morceau dont la base est un beat primaire qui s’entoure de couleurs flamboyantes. Sur la longueur (la voix chante en tourbillon To the end of this song), le titre rappelle "Pipers" de Floyd sans jamais bêtement le citer et exprime une synthèse de tout ce qu’est capable de faire le groupe, ou Kevin Parker seul.

Le titre FM "Elephant" vient clore ce parfait parcours. En somme, ce sont les deux singles qui ouvrent et achèvent la partie centrale de l’album, la qualité intrinsèque et indestructible du disque. Si "Elephant" utilise une idée déjà très employée chez ses ex-contemporains de BRMC ou White Striphes (le gros riff de basse), c’est chez Deep Purple et des titres comme "Black Night" ou "Space Truckin’" qu'il faut aller piocher. En fait, le morceau de Tame Impala est un savant mélange de ces deux chansons, en plus psyché. La fin de l’album est légèrement décousue, avec un titre bizarre qui ne dure pas une minute et une sorte de long trip d’allumés. La ballade "Sun’s Coming Up" se trouve être la véritable surprise du disque. Peut-être un brin mielleuse, cette ballade aux accents gothiques est à la limite du pathétique mais tient tout de même la route. Le final joue sur des sons de grattes, où Kevin Parker semble se retrouver seul avec sa guitare et un enregistreur mono sur une plage australienne.


Eté indien
Comme pour prolonger le plaisir, Tame Impala fait perpétuer la belle saison durant l'été indien et éphémère, faisant survivre le rock’n’roll, Lennon et les vendeurs de pédales à effets. Un album qui ne se juge pas vraiment en somme ; il vient juste asseoir le statut d’un mec qui pense que les 60s et 70s ne sont plus une honte comme influence, mais un bouquet coloré qui ne lasse pas, et se réinvente. Tame Impala vient ainsi reprendre un flambeau volontairement laissé tombé par les Strokes, White Stripes ou Wolfmother. Une sortie de retour en arrière... pour mieux rebondir.


Tame Impala est en concert ce samedi (27 octobre) aux Docks de Lausanne
– unique date suisse