Photo: Frédéric Gabioud
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Un festival de films n’est pas comparable à un festival de musique actuelle. On peut par exemple sans problême demander aux guichets de la billetterie de déposer son sac et de venir le rechercher plus tard. Dans la salle, qui remplace alors la fosse du public, boissons (même non alcoolisées) et nourritures sont prohibées, idem que les sonneries des téléphones portables. Aller tout devant n’est non plus pas un problême ; même pis, le premier rang assure souvent les derniers sièges de libre. Quand au milieu du film on manque de s’endormir (ce qui peut aussi arriver lors d’un mauvais concert) à peine levé, un aimable membre du staff vous éclaire, comme si vous étiez subitement une star, vos pas guidés et rendus importants aux yeux de tous pour empêcher une maladroite chute devant les deux ou trois cent spectateurs de La Sala concentrés à ne pas décrocher de ce court-métrage hongrois en noir et blanc qui a tout l’air d’être du Sokourov mais qui en est finalement très loin. La grande scène (la Piazza Grande) connaît une voie de secours au cas où une tempête de pluie s’abat sur le Tessin (ce qui arrive souvent). Le film est alors déplacé dans l’immense et affreux auditorium Fevi où le mec qui s’occupe du son doit être la résurrection du sound engineer de la tournée 2007 de Black Rebel Motorcycle Club. A ce moment oui, on est presque comme à un concert et on frise même le larsen. Par contre, comme en musique, la critique est semblable. Locarno 2012 avait beaucoup de promesses, en a confirmé quelque unes mais aussi eu son lot de déception et même de honte.
La blague
Le film d’ouverture par exemple, The
Sweeney (Nick Love, 2012). Pur film
d’action british, l’idée du film n’est pas désagréable mais l’application est
inintéressante, poussive et lassante. Une bande de super-flics (pour la plupart
d’anciens délinquants) réussit à détourner une série de hold-ups qui sévissent
à Londres. Malgré une séquence assez étonnante de fussillade-poursuite sur
Trafalgar Square, rien à retenir du film d’ouverture si ce n’est la poitrine de
l’actrice principale qui permet d’oublier l’horrible prestation d’un diva
helvète qui entonna l’hymne nationale suisse une heure avant sur la Piazza
Grande : 8 minutes de souffrance. The Sweeney a partiellement rattrapé le coup, restant un bon film
d’action pour ceux qui aiment l’action, les poursuites dans les villes et les
affaires de flics gentils vs flics méchants. On aurait préféré voir un
long-métrage comme Lore en
ouverture, de la réalisatrice australienne Cate Shortland, projeté le
lendemain, et qui raconte la fin de la Deuxième Guerre Mondiale d’un angle
rarement exploité : celui d’enfants allemands livrés à eux-mêmes et
laissés seuls par leurs parents nazis. Une mise en scène discrète renforcée par
deux excellentes jeunes actrices, ce film a de grandes chances de connaître un
très bon accueil public en Europe. La qualité sur la Piazza est donc illégale
puisque le troisième soir, le dernier Soderbergh (que l’on peut franchement
commencer à surnommer Sodermerde), montra le pire au public venu nombreux en ce
premier soir de week-end (je préfère ne même pas en parler). En première
partie, la magie naïve et adolescente des réalisateurs de Little Miss
Sunshine (Dayton et Faris) avait réussi son
tour avec Ruby Sparks, l’histoire
allenienne d’un écrivain qui rencontre la fille qu’il a créé dans son roman.
Wrong
On en attendait beaucoup dans les
larges bureaux de Think Tank du dernier
long-métrage de Quentin Dupieux. Nous qui avions adoré Rubber et dont les blagues de Steak illuminent à chaque fois les petits-déjeuners de
l’équipe des chroniqueurs de notre loft, l’histoire d’un jeune trentenaire,
Dolph Springer, qui se lève un matin et remarque qu’il a perdu son toutou.
L’ouverture, les 25 premières minutes sont bonnes. Gags absurdes, clichés
ricains et personnages originaux sont au menu mais l’histoire pêche assez vite.
Il faudrait que notre cher ami Quentin cesse une bonne fois pour toute de
vouloir tout faire dans ses propres films : l’image, la musique, le
scénario et le montage. Le film manque aussi de folies et d’explosions
narratives. Le retour d’Eric (de Eric & Ramsy) est le bienvenu en jardinier
et l’homme qui repeint des voitures est sublime, mais la mayonnaise a de la
peine à prendre dans Wrong comme
si quelque chose n’avait pas fonctionné (c’était peut-être le but
aussi) et nous ne doutons pas du potentiel de Q.D. qui persévère dans un
style qui permet de déceler la création d’une œuvre dont le meilleur est à
venir.
Et les Suisses dans tout
ça ? Si les court-métrages sont plutôt pénibles (si ce n’est le léger mais
plutôt réussi L’Amour Bègue de Jan Czarlewski)
Simon Baumann et Andreas Pfiffner nous ont concocté un truc tout frais et
réjouissant : Problem Image
est une sorte de documentaire sur le problème d’image qu’ont les Suisses avec
leurs voisins européens. Interviews et mise en abîme du travail de
documentariste composent ce film original et extrêmement bienvenu dans un
paysage souvent trop sérieux que les productions helvètes ont tendance à
favoriser. Pour terminer, notre coup de cœur (non actuel) de cette moitié de
festival reste un film proposé dans la rétrospective Otto Preminger de 1963, Le
Cardinal qui retrace durant 3 heures la
vie d’un homme désireux de gravir les échelons au sein de l’Eglise catholique
tout en restant accroché à un idéal amoureux rencontré à Vienne durant sa
retraite obligée. Difficile quand on voit ce type de monstre du cinéma de
parler de ce qui est sorti durant cette année 2012 à Locarno. Cependant, donner
le Léopard d’or à un film à petit budget – que nous n’avons pas vu puisqu’il
était projeté en deuxième partie de festival – tourné dans l’appartement du
réalisateur en utilisant des moyens rustiques pour les effets spéciaux (des
draps pour faire des fantômes) est une idée plus que délicieuse. Un plaidoyer
pour le retour à la simplicité, c’est ce que La Fille de Nulle
Part semble vouloir exhiber, un film de Jean-Claude
Brisseau qui devrait sortir à la fin de l’année en Suisse.