Illustration: Adrien Défago et Darren Roshier |
On en oublie peut-être, de ces endroits exigus où ce qui se crée se laisse un peu oublier pour n'apparaître réservé qu'aux aficionados. Qu'à cela ne tienne ! Sous l'initiative du curateur Martin Jacob, allez vous perdre entre deux murs au Centre d'Art de Neuchâtel (CAN) et vous plonger dans une exposition à deux têtes (et deux barbes), visible une petite semaine encore...
Le mot est de Beckett : ne surtout pas réussir, ne pas vouloir totaliser, finir, aboutir mais toujours remettre la pièce sur le métier en nourrissant un seul espoir, celui de rater mieux. Passé le poncif culturel on entre dans le vif du lieu, de la pièce, de l'endroit. Un dédale de parois blanches et branlantes (façon White Cube bricolé) qui commence par une programmation, un programme plutôt : des lignes de fuite sous forme de commandements ironiques, insistant tous sur la nécessité d'essayer, de ne pas se prendre au sérieux, de tenter, d'échouer, de rebondir. Le ton est donné, et relancé, mis en exergue par le dialogue entre deux postes de télévisions qui enserrent ensuite le visiteur au détour du prochain couloir : Adrien Défago et Darren Roshier y conversent, entre potes, devisent sur les phrases qui s'affichent au mur précédent. Au fur et à mesure le discours se disloque et bringuebale, c'est qu'ils se moquent, les deux comparses, de cette forme autoritaire que représente la vidéo explicative sensée transcrire une objectivité neutre, inscrire l'artiste dans le blanc d'une histoire où les références se côtoient comme des statues mortes. Le ton, c'est là le premier indice, fendard et candide sous les atours du sérieux, invitant le spectateur à en rire aussi, à se détendre, à laisser la capillarité prendre le dessus sur les expressions lourdes et pétries de réflexion qu'une exposition d'aaaart est sensée susciter.
C'est ensuite que s'ouvre la grotte, le gros du travail des deux déglingueurs. Pelle-mêle. Des toiles, trois portraits hiératiques de Darren Roshier tout d'abord, ses "prises de positions", sosies délirants en format mondial, grotesques et salutaires. Des dessins d'Adrien Défago, soutenus par du scotch parce qu'"il y a plus de scotch que d'idée", et qu'il faut bien que ça tienne. Des vidéos, aussi, de choses que ce dernier sais presque bien faire : jongler ou se contorsionner sur le sol dans l'espoir d'accomplir des abdominaux. "Le titre de ce tableau est inscrit au dos", indique un cadre au-dessus de nos têtes, et en le retournant on pariera que le dos dit la même chose. C'est cette tautologie aussi que l'exposition raille : l'art pour l'art, l'art en soi qui s'assèche et passe son temps à se mordre le dos.
Bref, plutôt que de la création, c'est de l'artiste et de son statut que nous parle "Art moyen vs ISMISM..." de la déification dont il a fait et fait l'objet aujourd'hui, allant jusqu'à l'assimilation à ces "héros" modernes que prétendent être nos capitaines d'industrie, (pensons à Damian Hirst, qui cumule les deux casquettes). C'est sans circularité pourtant que le projet de Darren Roshier et Adrien Défago s'adresse au spectateur, mais dans une répétition inlassable de blagues potaches, de bourrades et de vannes finaudes qui toutes ont pour but de ne pas réussir, de célébrer la rature, le brouillon, largement plus producteurs dans l'entreprise créative. Et avec cette suggestion libératrice qu'on peut aussi faire de l'art en fumant des clopes et en se donnant des claques dans le dos.
Fumiste