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06 mars 2012

TT Speaches / Février 2012

Illustration: vitfait



« Le temps de février annonce celui des mois suivants » : après un excellent mois de janvier posant Evian Christ, John Talabot et First Aid Kit sur le podium, ces 29 derniers jours sont cruciaux pour tenter d'esquisser qui sera un acteur majeur de 2012, ou pas, comprenant, ici et là, une participation aux principaux festivals de l'été – alors que se dévoile peu à peu les grandes lignes des line-up. Pas mal de newcomers pour février, mais aussi des confirmations. 


Julien: Avant de traiter des sorties mensuelles, faisons un aparté. Alors que le débat sur l'initiative sur le prix unique du livre est assez chaud, avec certains acteurs plus que virulents, s'administrant des arguments comme on jette des sceaux d'eau, on revient paradoxalement au cas sinistre des échoppes de disques. On y entend: « que les libraires se réveillent s'ils ne veulent pas terminer comme (ces) disquaires, incapables jadis d'adaptation ». Évidemment, la partie pour ces derniers semble pliée depuis pas mal d'année, la courbe fléchissant irrémédiablement alors même qu'on ne parlait encore de Kindle. Soit, nous vous réitérons notre invitation à vous rendre le plus possible chez les derniers vrais disquaires restants. Ou, j'y viens, à profiter des soldes hallucinants des succursales d'anciens groupes dominants jadis le marché, ou en voie de réaffectation (le cas de la Fnac est flagrant). Hier, je me suis rendu à Vevey dans ce qui s'appelait alors City Disc, avant d'être racheté par le groupe de téléphonie Orange – je cherchais rapidement un disque à offrir pour un anniversaire. Sur les rayons, du franchement n'importe quoi - des vinyles de Rihanna, si si, des coffrets de Metallica à 70%, de la trance, mais aussi des trésors que j'aurai voulu sauver: une compilation des Dandy Warhols, THE SUBURBS d'Arcade Fire, 101 de Keren Ann ou encore le plantage suprême des Arctic Monkeys, SUCK IT AND SEE. Le tout pour 40 francs de nos sous suisses. Sûr de mon coup, je prends le tout, avec dans les sacrifiés, du Fujiya & Miyagi et d'autres. J'aurai voulu sauver: les deux caisses sont occupées à vendre du iPhone avec des tas d'option en abonnement. Pas moyen d'échanger mes deux billets de 20CHF contre ma BA; il faut prendre un ticket. Sauf que les abonnements, ça prend du temps. Je repose les disques et me jure de débuter ce nouveau Speaches par cette triste expérience témoignant de la fermeture prochaine des City Disc dans toute la Suisse… Nous savons qu'ici nous ne prêchons que des convaincus, mais tentons de rester optimistes pour la suite. Parce que, finalement, des bons disques susceptibles d'être achetés avec grand plaisir, il y en a des tonnes, dont ceux ci-dessous.




Julien: Impossible de passer ce mois-ci à côté du fourre-tout DJANGO DJANGO, du groupe éponyme. Les Edimbourgeois prennent le prénom de Reinhardt mais s'inspire de Liquid Liquid - album Son of Django, courent sur les dunes, clubbent, s'envolent et débranchent tout, à tour de rôle. Un beau programme rappelant récemment James Pants ou WhoMadeWho: ces mecs-là pourraient autant terminer sur une BO de film au cœur brisé "(Hand Of Man"), en première partie de Gorillaz ("Storm", "Default"), bande son garage de soirées rockabilly ("WOR"), sur une scène cool du Primavera ("Skies Over Cairo", "Hail Bop", "Silver Rays") ou, mieux, dans le sac à DJ des Round Table Knights ("Zumm Zumm", "Waveforms"). Caribou première tendance n'est aussi pas loin sur "Firewater" ou l'imparable "Love's Dart". Hormis l'étiquette facilement attribuable à Django Django de groupe folktronica,  on retiendra celle de pop ultra-efficace - hype bien sûr, aux mille contours à la belle tradition entamée il y a longtemps par des groupes précurseurs et surtout flairant les bons coups comme les Beatles - l'électro en moins, évidemment. Assez dense, DJANGO DJANGO devrait se décanter sur scène, on l'espère. A suivre, et à voir à coup sûr cet été (et déjà à Electron en avril). L'autre hype du mois est ce disque VISIONS signé de Grimes, n'est-ce pas Pierre? Avec une telle pochette et un nom aussi évocateur, on aurait pu s'attendre à du dégomme. Et pourtant, c'est ultra sensuel et esthétisant. J'suis pas hyper convaincu, mais qu'en est-il plus exactement?


Pierre : C’est sûr le Grimes est une des grosses sorties du mois, VISIONS a et va continuer à provoquer fascinations, agacements et louanges. C’est en tout cas un album qui mérite bien une chronique à part, ce qui sera fait dans les prochains jours. Mais malgré tout le bien que je pense de Grimes, pour mon disque du mois, je cède au charme d’un album hors du temps : DRAPE ME IN VELVET de Musette. Un disque tout bleu, véritable bal féérique. Dès le premiers sons, ce sentiment que ce disque est une petite merveille que l’on réécoutera avec délice toute sa vie. Musette se met en bleu, comme un certain Sébastien Tellier, mais se garde de toute la mise en scène roborative de ce dernier. Musette, c’est en fait la musique que Tellier tente parfois de faire et a presque parfois écrite. DRAPE ME IN VELVET, c’est onze titres portés par des claviers limpides, réhaussés par des effets discrets, que ce soit à l’aide d’autres instruments ou de samples électroniques artisanaux, réalisés avec de vieilles cassettes. Le tout sonne évidemment un peu daté mais sans nostalgie rétro. On se trouve face à un œuvre de véritable esthète, qui fait penser à des vieux Walt Disney. Elle regorge de mille beautés soignées et parfaitement façonnées, tout en étant facile d’accès grâce à une simplicité merveilleuse qui ne peut être le fait que d’une sincérité absolue. On parle souvent de trésor caché en musique. S’ils existent, DRAPE ME IN VELVET en fait partie et il n’y a même pas besoin de fouiller pour dénicher des joyaux comme  "Little Elvis", "Fine" ou "Coucou Anne".


Julien: Cela me fait penser que l'on n'a pas parlé de Sébastien Tellier: MY GOD IS BLUE sort le 20 mars, et pour ma part je me réjouis de voir là où ça va taper. On peut vraiment s'attendre à tout, ce qui fait du bien dans un paysage musical assez convenu généralement. Dans la même veine, c'en est presque étonnant de sortir des Musette, venus de nulle part. Quilt, c'est du love rock, du Jefferson Airplane adolescent, du lo-fi contemporain qui a mal tourné. Et d'ailleurs, le groupe ne dit pas le contraire sur sa fiche d'identité: "When kids from the 80s dreamed about people from the 60s thinking about life in the future".  Mexican Summer livre régulièrement d'excellents artistes sur le marché: Ariel Pink, Nite Jewel, Oneohtrix Point Never, Kurt Vile, The Soft Pack, Black Moth Super Rainbow etc. Pas vraiment de recherche de genres, mais plutôt des styles assumés et travaillés.  QUILT est sorti en novembre 2011, on est un peu en session rattrapage, ceci grâce au titre dément "Penobska Oakwalk". Avant cette ballade désinvolte et habitée, on savoure l'épique et équivoque "Cowboys in the Void" annonçant des lives déments. Honnêtement, il n'y a rien à jeter, surtout pas les multiples voix ultra bien enregistrées, pas mal de revirements de compositions, du hard rock, du psyché, du rêve, quoi, comme s'ils avaient repris l'affaire laissée en cours par les géniaux Tame Impala. Le rêve américain, directement importé de Boston.





Julien: Dans le registre pop, le groupe Islands n'est pas le plus manche ni le moins expérimenté. Avec une première partie de carrière sous le nom de Unicorns, les montréalais sont actifs depuis bientôt 15 ans sous l'égide d'une pop luxuriante mais pas si accessible que cela. Des "Pieces of You" tubesques, il n'y en eut que peu finalement. Je retiens des Islands deux merveilleux concerts, dans des formats radicalement opposés, lors du Rock'oz Arènes 2006 et de la semaine de la musique de Berlin 2008, aux somptueux Volksbühne. En première partie de Jay-Jay Johnasson et de Martha Wainwright, excusez du peu, la troupe avait sorti une prestation hallucinante, éreintante et à sens unique, un peu comme si les Byrds jouaient sur des instruments de métal. Partant de ce constat, retrouver les Islands pour un nouvel album - leur quatrième - tiendrait presque du miracle. Sorti chez le label d'origine, ANTI-, A SLEEP & A FORGETTING baisse encore et toujours le rythme pour présenter un groupe apaisé et sûr de son fait. "This is Not a Song" sonne presque soul, c'est dire, "No Crying" proche de l'americana. Ce nouvel LP est une belle somme de ballades bien foutues - "Oh Maria" esquissant le nouveau virage classique pris par le groupe. Moins bizarroïde, plus adulte?


Raphaël: Puisqu'on parle pop arty, si on comptait le nombre de groupes sortis l'année passée dont le nom comprend « young » ou « magic », je crois qu'on aurait fait le tour des albums indie branchés (et souvent surestimés). Et pourtant, les trois australiens de Young Magic, même s'ils remplissent probablement les deux caractéristiques précédemment énoncées, ont su exceller dans la pop avec MELT, petit bijou aisément critiquable mais terriblement attachant. Sortis d'un peu nulle part et signés sur Carpak records (Dan Deacon, Beach House, Toro Y Moi), ils font partie de ces groupes qu'on préférerait ne pas aimer : hipsters, one-shot probable, largement inspirés d'animal collective, Efterklang ou Korallreven, tout semble bon pour les passer à la trappe du déjà (trop) entendu. Pourtant, leur musique recèle une saveur particulière :  une odeur, peut-être issue du fait que l'album a été composé lors de ce qui ressemble à un tour du monde -quoi de plus bobo pourtant?- et réalise un grand écart réussi entre pop ultra-accessible et balade tribale indécemment exotique. Les rythmiques africaines (ou aborigènes? Auraient-ils puisé dans le patrimoine australien ?)font merveille sur cet album-bande-son doucement mélancolique et évanescent et révèlent un spleen adolescent contrebalancé par la maturité de la production, elle rigoureusement impeccable. Même si ''Melt'' rappelle un bon nombre de ces groupes scandinaves ayant émergé ces dernières années (Mùm, Efterklang justement, Amiina, etc.), il n'est ici pas question de bricolage  faussement amateur : Young Magic frise l'épique, le grandiloquent (''Cavalry''), balance des couches de reverb à tout-va et, même en se heurtant à l'échec (le Gold Panda cheap de "Jam Karet"), prend parfois un peu de risques (''Yalam", tribal et plus brut, par exemple) et réussit la cohérence totale entre chansons et soundtrack psychédélique, là où un nombre incalculable d'autres groupes (Vampire Weekend par exemple) ont dérivé vers l'intellectualisme pop surconscient. Une matière organique qui promet un live immersif. 


Pierre : Dans le rayon A MORT LA WORLD MUSIC, ce mois-ci sort SHANGAAN SHAKE. Il s’agit en fait de la compilation des différentes remixes de titre de Shangaan Electro, style musical sud-africain intronisé par une compilation lors de la coupe du monde de football. Le Shangaan Electro se joue à 180 BPM tout en se basant sur des chants traditionnels. Les conséquences inévitables sont des danses de folie et des titres qui leur ressemblent comme "Nwa Gezani My Love". Avec SHANGAAN SHAKE, Honest Jon’s Records rassemble différents remixes par plusieurs artistes qui n’appartiennent pas à la scène Shangaan Electro. Comme souvent dans ce genre de cas, l’intérêt des titres varie, avec du plus ou moins expérimental, du plus ou moins réussi, du plus ou moins accessible, et quelques perles. Signalons ici la contribution de Hype Williams refuse de prendre le Shangaan dans le sens du poil, tire sur le frein pour le transformer en un dub enfumé.


Julien: Bonobo fut l'un des premiers musiciens présent sur Think Tank, en décembre 2010, chroniqué lors de son concert aux Docks de Lausanne. En formation live, Simon Green emmenait un batteur, un saxophoniste et une choriste de grande envergure (Andreya Triana). Depuis, pas mal de collaborations pour ce cheval de course de Ninja Tune et surtout un disque de remixes signé par des proches du Londonien, BLACK SAND REMIXED et non des moindres: Machinedrum, Lapalux, Mark Pritchard Floating Points. De ce dernier producteur, "Eyesdown" se trouve à prendre une fière allure, proche des productions de Matthew Herbert pour Moloko, ou saccade après le remaniement de ARP01. Avec  DELS et Andreya Triana, ce même titre tourne en rap impeccable. "All In Forms" repris par FaltyDL n'évite pas les détours pour une track moins accessible que d'autres. "Ghost Ship" redonne du sens à tout cela avec une version originale que légèrement modifiée par Bonobo, avec ce style assez vite reconnaissable, entre jazz cool et downtempo sur fond de référence commune de hip hop (RJD2 rôde). On aborde aussi d'autres styles avec le linéaire "Stay The Same" (par Mark Pritchard), la grosse dubstep à 160BPM de Machinedrum sur Eyesdown - qui pour mixer un titre pareil? - l'électronica sensuelle avec Mike Slott ("All In Forms"), ou encore le très hanté "Stay the Same" par Blue Daisy. Beaucoup de remixes, parfois passables ("Black Sands" par Duke Dumont ou "The Keeper" par Banks) et quelques bonnes pistes à garder pour faire danser: ce BLACK SAND REMIXED est essentiel pour ceux qui aiment gagner du temps lors de recherches de remixes et, par ailleurs, pour observer quelques producteurs dans leur grande forme (Floating Points, bien sûr, mais aussi FaltyDL. Une bonne partie du disque est écoutable sur son Soundcloud.
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Raphaël: Pour continuer une parenthèse électronique aux beats hachés, plus hantée cette fois, je me devais de m'arrêter sur le nouveau Burial. Depuis quelques années, celui qui a, il faut tout de même le
rappeler, fait partie des précurseurs d'un nouveau genre de musique, semblait tourner en rond à force de faire du Burial. Cette fois-ci, il revient avec KINDRED, un excellent EP. Il ne s'agit pas d'une révolution totale, mais de morceaux, passez-moi l'expression, plus en chair. On reste dans les souterrains, on garde les samples de voix parfois franchement dégueulasses, mais une certaine accessibilité nouvelle émerge de ces morceaux. Non pas par leur format (Respectivement 11:25', 7:28' et 11:45'), mais plutôt par leur dimension émotionnelle et vaguement plus club.
En bref : trois plages, une perle : "Loner" ou la track qui fait mal. D'abord, la rythmique un peu alpha, puis l'arpeggio dévastateur, fluide comme une danse subaquatique. 'Loner' est un morceau best-of, une digestion des meilleurs éléments de Burial en moins de huit minutes, sombre sans être franchement dérangeante mais dévastatrice. D'une telle efficacité -plus directe peut-être que le reste de l'oeuvre du bonhomme- qu'on en oublie les deux autres morceaux, pourtant loin d'être mauvais. Là où "Kindred" n'a que peu de caractéristiques insignes, "Ashtray Wasp" offre une parfaite continuation à l'exploration de fonds vaseux et peu hospitaliers, en digne trance dissonante du dimanche soir. Je vous parlais de chair, oui, mais de chair bien flétrie.





Raphaël: Album-hommage aux petits sachets déshydratants et conservateurs qu'on a l'habitude de trouver dans les colis commandés sur le net ou avec les bouquets de fleurs, le dernier album de Bodyguard (le grand James Ferraro aka Bebetune$ aka Acid Eagle aka Pan Dolphin Dawn aka Demon Channels aka New Age Panther Mistique et j'en passe), Silica Gel est aussi intriguant que consistant. Pour ceux qui le connaissent, le flirt (voire l'orgie totale) avec le mauvais goût fait partie intégrante du kit . Sous l'alias Bodyguard, c'est au hip-hop qu'il s'attaque et délivre une mixtape baveuse et ultra-abstraite. Tout y passe, y compris les samples de Rihanna, déconstruits dans un mash-up boiteux et jouissif. Complètement dans l'air du temps (trop?), cette mixtape rappelle autant à certains égards Evian Christ (voir TT Speaches de janvier2011), que certains déboires d'Hyperdub mais conserve, sous les couches et sous-couches, un certaine profondeur et une redoutable inspiration. Alors qu'aucun des morceaux ne laisse d'espace dans ce slow-motion sexuel, des instants s'échappent pour mieux exploser : ''Raiden- Blue Lights # Nzt 48'', lascif et sous-marin, ''Fatal'', bruitiste et brutal ou encore ''Blood Type: 5 hour energy'', industriel quasi-doom, sont assez de véritables morceaux hallucinés, presque involontairement bien ficelés, menant de front une mixtape larvaire qui ferait parfaitement office de soundtrack à une virée sous MD en trottinette chromée et pimpée dans les rues de Miami.


Julien: Une autre star en puissance sort son premier album: la Russe Nina Kraviz paraît un 14-titres sur le label Rekids. Le single "Ghetto Kraviz" lance l'affaire, un clip au club Arena de Berlin à la clé. Un gros beat semble annoncer une bombe; la suite est assez facile car trop prévisible. Kraviz susurre quelques pistes vocales, mixées à ras les pâquerettes, histoire de pas trop prendre de risque. On sent dès le début qu'elle a de quoi s'imposer comme la nouvelle Ellen Allien, mais en plus pimp (« elle me rappelle quand même un peu les meufs qui mixent seins nus » m'a-t-on pertinemment relevé). Seulement, ce genre de track existe depuis une bonne quinzaine d'année dans le circuit minimal… On préfère encore le smooth "Aus" feat King Aus On The Mic, ultra-branché britannique, ou encore "Taxi Talk", sans prétention. Kraviz tente le coup de l'album, auto-produit, sans guests ou presque, avec l'aura grandissante qu'on lui connait. NINA KRAVIZ n'a rien de nouveau à proposer, encore moins de surprenant; dans chaque style évoqué par la Russe émerge d'autres solutions sonores bien plus convaincantes, Moloko, Matthew Herbert (par ailleurs producteur dudit groupe) et Chloé en tête. On garde toutefois volontiers "Petr" comme morceau de choix.





Julien: Pressentie depuis quelques mois comme la future Grande de la scène UK, Speech Debelle sort enfin son premier LP, FREEDOM OF SPEECH. Comme son nom l'indique, pas mal de grande gueule mais qui s'assume et ne s'effoufle pas devant la tâche. "Studio Backpack Rap" est flamboyant, "Live Up for the Message" plus posé: en deux titres, elle donne le ton. Les échos de "Eagle Eye" résonnent contre "Blaze up A Blazer" en featuring avec Roots Manuva. Ce LP est limpide, ultra bien produit, accessible de fait ("I'm With It") mais ne sent pas le coup commercial. Dans le paysage d'un hip hop anglais en pleine révolution, Speech Debelle s'inscrit dans le courant old school mais ne tourne pas le dos au futur/présent, avec quelques tracks ultra-classe ("Shawshank" par exemple). Toujours dans le rayon hip hop, le très influent Madlib sort ce mois-ci le 13ème épisode des MADLIB MEDECINE SHOW, sorte de mixtape dense, foutraque, samplant des classiques et alignant les remixes, de Doom, Jadakiss, Masta Ace (wow!), Common, Talib Kweli, Pharoahe Monch ou Elite Terrorist. C'est parlant: le label Stones Throw présente comme ceci le disque: « Une mixtape de 60 minutes avec certains des meilleurs MC's, à moitié-meilleur (sic), brillants ou proches d'être borderlines ». Là aussi, un disque somme toute assez classique (c'est rassurant).


Julien: Je garde le cap sur la Grande-Bretagne avec la sortie d'un album live gratuit. Sur son tumblr, James Blake offre un petit cadeau de 15 titres, compilant des titres enregistrés en concert, émissions de radio ou de télévision. Il y a autant le premier vrai LP du Londonien que les vieux titres comme "Klavierwerke". Encore une production de Blake, qui s'ajoute à son extraordinaire année 2011 (un LP, un EP, des remixes). Ce LIVE ALBUM pour mieux comprendre aussi comment procède le jeune homme en concert, au clavier, mais aussi au sample de ses sons, avec le micro constamment enclenché, loopant à l'infini sa voix. Ou, parfois, seul, au piano. Certains disent que c'est dans ce cas-là qu'il excelle le plus, rivalisant facilement avec Bon Iver sur ce terrain. Peut-être bien. En tout cas, hormis l’écho sensible, on pourrait faire de ce disque live un excellent bilan d'exercice, quasi un best of.


Pierre : Un truc qui m’a fait halluciner ce mois, c’est la nouvelle chanson de Usher avec à la production Diplo, "Climax". Bon d’accord, c’est une tuerie, ça dégouline de love, j’arrive presque à apprécier un titre de Usher grâce à Diplo. Mais la vérité, c’est que c’est du pompage complet de The Weeknd, sorti il y a une année. C’est moins radical dans le style, il y a des montées bien putassières mais ce retour assumé de l’hyper sensualité est bien là. Ce titre montre une fois de plus la porosité entre musique grand public et scène indé. "Climax", c’est quand même moins bien que "The Party and the After Party", mais, pour du R’N’B de Mall, c’est un des trucs les plus franchement cul que j’ai entendu. Sans vouloir me faire passer pour un prophète de la musique, est-ce que 2012 verra la globalisation du son sensuelle séduction comme 2011 avait vu celle de la musique hantée ("Britney et Rihanna se mettent au dubstep").





Julien: J'ai un peu gardé mon meilleur pour la fin. Si, au final, ce mois ultra hétéroclite ne montre pas du tout grand, mis à part Musette, les britanniques de Tindersticks semblent s'imposer comme une référence pour pas mal de groupes présents sur ce Speaches. THE SOMETHING RAIN (City Slang), leur huitième album, n'a pas ce pouvoir de séduction moderne d'un James Blake ou Burial. Autant dire, Tindersticks, ça calme. Mais qu'est-ce que c'est bien fait. En neuf morceaux étirés et distingués, la formation de Stuart Staples surprend: on croyait l'avoir quitté en mauvais termes, après FALLING DOWN A MOUNTAIN. Morceau le plus accessible de l'album, sans doute, "Frozen" représente bien ce nouveau Tindersticks, en plein forme, jazz et obsédant. Pour parler simplement, prenez la classe US rock de The National avec du dub et pas mal de trip-hop, même si le groupe se ballade sur "Medicine", lève haut le col sur "Show Me Everything"ou croone sur "Slippin' Shoes". L'éthéré "Show Me Everything" contre-balance à la perfection le début d'album plus rythmé. L'excellente livraison est à vérifier live, au Théâtre de l'Octogone de Pully, jeudi 15 mars prochain. THE SOMETHING RAIN est selon moi d'ores et déjà dans le top-10 des sorties 2012. C'est un peu l'inverse avec Diagrams, son single "Tall Buildings" et sa pochette d'album façon Leif Podhajsky. BLACK LIGHT (paru chez Full Time Hobby) est assez étrange à vrai dire, où l'on sent ces influences classiques des grands groupes, mais avec pas mal d'opportunisme latent, reprenant ça et là les bons filons de Vampire Weekend, du Beta Band ou de Sufjan Stevens (le criant "Antelope". C'est vraiment une grande déception car on sent plus le coup marketing que la véritable envie de mettre toute leur bonne volonté dans du personnel.


Julien: Par manque de temps, nous n'avons eu le temps d'écouter suffisamment le nouvel album très attendu - pourtant - des tribuns de Of Montreal. On tente de se faire pardonner à moitié en terminant notre Speaches avec une bien belle pièce, assez stupéfiante elle aussi: de Sunderland, Grande-Bretagne – de quel autre pays pouvaient-ils bien provenir? – Field Music convoque quarante ans de musique pop et psychédélique. "How Many More Times?" annonce du Beach Boys avant que les violons ne prennent le dessus, et puis, grosse guitare électrique sur voix de John Lennon. Quand on disait que les Beatles, c'était le bonheur, eh bien, ce PLUMB – étant leur quatrième album – a tout l'air de pouvoir ravir pas mal de monde. Enfin, pour autant que ces fans apprécièrent la période opéra-rock… Si l'on déteste les chœurs de Win Butler  mais que l'on adore la déglingue mélodique de Spencer Krug, Field Music est un bon compromis. Quinze morceaux ultra-courts, comme à la belle époque, du très pop ("Who'll Pay The Bills?") précédant de la soul synthétique ("A New Town") et du math-rock ("Is This The Picture?"). Sacré programme pour terminer ce Speaches. La preuve aussi qu'il existe encore et toujours des déglingués de la musique.


Albums du mois
Pierre: Musette, DRAPE ME IN VELVET
Julien: Tindersticks, THE SOMETHING RAIN
Raphaël: A défaut de plus catégorique, Young Magic, MELT

Singles du mois
Pierre: Nite Jewel, "This Story"      
            Mi Ami, "Time of Love"
Julien: Quilt, "Penobska Oakwalk"   
Raphaël: Sidi Touré, ''Ni See Say Ga Done''


 Clip du mois