Illustration : Lucie Sgalmuzzo |
En avant-première dans trois villes lémaniques en ce début du mois d'octobre, l'équipe de The Artist assure sa promo pour défendre l'œuvre particulière qu'il présente : un film muet, noir et blanc, au format (presque) carré, tourné en 35mm et sublimant la grande époque du cinéma des années vingt. Jean Dujardin avait décroché la Palme de l'interprétation masculine à Cannes et le chien-vedette la Palme Dog. Que vaut le reste ?
Le mystère Hazanavicius
Le mystère Hazanavicius
La première fois que j'ai entendu son nom, c'était dans le film Didier d'Alain Chabat. Hazanavicius était le nom d'emprunt du soi-disant joueur de foot lithuanien engagé par Jean-Pierre Bacri. Un nom pareil, ça ne s'oublie pas. Quelques années plus tard, je retrouve ce nom, "Michel Hazanavicius", au générique de OSS 117 : Le Caire, nid d'espions. J'ai longtemps cru à une plaisanterie ou à un nom d'emprunt. Après un bref détour sur la filmographie de l'auteur, je découvre que Michel a travaillé chez Canal+ et qu'il a collaboré à plusieurs sketchs des Nuls. Le mystère n'en était plus un, Hazanavicius était donc bel et bien un élève de l'école Farrugia. Pas étonnant quand on voit dans OSS les avalanches de blagues et répliques devenues très vite cultes. En 1993, Hazanavicius avait signé La Classe Américaine, film uniquement basé sur le montage de scènes de films de la Warner ; des collages réussis qui permettaient de voir s'afficher au générique une poignée de célébrités comme John Wayne, Orson Welles, Paul Newman et Dustin Hoffman. L'énorme succès du premier OSS l'amène à réaliser un second opus, le duo Dujardin-Hazanavicius étant devenu clairement une entreprise gagnante. Déjà dans ses premiers films, Hazanavicius semble à l'aise pour rejouer le passé et le moderniser : le montage rythmé des OSS, les filtres employés sur l'image et surtout l'usage réussi et amusé du split-screen dans le deuxième volet. Cet amour du passé allait devenir si fort que même Dujardin fut pris d'un doute étrange lorsque son pote arriva vers lui pour lui demander s'il voulait tourner avec lui un film noir-blanc et muet.
Les feux de la rampe
Mais Michel Hazanavicius a confiance en lui. Ou disons, il a confiance en son acteur fétiche. Si Jean Dujardin dit oui, alors la moitié du travail est fait. Dujardin est l'un des acteurs le plus aimé des Français et la paire qu'il forme avec Hazanavicius fait office de label qualité pour la comédie. Le problème est que The Artist n'est pas une comédie. Autre difficulté : The Artist ne sera pas non plus un film à répliques, comme l'étaient les deux OSS. Du coup, il fallait trouver le moyen de détourner ces obstacles. Hazanavicius a donc visé haut et a décidé de prendre comme modèle le plus grand réalisateur et acteur du septième art : Charlie Chaplin. C'est une évidence, au fil des minutes, l'âme de Chaplin est partout : lui aussi, comme George Valentin (l'acteur joué par Jean Dujardin) va avoir de la peine à s'acclimater à l'arrivée du cinéma sonore. Comme dans A Dog's Life (1918), un chien fidèle l'accompagne partout. Comme Chaplin, George Valentin va continuer à réaliser des films muets lors de l'avènement du parlant, ne croyant pas à cette nouvelle technologie qui détruit l'art de la pantomime. Au-delà de cette référence évidente, Hazanavicius ne va pas se gêner pour faire des clins d'œil aux grands classiques du cinéma : les petits-déjeuners du couple et métaphore de la vie qui passe sont repris de Citizen Kane et Marlène Dietrich est le modèle plastique de Bérénice Béjo tout au long de l'histoire. Toutes ces références sont donc bienvenues et obligatoires dans un film qui ose l'imagerie des années 20, allant jusqu'au dispositif de captation.
Aller de l'avant par le passé
Un casting hollywoodien au menu avec deux seuls comédiens français que sont Jean Dujardin et BB (Bérénice Béjo) est le choix important et crucial qu'a voulu le réalisateur : on retrouve le fantastique John Goodman en producteur riche et avide de succès, James Dromwell en chauffeur et larbin de stars ou le très charismatique Malcolm Mcdowell en apparition furtive au début du film. À la manière d'un Luc Besson avec Le Cinquième Elément, Hazanavicius se lance dans la contribution franco-américaine pour un film qui n'aurait jamais vu le jour si une âme européenne ne l'avait imaginé et une équipe américaine réalisé. Si les premiers long-métrages de Hazanavicius faisaient plus partie de la nouvelle grande comédie française dont les films passent le mardi soir sur France2 avant une émission pseudo intellectuelle, The Artist vient alors confirmer l'ascendance d'un talent du vieux pays qui ose le grand film sans prétention.
The Artist est donc un mélo réussi, dans le sens académique du terme. Ce n'est pas une comédie, ni un film d'auteur – un simple mélodrame comme on en produisait des milliers dans les années 20 à Hollywood puis jusqu'au milieu du XXe siècle. Réaliser un muet c'était avant tout éviter des pièges : celui du pastiche, de la citation facile ou du cliché pédant ; et Hazanavicius s'en sort plutôt bien. L'ouverture du film est très réussie et joue sur la mise en abyme de la spécificité du film. Ensuite, le scénario est quand même un brin léger et c'est ce qui tend à montrer bêtement au jeune public que sans son on ne peut rien réaliser d'audacieux, ce qui est entièrement faux. Le film est intéressant quand il joue sur l'absence de son synchro : lorsque nous voyons la réaction du public après la projection du nouveau George Valentin ou bien lorsque soudain, la musique s'arrête et qu'un dialogue muet et sans carton s'anime devant nos yeux – nous n'entendons rien mais nous comprenons tout. Se laisser bercer par la magnifique composition originale sonore du film est un des points forts majeurs du film et c'est là qu'on comprend que le cinéma au début du XXe siècle était un art bien différent de celui d'aujourd'hui. Rien que pour ça, bravo Michel !
The Artist, Michel Hazanavicius, USA-France, 2011
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