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27 août 2011

Cory Arcangel à Berlin

Illustration: Cory Arcangel, Drei Klavierstücke op. 11, 2009

«Je n'ai jamais été persuadé que ma place était dans l'art contemporain. Elle se trouve peut–être dans la comédie». De Buffalo, Etat de New–York, Cory Arcangel (1978) fait partie de cette génération redonnant corps à l'appropriation en tout genres. Bonne idée: en ce début de XXIème Siècle, on n'aura jamais autant eu de biens matériels. La Hamburger Bahnhof berlinoise exposait quelques uns de ses travaux récents, sous l'intitulé Here Comes Everybody.

Le pouvoir dérangeant de l'humour; c'est ainsi que la critique d'art Christiane Hitzeman caractérise la pratique artistique de Cory Arcangel. Située dans une salle adjacente à celle, principale, accueillant tant bien que mal les œuvres maousses de Richard Long, son exposition a de quoi détonner. Ce dernier y présentait en effet son "Berlin Circle". Le natif de Bristol, Grande–Bretagne, fait partie des figures de proue de cet art appelé Land Art, aux côtés de Robert Smithson ou Walter de Maria. Parmi les "monstres" présentés, on aura vraiment apprécié le mur arrière marqué d'une énorme éclaboussure de terre, toisant un autre cercle, en pierre lui, de douze mètres de diamètres, une peccadille pour son grand–frère haut d'une vingtaine de mètres. Cette pièce archi connue fait partie de la collection privée de l'institution sise en face de la Hauptbahnhof et permet ainsi d'effectuer un contrepoids intéressant sur la thématique abordée par l'exposition. On regarde tout cela avec politesse, eu égard aux fragments multicolores d'Arcangel.


Le Whitney Museum de New York exposant en ce moment même son récent travail Pro Tools, nous auront ainsi affaire à une réunion plus mince de fourres–tout médiatiques du nord–américain. Ouverture: Untitled Kinetic Sculpture # 1 (2010), soit un drôle duo d'étagères ondoyantes, à en donner le tournis. C'est tout bête, il suffisait d'y penser toutefois: insérer des roulements à l'intérieur des axes d'une étagère en aluminium et l'animer. Celui–ci n'est que le début d'une série de meubles similaires, rouges, blancs ou gris, agissant comme une étrange récurrence dans cet étage et comme introduction cyclique à une exposition centrée autour de la musique (et donc de ses vidéos). A notre gauche, Composition #7, explicitant une des pratiques d'Arcangel: le détournement de programmes informatiques ou de jeux vidéos, ici Frets on Fire  (jeu de musique similaire à Guitar Hero, mais en version gratuite) en prenant pour son grade. Au détour du site web de la Biennale belge Coutour 2011, exposant le même travail, on y apprend que le résident new–yorkais a remplacé la musique du jeu par celle minimaliste de "Composition 1960 #7" écrite en 1960 par La Monte Young. Composition #7 consiste en l’intervalle suspendu d’une quinte parfaite, si et fa dièse avec comme instruction de persister. Le jeu peut être appris par tout un chacun, mais son élément fondamental y est absent, les joueurs devant se contenter d’appuyer sur deux boutons seulement…


Here Comes Everybody présente en son cœur l'installation vidéo autour du pianiste Glenn Could, œuvre majeure d'Arcangel: A couple thousand short films about Glenn Gould, réalisée en 2007. Grâce à un programme créé sur mesure, il a ainsi pu amasser et combiner plus d'un millier de vidéos de guitar heroes en herbe, croyant en leur heure de gloire via leur prétendue virtuosité musicale, se filmant via webcam ou autre caméra, assis en face de leur ordinateur. Une pratique fort étrange pour tout novice catégorie youtubesque. En ressort une version hallucinante des "Variations Goldberg" de Bach. Ça donne ici aussi le tournis, mais pas le mal de tête. Glenn Could utilisait une technique réunissant sons captés et voix de personnes interviewées pour en faire des bandes sons publicitaires radiophoniques ou télévisuelles. Arcangel en fait de même, à sa manière: humoristique, forcément, avec pas mal d'autocritique, celui–ci passant parfois des dizaines d'heures quotidiennes à astiquer son manche de guitare.  A couple thousand short films about Glenn Gould pourrait s'apparenter à un travail quelconque de médias d'interactions, et pourtant: cette installation siamoise, à deux écrans aussi distincts que frères de sang (bouillant), est devenue la carte de visite d'Arcangel, trip vidéo dément à l'heure du grand n'importe quoi des clips musicaux. Et s'il fallait revenir à des formes aussi simples mais efficaces pour y reprendre goût? Dans le même sens, on notera aussi deux vidéos à ne pas oublier dans la ballade: Drei Klavierstücke, d'un procédé similaire, des chats jouant la pièce éponyme de l'Autrichien Schoenberg. Voilà de quoi s'amuser intelligemment avec tous ces lol cats polluant Internet. Jimmy Hendrix a aussi droit à sa part, avec une versio auto–tunée de son hymne américain, interprété à Woodstock, l'autre jour. Plus que des mises en abimes, Arcangel procède à un travail quasi–sociologique sur notre époque médiatique, sans maniérisme ni pédanterie. Et, en plus, son site officiel est une œuvre d'art Internet 1.0 à lui seule. A l'heure de Flash et des templates désespérément blancs, il fallait oser.