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07 juillet 2011

TT SPEACHES / JUIN 2011

Illustration: vitfait
TT Speaches: 30 jours, beaucoup plus de sorties. A chaque début de mois, l'écurie de Think Tank ouvre un post commun et le publie en son terme. De nouveau, on n'a pas dû tellement trier pour trouver de quoi remplir ses journées.


Pierre: Cette fois si c’est officiel, on sue et avant l’été où l’actualité musicale risque d’être plus marqué par les grosses machines festivalières que par la sortie de bons disques, le mois de juin s’est révélé riche de plein de bons albums et de surprises dans les différents styles.

Julien:  oui en effet, mais on sent l'effet grosses tournées estivales, quantitativement ce n'est pas le mois de février ou octobre. Pour ma part, j'en ai profité pour ressortir pas mal de vieux disques, pas mal de Pulp, de Mobb Deep, de Violent Femmes ou encore de Stone Roses au point de me faire surprendre par la fin du mois. Mais, pour une fois, je crois qu'on se rejoint sur l'album du mois. C'est, c'est, c'est…























Pierre: Surtout ce mois-ci est sorti un album qui risque bien, en effet, d’être le premier à faire l’unanimité dans la catégorie album du mois: la tuerie Shabazz Palaces, BLACK UP. A vrai dire, depuis le début de l’année, je ne me rappelle pas d’un truc qui soit à la fois une claque instantanée et qui tienne sur la longueur. C’est donc à nouveau dans la catégorie hip hop que l’on retrouve quelque chose où le format album signifie quelque chose, là où tant le rock que l’électro ne semble qu’enchaîner des morceaux sans les lier ni les assembler un une structure intelligente. Surtout, le début de BLACK UP est le truc le plus percutant que j’ai entendu depuis bien bien longtemps. "Free Press and Curl", "An echo from the hosts that profess infinitum" et "Are you… Can You… Were you ? (Felt)" sont trois chansons qui mettent tout le monde à l’amende. Un mélange parfait d’un son aux influences dubstep avec ses basses profondes et ses rythmes charcutés. Là où Lil' B se fait trop guimauve et Tyler The Creator trop buté, Shabazz Palaces passe au niveau supérieur et tabasse comme Raging Bull, avec un buste et des poings d’un roc mais porté par un jeu de jambe fin et une stratégie bien pensée. Franchement, tout est de la bombe, tant le flow puissant mais se permettant de partir dans le sentimental, que les basses, la diversité des tempo et la qualité des mélodies. Dès la première écoute "Free Press and Curl", ça m’a mis à genoux. Ces plaintes spectrales, ce roulement de moissonneuse, ce "I’m free" jubilatoire, ces montées vertigineuses, ces voix additionnelles incroyables puis cette fin en forme de nouveau départ en forme de coup de grâce, putain c’est trop bon ! Toi même tu sais. Les banderilles sont posées et peut alors commencer la danse corps à corps où les gestes se font plus lents et plus beaux. Au milieu de sons mortels, d’autres instruments, piano ou percussion, imposent leur finesse. Shabazz peut alors même se permettre de nous entraîner dans des danses soul avec "Recollections of wraith" et sa voix féminine. Chaque titre est intelligent et fin mais n’oublie jamais de taper. Aucun son n’est en trop, chaque élément, vocal ou instrumental, ajoute une dimension aux chansons. Bref, pour moi, y a pas moyen, BLACK UP est sans aucun doute le meilleur disque de ces six premiers mois de 2011. Et je vois pas trop comment quelqu’un pourrait lui voler le titre de l’année. Et c’est pas le dernier titre qui me fera changer d’avis. Ouah, tellement de diversités, des voix féminines superbes, un sample incroyable, le hip hop se porte très bien. Tu partages mes louanges, Julien ?


Julien: ô que si, plutôt deux fois qu'une. Je me revois d'ailleurs il y a peu halluciner devant le vieux clip noir/blanc "Belhaven Meridian" (2009) en compagnie de notre cher illustrateur vitfait, grand connaisseur de hip hop. Il n'y a pas grand chose à dire sur ce LP: c'est une tuerie qui effectivement va tout défoncer. Un grand regret: ne pas posséder de sound system digne de ce nom pour totalement apprécier ce BLACK UP. A noter par ailleurs que l'album est sorti sur le label indé Sub Pop, plutôt habitué à placer du rock ou de la folk: gros gros coup pour la maison de Seattle, qui, de plus, permettra à son voisin Palaceer Lazaro de diffuser largement son travail. Quant nous parlions de lame de fond du dubstep et autres musiques hantées… A propos, savais–tu qu'il s'agit du cousin de Gonjasufi?


Pierre: Non. La belle famille! J'espère qu'il s'en sortira mieux en live que son cousin. C'est droôe parce que Gonjasufi c'est aussi un projet rock sorti sur un label peu habitué au genre. Il s'agissait de Warp, qui sort ce mois-ci le nouveau Battles. Le concert à la Kilbi m'avait moyennement plu et GLASS DROP ne m'a pas retiré toutes mes appréhensions. Le départ du chanteur se fait décidément sentir et les quatre titres avec des chanteurs en featuring restent faibles avec une voix sans intérêt et sans impact sur la chanson malgré la qualité des invités (Gary Numan, Kazu Makino de Blonde Redhead). Par contre, au niveau des titres instrumentaux, on trouve du pantouflard mais aussi du très très bon comme dans "Africastle". Les Battles se font moins indus pour laisser naitre un son plus estival, presque tropical parfois au milieu des déferlements de batteries et des claquements de guitare. GLASS DROP n'est pas si difficile d'écoute malgré une certaine complexité mais se révèle malheureusement vite lassant. Tyondai Braxton, reviens!


Julien: sans les voix, mais avec du son de haut vol, je rapprochais LP au premier effort du producteur londonien SBTRKT, actuel fer de lance de la scène dubstep. Un EP fort remarqué était sorti à la fin de l'an passé, intitulé STEP IN SHADOWS. Le titre éponyme, écoutable sur Soundcloud, avait très très bien marché auprès des DJs avec ses gros breaks, sa production accessible et sa propension à tirer sur la house. A ce propos, "Colonise" était véritablement taillé pour les platines, avec sa grosse rythmique croisée aux bons plans house des années 90 (ça aussi, à surveiller de près, cette résurgence du tout nineties). Loin d'un titre aux basses amples comme "Hide Or Seek", le premier extrait de l'album – "Wildfire" – éponyme de ce remixeur de M.I.A, Basement Jaxx ou Mark Ronson (signé chez Young Turks), pouvait faire peur: un featuring de Yukimi Nagano des Little Dragons, assez opportuniste, aux beats aussi faciles que ne l'était la production. Vachement plus inspirant, on notera le méga pop 80's "Pharaohs" avec Roses Gabor en featuring, de quoi briller sur les dancefloor cet été. A l'instar d'un des premiers cartons du Londonien, Look at Stars, on retrouve ici un talent évident pour tailler des morceaux accessibles et pourtant pas gratuits ainsi que pas mal de culot à mélanger jungle, house et grime, à l'instar de Rekorda. Une marque moins indélébile que Shabazz mais parfaitement dans l'air du temps, à placer entre Joy Orbison, ESKMO ou Scuba. Son LP se veut plus personnel, forcément, plus expérimental et moins ancré pour le dancefloor, genre je fais la différence en une track. L'effort n'atteint pas le premier album de Mount Kimbie par exemple, excellent duo aussi éclectique que rigoureux – et jeune qui plus est – mais fait plus dans le FM comme sur le titre "Something Goes Right", pas loin d'un Jamie Woon ou de Magnetic Man. A retenir toutefois l'excellent free–jazz "Ready Set Loop" ou le très 8-bit "Go Bang". Pas mal de déception quand même, mais à coup sûr un petit succès commercial. Sisi, le dubstep possède désormais ses produits dérivés qui se vendent bien mieux que ses concepteurs. Pour terminer, toujours dans le même rayon, DJ Bombé a récemment mis sur le net, sur Soundcloud pour être plus précis, une mixtape croisant des titres de James Blake et de Drake. Le résultat vaut le détour, dans le style mash–up pas si mal foutu. Voilà Pierre, tu veux passer à quelque chose de radicalement différent, n'est–ce pas?























Pierre: J’enchaîne avec deux vois féminines tout droit sorties de la scène indé. La toute bonne surprise vient pour moi d’EMA. Si j’ai pas été conquis d’emblée, il faut reconnaître que PAST LYFE MARTYRED SAINTS est des plus agréables. Dans un registre proche de Best Coast, tout en simplicité rock, EMA penche moins du côté Avril Lavigne de la force. Cela me fait penser à l’antifolk du début des années 2000. Loin de la prétention réac du folk et ses florilèges de guitares barbants, on est ici dans un retour à une écriture moins ampoulée et une revendication d’une forme de naïveté. "California" n’a rien de bien différent mais la candeur y est donnée avec une telle justesse qu’on ne saurait y renoncer. On songe aussi au "After Hours" et pourquoi ne pas croire en cet amour chantée d’une voix brisée sur "Marked". Au fond, on a bien envie d’avoir 22 ans et que tout soit cristallin sans être kitch. C’est ce qu’EMA parvient à faire, exprimer des choses hyper caca-miel mais avec un petit quelque chose de lo-fi qui lui donne ce qu’il faut de teinte désespérée et naturelle. Et la production des guitares est plutôt pas mal. A l’opposé de ce franc-jeu, la nouvelle prêtresse underground Maria Minerva, tout droit venue d’Estonie, sort TALLIN AT DAWN. Ici les déclarations d’amour sont étouffées dans des nuages psychédéliques. Cela ressemble beaucoup à tout ce qui se fait dans la scène californienne depuis Nite Jewel. Les voix planent, les sons sont volontairement de mauvaise qualité et des collages incessants viennent perturber le cours de chaque titre. Il y a pas mal de moments assez biens, cela sonne cool au possible mais un doute m’étrille, est-ce que au fond ce n’est pas surtout vraiment chiant.


Julien: belle surprise effectivement que cet album de EMA. De quoi facilement retourner sur place Florence and the Machines, pour qui j'ai toutefois pas mal de respect. Ton commentaire serait complet si tu n'avais pas oublié de préciser qu'elle sera de passage le 30 septembre au Bad Bonn de Düdingen, salle de concert qui devrait encore une fois jouer les premiers rôles à la rentrée: parmi les quelques dates annoncées, il y aura aussi Steff La Cheffe le 2 septembre, Timber Timbre le 25 août ou encore Omar Souleyman le 15 septembre. J'en profite aussi pour faire un détour par le Fri–Son qui vient de lacher quelques noms prestigieux, notamment Fleet Foxes, Wye Oak ou Digitalism. Ô la belle rentrée!























Julien: J'ai peu écouté d'albums de rock, alors j'aimerai bien que tu complètes mes propos ok? Bon, je commence avec le moins pire, Ty Segall (cover ci–dessus) qui ouvre son album avec un morceau à la beauté proche de vieux titres de Blur / John Lennon ("Goodbye Bread", quel nom!), un solo de guitare que n'aurait pas renié Graham Coxon. "California Commercial" fait dans le garage nonchalent du haut de sa minute 18 secondes, un–deux riffs et puis c'est bon. Pas franchement ébouriffant, "Comfortable Home (A True Story)" me semble pourtant plus bandant que n'importe quel titre de l'album de ces insupportables compères de WU LYF. C'est surtout rigolo et on s'imagine bien tenter le coup du refrain un pied sur le tabouret l'autre sur la table, la chope en l'air. De nouveau du Graham Coxon sur le tube indé "You Make the Sun Fry". Il y a un peu de Helter Skelter ici, et franchement on pourrait faire pire dans le genre hommage. Le reste s'écoute franchement sans trop se poser de question, c'est toujours mieux que Beady Eye (même avec l'affreux "Where Your Head Goes"). Le duo montréalais Handsome Furs a lui sorti son deuxième LP, SOUND KAPITAL (toujours ces vieux gags avec la Russie, terre de leur première production). J'ai sauvé cet album dans les sorties rock du mois totalement subjectivement: Dan Boeckner est un des membres d'un de mes groupes sacrés, Wolf Parade, ce groupe qui fait tout et n'importe quoi avec un génie évident, Boeckner étant le mec qui chante à en crever, à mille à l'heure, les pulsations à 200 sans faire semblant comme ces types de WU LYF. Handsome Furs n'est pas Wolf Parade, et ça se saurait. A peu près les mêmes instruments, sans la batterie – remplacée ici par une boîte à rythme – beaucoup de synthés aussi, mais des formats bien plus accessibles sans pour autant être niais. J'avais pas mal aimé leur deuxième jet, FACE CONTROL, direct et brut, je considère celui–ci comme honnête, pas renversant mais écoutable à la rigueur sur sa terrasse ou au volant un vendredi soir, le tube "Repatriated" à placer au bon moment, avant de se garer, l'ampli à fond pour embêter les rat kids. A écouter aussi le final "No Feelings", ambitieux, dans sa longue montée, direction, si seulement, un nouvel album de Wolf Parade? A part ça, j'ai lancé un pavé dans la mare: WU LYF donc Pierre, que tu avais vu à Londres…


Pierre: Effectivement, j'étais du voyage et encore marqué par quelques très bonnes premières chansons comme "Split it Concrete Like The Golden Sun God" et l'effervescence, ca m'avait presque plu même si les promesses de voir un groupe incroyable étaient largement déçues. En gros, leur son était assez banal et le chanteur ressemble un peu trop à une minette échaudée. Je ne vais pas revenir une énième fois sur le discours de WU LYF et leur démarche qui consiste à se présenter comme une fondation indépendante et subversive. Si cette dernière est intéressante, la question n'est pas de juger de sa sincérité ou de son côté marketing. Le problème, c'est qu'à force de mettre en avant cette posture, WU LYF entre dans une logique de mise en scène spectaculaire alors que dans l'industrie pop, la vraie subversion passe justement plus souvent par le refus de la mise en scène. Mais plus important encore, qu'en est-il de leur musique? C'est peu dire que GO TELL THE FIRE TO THE MOUNTAIN est au mieux une déception, au pire un gros navet. Même les titres connus comme "Heavy Pop" ou "Concrete Gold" pâtissent d'une production affreuse qui met beaucoup trop en avant la voix dont les trémolos ont perdu toute leur force émotive pour n'être plus que des roucoulements surjoués. Les limites du groupe sont criantes, tant au niveau des mélodies, que des qualités instrumentales. Enregistrer dans une église n'implique pas forcément d'avoir un son céleste. Je ne suis pas sûr que les gars de WU LYF fassent semblant, si ce n'est pas le cas, tant mieux. Mais ce qui est certain, c'est que leur musique reste d'une platitude qui a beaucoup de peine à tenir la longueur d'un album et qu'on a beaucoup de peine à écouter aussi longtemps. Ma foi "Split it Concrete Like The Golden Sun God" restera un éclair de 2010. Quand les espoirs ne sont pas réalisés, il nous reste encore les promesses. Pour revenir sur les autres groupes que tu mentionnes Julien, au Handsome Furs que je trouve quand même un peu dégoulinant de synthé, je préfère le Ty Seagall. C'est clair aucun des deux ne part dans des directions inconnues. Mais dans ce cas-là je suis plus touché par l'américana moderne du second que par la pop très 80's des premiers. Il faut aussi dire que la pochette-tête-de-chien est très réussie. Je me répète speaches après speaches mais pour moi il y a presque que les américains pour jouer de la guitare comme cela s'est toujours fait mais en donnant l'impression que tout est à chaque fois nouveau. Des albums comme GOODBYE BREAD, j'en ai entendu des centaines. Il n'empêche que cet album ne perd en rien sa force évocative. Que ce soit sur des chansons lentes au gout de bal de prom, aux plus rapides d'adolescence fâchée, la musique de Ty Seagall exerce sur moi la même fascination que les hamburgers. Ca a toujours presque le même gout mais c'est toujours bon et ca me fait penser aux Etats-Unis.
























Julien: la clôture de ce Speaches ne m'a pas permis de digérer pleinement le troisième album de John Maus, et pourtant sa valeur – importante – saute aux yeux dès la première écoute. Notre cher ami Vincy Vince m'avait fait part de son amour pour le premier titre extrait du LP, "… And The Rain". Sans trop à quoi s'attendre pour la suite, on avait nous aussi apprécié. La suite, ou plutôt le reste? Ah… c'est presque encore mieux! Il y a tout d'abord l'ouverture, "Streetlight" avec ce fameux clin d'oeil aux Talk Talk qui avait valu à lui seul un Kino Klub, ses loops, et sa bonhomie. "Quantum Leap" fait se lever Ian Curtis de son cercueil – cette voix! – en créant une relique candide de Joy Division. Isolé de l'album, on pourrait toutefois croire à un manque d'inspiration – la basse y est quand même suffisamment remarquable pour sauver le titre. WE MUST BECOME THE PITILESS CENSORS OF OURSELVES tient bien son rang, et son nom: citiation du philosophe français Alain Badiou (merci au frère de ce même Vincy Vince) pour nommer ce 11–titres, multiples collaborations avec les cultissime Ariel Pink ou Panda Bear au début du 21ème Siècle, un autre monde, une bonne douzaines de sorties physiques indépendantes entre 1991 et 2005: John Maus est plus un vieux limier qu'un mec à la Twin Shadow, professeur de philosophie et érudit appliqué. Cela s'entend et on imagine bien la scène. "Head For The Country" ressort les cadavres des garçons coiffeurs pour mieux les passer à la tondeuse, on y danse encore très volontiers, et les exhibe dans le fantômatique "Keep Pushing On", à la voix de ténor new–wave. C'est très bizarre, mais on y croit. D'autant plus que, si la production est aussi exigeante que cohérente sur les 11 titres, on passe de spectres sonores radicalement éloignés, des instrumentaux claquant sec comme un coup de bambou et des tubes tassés sous une montagne d'effets. WE MUST BECOME THE PITILESS CENSORS OF OURSELVES est sans aucun doute en lice pour la place de meilleur deuxième album de l'année, après qui l'on sait, et il est paru chez Upset the Rythm (Xiu Xiu, Gay Against You ou Former Ghosts).


Pierre: Je suis un peu dans le même cas que toi Julien, je n'ai pas assez écouté ce John Maus pour m'étendre dessus mais ce qui est sûr, c'est qu'il est un des indispensables de ce mois de juin. Un album hypnotiquement pop, dans lequel on navigue sans savoir vraiment si on y est entré pour de bon ou pas. A écouter et réécouter sans urgence pour découvrir toujours plus. Ma foi, je redescends sur terre avec deux albums beaucoup plus facile. Il semble bien loin ce premier concert où j'ai découvert Yacht en 2007 à la Flèche d'or. Le duo sort maintenant son troisième album SHANGRI-LA. A force de désir pop, le groupe est malheureusement passé du bricolage qui ne ressemblait à rien à des tubes à paillette qui ressemblent à beaucoup de choses. Il leur reste bien sûr une certaine candeur, des mélodies rigolotes et on peut peut-être sauver quelques chansons comme "Dystopia" mais la formule Yacht semble bien avoir atteint ses limites, les deux voix se répondent sans y croire vraiment et on est bien loin de la jouissance irrépressible de "Psychic City". Buzzé un peu partout et surtout en France, via Kitsuné, Is Tropical sorte leur album NATIVE TO pour une pop pas du tout tropical. Les reproches que j'ai à leur faire sont les même que ceux attachés au label mentionné. Ca prend tout de suite, ca pue le tube mais c'est totalement dénué de surprises et de variations. Le tout est beaucoup trop fluet pour retenir l'attention plus de quelques secondes. A ce moment-là, sur une autre planète, y a aussi un nouveau Brian Eno qui est sorti, DRUMS BETWEEN THE BELLS, en collaboration avec le poète Rick Holland, c'est par moment très beau mais, la vérité, j'ai pas le courage d'en parler. Toi, t'oses te lancer Julien?


Julien: pas mal décriés, les danois de Figurines continuent coûte que coûte et reviennent avec un quatrième album cet été. Souvent considéré comme brouillon, sans véritable style ni talent, le trio de Copenhague n'est pas vraiment de ces groupes pour qui ça a marché instantanément. On en serait presque soulagé remarquez… FIGURINES pourrait pourtant mettre pas mal de monde d'accord, même s'il faut déjà passer le stade j'aime le glam. Entendu sur la radio nationale, "Hanging From Above" tranche radicalement avec le reste de la programmation de la dite chaîne: si on enlève le refrain, pas folichon, on tient là un excellent titre, à la production luxuriante mais classe, au bridge à la Queen, des falsettos et des violons, le tout sans atteindre l’écœurement comme chez le vieux Arcade Fire, période BLACK MIRROR. On pense ici aux très futés Islands. "The Great Unknown" n'est pas inintéressant, au contraire, permettant de laisser planer la voix de Christian Hjelm, sorte de BG intemporel, sur une structure proche du Pink Floyd première étape/Syd Barrett, toutes proportions gardées. On y reste: "New Colors" (ce clavier!) pourrait bien figurer comme mon titre du mois, archi–taillé pour la scène et présentant un Figurines bien plus ambitieux que par le passé. Et surtout sachant aller droit au but. Au fond, Figurines est autant actuel (les descendants de Clap Your Hands Say Yeah! et compagnie) qu'à l'ouest, comme figé dans un vieux rêve SMILE - THE PIPER AT THE GATES OF DAWN, sans paraître aussi dramatiquement appliqué que MGMT. Figurines sera à l'affiche de la traditionnelle soirée danoise au Jazz Café, le samedi 9 juillet. La belle affaire, qui est plus accompagnée de Reptile & Retard, pour qui on m'a dit le plus grand bien.























Julien: passons maintenant à l'électro, avec une grosse pointure à l'appel ce mois: le Viennois John Tejada, résident en Californie, vient de paraître chez Kompakt son sixième album, PARABOLAS, si l'on compte bien (sans doute plus, entre les sorties non–officielles et autres). Joli coup pour le label de Cologne, qui pourrait bien finir comme label de l'année à force d'aligner les recrutements de haut vol (Clams Casino, Sasha Funke, WhoMadeWho, etc.). Si vous ne connaissez pas ce producteur, sachez qu'il fait partie d'un des monstres sacrés de la musique électronique, toujours en haut du tableau des ventes chez Beatport, encensé par Resident Advisor entre autres, passant de la deep house à la techno. En 12 titres, Tejada passe du très deep 90's (l'ouverture "Farther And Fainter", résonnant encore dans ma tête à l'heure se coucher), aux interludes proches de Boards of Canada ("The Dream", "The Honest Man"), ou à l'électronica d'un Aphex Twin période POLYGON WINDOW ("Mechanized World") pour revenir à des compositions presque pop ("Timeless Space" ou"The Mess And The Magic") sans vraiment se prendre le chou. Il y aussi le clinquant "A Flexible Plan", cathédrale d'effets pour dancefloors, ou le génial "The Living Night", proche de Pantha du Prince ou autre Nathan Fake. Surprenant pour du Tejada, apôtre d'une presque dance music? A voir, surtout que lui succèdent les petites bombes de fin d'album, "Unstable Condition" qui devrait faire un ravage à Berlin, ainsi que "Uncertain End" pour terminer sur une note plus house. Think Tank évite le clivage des genres et applaudit des deux mains quand le travail est bien fait, comme sur ce PARABOLAS, splendide LP d'été. Sa collègue de label, Ada, souvent présente sur les compilation Kompakt Total et reconnue pour son premier album BLONDIE, vient elle de sortir un nouveau disque chez le discret mais excellent label berlinois Pampa, distribué par Namskeïo (Robag Wruhme, Axel Boman, Isolée ou Die Vögel): du nom de MEINE ZARTEN, le 9–titres n'est pas de ces grosses productions, mais est plutôt bricolé avec âme et cœur (la comptine "Likely", les nu–soul folk "The Jazz Singer" et "2 Likely" ou "Interlude", discret et classieux, l'intro "Faith"), souvent, mais sait lâcher de bon titres trempés et aériens, comme "Happy Birthday" ou "On The Mend", magnifique morceau tout en strates. Un disque d'ambiant plus que de l'électronique, bien que suffisamment varié pour parvenir à rejeter toute étiquette.


Pierre: J'interromps ton passage électro par une interlude beaucoup plus rock, voir carrément punk avec Fucked Up. J'ai beau travaillé sur ce genre, j'en suis pas un grand fan et surtout ça fait longtemps que j'ai pas entendu un truc bon dans les groupes contemporains. Et bien Fucked Up font véritablement exception. C'est sûr que ceux qui ne supportent pas le punk auront de la peine avec DAVID COMES TO LIFE où le rythme se fait bien dûr et la voix rocailleuses du chanteur découragera les non-initiés. Il n'empêche que cet album vaut la peine parce que justement il dépasse le côté réactionnaire du punk Oi! en choisissant une démarche inventive et intellectuelle. Cet album évoque via divers narrateurs l'amour, la mort et la rédemption en quatre actes dans l'univers des années Thatcher en Angleterre. Derrière une façade de batterie et de guitare qui envoie sec, l'écriture se fait plus réfléchie qu'il n'y paraît avec de grandes variations dans les rythmiques et l'apport de différents chanteurs. Comme quoi, le punk n'est pas totalement mort et j'arrive presque à vraiment apprécier un groupe avec un chanteur metal. Quand l'ambition artistique est là, on peut faire des exceptions. Pour revenir dans un style plus électro, passons à FM Belfast de Reykjavik, qui revienne avec un second album DON'T WANT TO SLEEP. Un album envers lequel il y a peu de reproches à exprimer, mais peu de louanges également. Si le son scintille à souhait pour l'été, les tubes ont disparu et dès la troisième chanson je me rends compte, que faute d'accroche, je n'écoute plus vraiment. Pour partir se baigner, autant réécouter "Synthia" de leur précédent album.


Julien: plus proche de chez nous, le Genevois Crowdpleaser vient de placer un nouveau pion à son très long parcours et a signé pour le coup chez les canadiens de Turbo Recordings pour paraître ce LP éponyme. Turbo possède certains fleurons de la bonne humeur (Chromeo, Erol Alkan, 2ManyDjs, Matias Aguayo, Tiga) et d'autres certainement plus tranchantes (Seth Troxler, Jori Hulkkonen, Boys Noize). "Spinelli" vaut largement le détour dans un style proche de ses compatriotes Rizzoknor ou d'Extrawelt, entre free-jazz et minimale, "Hang out (For Paul)" aussi, vachement plus dans la tangente, presque dub et pourtant pas du tout hors–sujet, et que dire du tube afrobeat "Nenekri" passant après un truc aussi deep et vicieux que "Together We're Strong"? Au centre du schéma Crowdpleaser, un but: faire danser à tout prix la foule, sans se prendre la tête sur les étiquettes. C'est assez réussit ma foi, pour autant qu'on veuille descendre dans ce trip ("My Grandmother Could Tell You That" replacera le propos à la minimale pour les plus peureux ou l'excellent "Jonx" tirera tout le monde vers la techno). Distribué par Namskeïo, CROWDPLEASER va marcher, c'est certain; où comment danser autrement qu'avec les débilités de David Guetta. Pour terminer ce bref détour par l'électro, nous avons reçu au début du mois, BODY LANGUAGE vol. 10, mixé par les bien connus M.A.N.D.Y. et paru sur leur label Get Physical (nous avions parlé d'Audiofly le mois passé, artiste lui–aussi signé par le label berlinois). La série des BODY LANGUAGE est une sorte d'équivalent des compilations TOTAL KOMPAKT, mais pour danser car il y a vraiment du groovy ici  ("Discoshit" de Kid Bliss, imparable), du Maceo Plex remixé par Nicolas Jaar, mais aussi du Booka Shade, Soulclap ou encore Kollektiv Turmstrasse, sans manquer de passer par la case minimale avec l'excellent Marc Houle ou Extrawelt. Une bonne compilation, très house mais pas dénuée d'intérêt pour autant. On vous dit: quand c'est bien fait, ça mérite qu'on s'y attarde.



Disque du mois
Pierre: Shabazz Palaces, BLACK UP
Julien: Shabazz Palaces, BLACK UP


Singles du mois
Pierre: Jealov, "DNR"
           Gal Costa, "Nao Identificado"
Julien: John Maus, Quantum Leap


Et ce dont on n'a pas pu parler ce mois, notamment:
Arctic Monkeys, SUCK IT AND SEE
Jonny, JONNY
Woods, SUN AND SHADE
Bon Iver, BON IVER