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10 juillet 2011

Tankart: Du mur au cosmos, un "colonel" à l’Art Brut

Illustration: Think Tank / Collection de l’Art Brut, Lausanne



Lorsqu’on interne pour la première fois Fernando Nannetti en 1956, on ne peut le faire taire. Il se rebelle, tempête, hurle, nourrissant ses délires hallucinatoires de protestations et d’invectives. Trois ans. L'exposition est en ce moment au Musée de l'Art Brut de Lausanne et s'appelle « colonel astral » (jusqu’au 30 octobre). Pour le coup, Think Tank recrute un nouveau contributeur.

En 1958, cet orphelin de trente-et-un an est alors transféré à l’asile de Volterra, dans l’arrière-pays toscan, et soudain c’est le silence. Un mutisme de dix-sept ans. Solitaire et taciturne, Nannetti se cloître en Nannetti et s’édifie un sanctuaire pour échapper à l’asile. À deux reprises, par saccades ou par vagues (de 59 à 61 puis de 68 à 73), il compose sur les murs de l’immense cour intérieure de l’institut une longue fresque énigmatique (70 mètres), creusée à l’aide de la boucle de ceinture de son gilet d’interné, criblée de signes, grêlée de symboles et de croquis. Il sépare le produit de chaque jour par une délimitation qu’il trace dans la pierre, comme on ouvre une nouvelle page dans un livre inconnu. Si un obstacle surgit, il l’évite (ainsi peut-on encore discerner les figures immobiles des patients catatoniques, dont l’empreinte est laissée en clair sur la paroi au-dessus du banc sur lequel on les laissait, et que Nannetti a patiemment contourné)[1]. Œuvre intime (Nannetti crypte son écriture pour en masquer la signification et quand on l’interroge, il renvoie le curieux à ses propres oignons), travail de longue haleine, labeur d’appelé. Car c’est bien à un appel qu’il faut répondre, celui qu’adresse à Nannetti l’ensemble du cosmos par la médiation de ses voix intérieures. La pellicule perméable qui sépare ce monde-ci de ceux qui l’environnent, et qu’il s’agit pour celui qui s’attribue la fonction d’ « ingénieur astronautique minier du système mental » de faire traverser.


C’est à une immersion verbale, visuelle et vibrante que nous invite le deuxième étage de la Collection. De l’étroite salle dans laquelle sont reproduits en résine des morceaux choisis du livre astral de l’ « artiste » et dont une voix cachée nous chuchote des extraits en italien, à la longue frise photographique qui reproduit et traduit l’ensemble de l’œuvre morcellée, loufoque et lumineuse. « Fou », ce « colonel » autoproclamé l’était sans doute. Du moins les sains d’esprit devaient-ils s’en convaincre pour s’assurer aussi de leur propre santé. Les déterminations médicales ont cependant peu de poids devant les écrits minéraux de Nannetti. Ceux-ci nous confrontent plutôt à une évidence simple : la poésie enjambe toujours les barricades. 

Fumiste