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04 juillet 2011

TANKINO : Intrusion dans la meute : ANIMAL KINGDOM !

Illustration : Animal Kingdom (David Michôd, 2010)

En Australie, Animal Kingdom a tout raflé : pas moins de dix récompenses aux Australian Institute Awards (les Césars australiens) dont celles de meilleur film, metteur en scène, scénario, acteur et actrice. En 2010, le film a notamment été accueilli comme une petite bombe que personne n’a vu venir chez les critiques européens et outre-Atlantique. Puis le festival de Sundance lui a décerné le Grand prix du meilleur film étranger afin d’asseoir la réputation de ce long-métrage psychologique et sombre, illuminé par une horde de comédiens aussi méchants qu’excellents. En avant-première sur TT, le film sort mercredi en Suisse.

Après des études de philosophie et de littérature à l’Université, David Michôd fraîchement diplômé se fait embaucher au service de l’Education de l’Etat de Victoria. Une courte année plus tard, il se rend vite compte qu’il ne veut pas finir fonctionnaire toute sa vie. Il flippe et décide d’entrer à l’école de cinéma de Melbourne où il y est accepté sans qu’il s’y attende vraiment alors qu’il n’était à l’époque pas un passionné de cinéma. Au sortir de son école, Michôd n’a aucun plan de carrière. Il se fait embaucher au Inside Film Magazine et devient vite rédacteur en chef. Ce poste lui permet de rencontrer des personnes influentes dans le milieu. Il se rend même à Cannes en tant que journaliste.

« Mais j’aurais voulu m’y rendre la première fois dans la peau d’un cinéaste », regrette-t-il gentiment. Les dieux du cinéma ont entendu la prière silencieuse du jeune trentenaire puisque le voici aujourd’hui aux rangs des meilleurs réalisateurs du cinéma australien rivalisant même avec Jane Campion aux derniers Awards australiens. C’est donc en 2010 que tout change pour Michôd avec la sortie de son premier film au titre équivoque et déjà culte : Animal Kingdom. Filmé le plus souvent caméra à l’épaule, le film ne nous laisse pas un infime moment de répit dès les premières secondes d’ouverture. Tous les ingrédients se mettent en place dès le premier plan où l’on découvre Josh assis sur un fauteuil devant la télé avec à ses côtés sa mère, morte d’une overdose. La séquence est violente dans l’esprit, mais ne montre rien. Et c’est ce qui fera une des forces du film. Josh, à pas 18 ans, orphelin, va rejoindre sa grand-mère et ses oncles dans une maison des quartiers durs de Melbourne. Nous allons suivre durant deux heures cet ado, enfermé dans ce corps de titan surmonté d’une face de hooligan ; une tête plus rectangulaire qu’ovale, déjà creusée par les décès familiaux et terrorisée par la vie qui se présente devant lui. Josh rejoint donc ce qui lui reste du cocon familial, dans ce royaume animal gouverné par la vampirique grand-mère blonde. Au milieu de cette faune, « J » sera inévitablement mené à devenir l’un des leurs. C’est l’esprit de famille du Parain de Coppola, revisité, plus malsain, et déplacé sur le continent des kangourous. Enfermé dans cette voie qui le mène à braquer une arme sur des jeunes péteux du quartier et à défendre ses oncles contre les flics, Josh évolue dans cet univers cloîtré et sans issue dans lequel sa petite amie va malheureusement faire irruption.

Les yeux rivés au sol, les épaules rentrées, un seul avertissement : éviter les fauves. Telle est la posture imposée par le réalisateur pour l’acteur James Frecheville qui incarne parfaitement Josh. Amené par son destin au sein de la meute, le film nous montre l’embarras, la peur, l’aliénation d’une famille dirigée par la ténébreuse Janine Cody et son comportement ambigu envers ses fils. Michôd filme un drame sombre, une tragédie shakesperienne, remplie de canicule, surplombée par le soleil australien, dans les quartiers petit-bourgeois de Melbourne, où drogues, trafic de stupéfiants et gang de rues se retrouvent. L’irruption au sein de cette famille se fait de façon très intelligente par paliers (on découvre les oncles un par un dans un mouvement limpide) et avec un rythme qui ne connaît aucun temps mort : les scènes violentes surgissent sans jamais tomber dans le cliché « attention ça va tacher ! ». Tout en retenue, l’atmosphère du film – son point fort – réside dans cet assemblage de séquences de dialogues, de slow-motion assuré, d’une musique originale culminante, et de l’irruption soudaine du personnage qui va faire basculer l’histoire. Préférant lire des livres plutôt que de regarder des films, David Michôd nous sert un film dense, romanesque, digne d’une adaptation d’un bouquin de James Ellroy qu’on aurait oublié de publier. Ses influences ? Du Paul Thomas Anderson et du Michael Mann. On retrouve du Punch-Drunk Love (2001) dans cette ambiance glauque mais subtile, enrichissante dans sa démesure et orgasmique dans ses non-dits. Animal Kingdom est une œuvre pleine qui tourne depuis une année dans les cinémas du monde entier. Mercredi enfin, le film sort en Suisse. A must-see !