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17 mai 2011

Tankino: Tomboy

Illustration: Giom

Tomboy a tout pour plaire: une jeune réalisatrice plutôt talentueuse, un scénario intéressant, une distribution variée et réussie, un discours sur le genre intelligent sans être pompeux. Mais voilà, à force de tout lisser, ce film finit par ennuyer et perdre toute force pour devenir un bon vieux film consensuel à la française.

Le scénario donne bien sûr envie de voir ce film. Laure, une fille de dix ans, emménage dans une nouvelle ville. Garçon manqué, elle dit s’appeler Michael lorsqu’elle rencontre les autres enfants. S’ensuivent les conséquences de cette décision, de l’intégration totale avec au menu football et petite copine, jusqu’au dévoilement de l’identité. Ce film a, il est vrai, certaines qualités. J’en vois en tous cas deux. D’abord, les acteurs enfants sont bien choisis et jouent plutôt bien, surtout l’actrice principale Zoé Heran. Ensuite, le fait que Céline Sciamma applique à la réalisation la considération que ce sont les corps qui comptent. La caméra s’attarde à raison sur les corps marqués ou non par les genres. Le seul corps non marqué est en fait celui de Laure/Michael aussi bien garçon que fille. Le film commence par un long plan sur ses jeunes mains fines et sa nuque, donnant à voir en quoi ce corps ne peut être rattaché à un sexe ou à l'autre que de manière forcée. Par contre, en dehors de Laure/Michael, chacun joue parfaitement son petit rôle. La petite sœur danse en jupe et chante des chansons sur les garçons, l’autre fille du film dit des phrases niaises d’admiration devant les garçons dont elle est forcément amoureuse. Ces derniers jouent bien sûr au foot, se battent, crachent et se mettent torses nus. Toutes ces démonstrations corporelles, Laure/Michael tentera de les jouer aussi avec toutes les difficultés que cela induit. En effet, Céline Sciamma donne très bien à voir ce que représente le fait de jouer le garçon pour une fille, assignée à la discrétion jusqu’à l’effacement, qui doit alors se frotter à un monde où on "met les couilles sur la table", où on affiche son corps constamment, sûr de son bon droit. La fille reste sur le bord du terrain, le garçon affiche sans gêne ses tétons et peut aller pisser sans aller se cacher dans la forêt.


Tout ça, c’est très bien mais ça donne un peu l’impression d’appliquer à la lettre le petit guide de l’étude genre. On suit gentiment toutes les étapes. Tout commence avec une personne énoncée dès le début du film comme différant légèrement des caricatures de genre : le garçon marqué. Puis vient l’adoption du sexe opposé, la construction littérale d’un faux pénis, puis la découverte de la supercherie qui donnera lieu à la traditionnelle sortie du placard, d’abord par le retour des habits marqués comme féminin, puis par comparution devant les autres, par l’aveu dans un premier temps, par la culotte baissée dans un deuxième. Dit comme ça, ça a l’air terrible, mais le problème de Tomboy, c’est justement que tout y est lissé. Tout le monde est tellement gentil. Le papa et la maman sont de sympathiques petits bobos, ouverts et compréhensifs, cela va de soi. Ce à quoi ce film échoue totalement, c’est à créer le moindre trouble. Tout d’abord à cause de sa temporalité. Le film se termine très vite après la révélation du "vrai" prénom de Laure, sans que soit exploré ce que cette révélation implique pour les autres. Que ressent la fille qui sortait avec Michael et l’a embrassé ? Du dégout ou le trouble d’avoir pu ressentir ce genre de sentiment pour quelqu’un du même sexe ? Que ressentent les garçons, qui ont accepté Michael comme un des leurs, se sont fait battre au football ou à des jeux de force par lui/elle ? Nous n’en saurons presque rien. Quand vient ce moment déterminant, tout s’aplatit très vite et, après quelques moqueries, Laure est à nouveau rangée dans la catégorie fille sans que cela semble gêner quiconque, y compris Laure. C’est comme si tout cela n’avait été qu’un jeu de masque pour les vacances, qui doit bien finir avec la rentrée. Et après un petit moment de gêne, tout peut être à nouveau propre en ordre. A force de concentrer l’ambiguïté sexuelle sur le seul personnage de Laure/Michael et de faire de tous les autres des caricatures du comportement normé, Tomboy refuse de remettre en cause quoi que ce soit. Aucune issue qui pourrait poser problème au statut quo hétérosexuel et à la division des sexes n’est explorée. Ainsi rien n’est dit sur le désir, reflet de notre époque où toute suggestion de sexualité enfantine est devenue taboue. Est-ce que quand Laure/Michael embrasse sa copine, il/elle ressent du plaisir ? Désire-t-elle plus les garçons ou les filles ? Impossible à savoir tant ce personnage est présenté comme passif lors des choix cruciaux du film. Laure dit s’appeler Michael parce qu’une fille lui a demandé "s’il était nouveau", cette décision de se faire passer pour un garçon découlant peut-être de la gêne de devoir démentir cette première question. Quand au premier baiser, ce n’est pas Laure qui le recherchera mais le recevra plutôt par surprise, et l’acceptera sans vraiment montrer le moindre plaisir, ce baiser représentant plutôt une façon de continuer à faire croire qu’elle est bien un garçon. Enfin, je me demande si Céline Sciamma, en plus de reproduire des normes sexuelles sans jamais les perturber, ne fait pas de même dans les questions liées aux différentes origines. Ainsi la seule relation d’amour possible est celle entre une fille blanche et un garçon manqué blanc. L’ensemble des personnes principaux de garçons sont marqués comme d’origine étrangère, que ce soit du Maghreb ou d’autre part. On retrouve ici le préjugé racial qui veut voir dans le maghrébin une personne immédiatement viril, évidemment hors de tout questionnement de genre, ce dernier étant réservé aux enfants de bonne famille et de bonne conscience. Que ceux qui veulent s’en donner une en applaudissant ce film consensuel au possible le fassent, très peu pour moi.