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20 mai 2011

TANKINO : The Tree of Life, Terrence Malick

Photo: Olivier Bemer / Julien Gremaud. Objet: vitfait

Annoncé il y a une année comme le messie à Cannes, The Tree of Life fut retiré la veille du festival par ses producteurs, Terrence Malick n’étant pas satisfait de son montage. La déception fut grande, et la boîte de distribution annonça alors une sortie pour fin 2010.  L’échéance ne suffisait pas, et c’est encore à Cannes, une année plus tard que prévu, que le film fut projeté pour sa grande première. La croisette a sifflé et applaudi l’ovni: chef d’œuvre ou pet dans l’eau?

Cinq films en quarante ans. Cinq œuvres importantes. Après ses deux films des années 70, Badlands et Days of Heaven (qui remporta le prix de la mise en scène à Cannes en 1979), Terrence Malick était attendu au tournant. Le réalisateur mystique prend tout le monde a contre-pied et se retire des terres, disparaît. C’est à ce moment déjà, au début des années quatre-vingt, que le projet de The Tree of Life naît sous le nom de projet Q: rien de moins qu’un film sur la vie, ses origines, l’évolution, la famille et Dieu. Malick travaille-t-il alors d’arrache-pied sur ce projet jusqu’aux années 90 ? En tout cas, c’est The Thin Red Line qui sort en 1998, un film sur la bataille de Guadalcanal dans le Pacifique, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Comme pour se rapprocher des grands maîtres du cinéma, Malick réalise son film de guerre qui très vite sera placé par les cinéphiles au même niveau que Apocalypse Now ou Full Metal Jacket. Quand il annonce son retour, le tout Hollywood veut participer au retour du réalisateur mythique et le moindre rôle, même minimal, s’arrache comme des petits pains: Sean Penn, Adrien Brody, Jim Caviezel, George Clooney, John Cusack, Nick Nolte ou encore John Travolta sont au casting de ce film-fleuve, poétique et qui se démarque par son usage particulier de la voix-off. Une pratique reprise pour The New World, autre œuvre réussie de celui qui est aujourd’hui considéré comme le fils spirituel de Kubrick. C’est en tout cas ce à quoi nous fait irrémédiablement penser la première demi-heure de The Tree of Life.

Les règles du père, les ordres du Père
Oui, la première demi-heure du film est suffocante, intense, sublime, impossible à décrire. Les images sont plus que belles et la bande-son composée par Alesandre Desplat (dont le travail pour le film remonte à 2007) évoquant la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak pose délicatement ses notes sans jamais tomber dans le poussif agonisant. Puis surgit le profil de Brad Pitt, celui d’enfants qui courent dans les hautes herbes vertes malickiennes, la présence de la mère, puis la mer, les rivières, l’Amérique des années 50, symbole d’une vie qui peut enfin reconsidérer l’évolution et la croissance après les désastres causés par les guerres de la première moitié du siècle. Point de départ pris par Malick pour étendre sa panoplie d’artifices cinématographiques, le film va s’amuser à quitter ce Texas natal (authentique pour Brad Pitt et Malick) pour y revenir par à-coups, détruisant la narratologie classique du film. Là est sa principale spécificité : pas étonnant qu’une bonne dizaine de personnes quittent la salle de cinéma au bout d’une heure tant le film se détache du schéma classique de la fiction. Car The Tree of Life n’est pas une fiction, n’est pas un documentaire et n’est pas une histoire : c’est le cinéma pur, proposant des séquences qui ne veulent pas raconter mais juste montrer et laisser le spectateur seul ouvrier d’un monde diégétique à construire lui-même. Chaque image est un choc visuel immaculé et calculé. Tous les plans suivent la logique d’un mouvement rapide en extrême contre-plongée qui aboutit à chaque fois sur un gros-plan d’un visage qui exprime le désespoir et le questionnement. Plus qu’un film sur la vie, The Tree of Life est une longue prière dont la majorité des voix-off (celle du père des enfants, celle de Sean Penn, celle de la mère) sont murmurées timidement au Seigneur. Dieu est clairement au centre d’un film à la posture verticale : la foi, l’Eglise, les règles du père et les ordres du Père.

Filmer la grâce
« There’s two ways in the life. The way of nature. And the way of grace. » est la phrase inaugurale du film et le projet que Malick essaie de concevoir pendant plus de deux heures. Quelle est la voie à choisir ? Laquelle choisiras-tu, fils ? Laquelle as-tu choisie, père ? C’est l’histoire d’une famille, d’un père autoritaire mais absent, d’une mère protectrice mais passive qui se posent des questions tout au long de leur existence en cherchant la réponse chez Dieu, à travers la nature. Déployé en plusieurs mouvements comme une symphonie, le film commence par le drame, puis par la vie adulte de l’aîné (impeccable Sean Penn), et enfin retrace le chemin des origines de la vie. Le début est si intense qu’on se demande comment Malick va réussir pour ne pas faire chavirer l’énorme vaisseau lancé comme un astéroïde au milieu de l’Histoire. Poète de la fugacité, le réalisateur domine son sujet, l’étend de façon surprenante jusque dans le cosmos et au milieu de la Nature ordonnée par l’eau, élément dominateur et omniprésent tout au long du film. The Tree of Life est à coup sûr une œuvre majestueuse, qui effleure la grâce et la perfection et qui confirme encore une fois l’immense jeu d’acteur de Brad Pitt et lance parfaitement le jeune et talentueux Hunter McCracken. Est-ce le chef d’œuvre parfait ? Durant la première heure peut-être. Mais, comme souvent dans les œuvres qui se veulent atypiques et puissantes, la fin se brise sur elle-même et flanche quelque peu ; elle rend compte des limites du cinéma pour montrer ce que tout réalisateur a un jour tenté de filmer : la vie après la vie, le paradis sur terre où nous nous retrouverons tous.

Beaucoup ont voulu comparer The Tree of Life à la (plus ?) grande œuvre de Kubrick, 2001: A Space Odyssee. La différence est pourtant flagrante: lorsque Kubrick suggère, Malick montre. Et quand Kubrick termine son film par la plus improbable et incompréhensible scène du cinéma, Malick continue dans sa volonté de filmer des plans plus beaux les uns que les autres. Et parfois, ça ne suffit pas. Pourtant, le dernier rescapé de la descendance Herzog-Kubrick s’est essayé à tourner une odyssée de la vie qui nécessite des plans attendus (la naissance, le bonheur, la mort) et malgré la séquence finale, le film regorge d’instants bénis: lorsque Brad Pitt apprend à ses fils à se battre ou quant les trois frères regardent les façons étranges qu’ont les gens de marcher dans la rue. Là, on touche au sublime.