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21 janvier 2011

MUSIK TANK: THE SHIRELLES

Illustration : Saïnath


Ma main à couper que chez Think Tank nous sommes les seuls à avoir pensé à fêter les 50 ans d’anniversaire d’une des plus belles chansons d’un girls band novateur ; Will You Love Me Tomorrow est le premier single d’un groupe composé uniquement de filles à atteindre le sommet des charts aux Etats-Unis en janvier 1961 – et c’est signé The Shirelles !

Très souvent lorsqu’on évoque les groupe-à-filles des années 60, on a tendance à placer les Ronettes, les Crystals ou les Shangri-La’s au-dessus du lot. Une des raisons à cela, c’est que derrière ces différentes formations, se trouvait aux manettes de la prod Phil Spector. Sauf les Shangri-La’s, avec lesquelles Spector ne collabore pas. Pas grave, elles avaient quelque chose en plus. Certains diront que c’étaient leurs textes, d’autres la mélodie parfaite et quelques spécialistes les hisseront au panthéon du genre pour leur côté anti-love, précurseurs de groupes plus sombres, tels Jesus & Mary Chain, The Velvet Underground ou aujourd’hui les Warlocks, BJM voire Beach House. Mais peu avant les grands hits des Ronettes & cie, se formait en 1957 au lycée de Passaic dans le New Jersey un groupe 100% féminin, 100% black, 100% novateur et 100% génial : The Shirelles.


Les quatre lycéennes qui forment alors The Poquellos (leur nom juste avant de se faire signer) écrivent leur première chanson I Met Him On Sunday l’année de leur formation et interprètent cette composition originale à capella dans leur école. C’est la mère d’une de leurs amies du lycée, Florence Greenberg, qui décide de les prendre sous son aile, de les signer sur un label conçu spécialement pour elles et de les rebaptiser The Shirelles en hommage à Shirley, la lead singer et co-writer du groupe. Elles enregistrent aussitôt leur titre (avec instrumentation cette fois) publié chez Decca Records qui se classe dans le Top 50 US. Quelques flops plus tard, le groupe signe un contrat sérieux chez Scepter Records et sera alors aidé par l’excellent producteur Luther Dixon – qui à l’époque a déjà travaillé avec Elvis et qui, plus tard, écrira la chanson Boys (reprise par les Beatles) et travaillera avec les Jackson 5 et les Platters. Dixon participe alors activement au processus de composition des futures chansons du groupe. Après quelques reprises, dont Dedicated To The One I Love en 1959 (piquée aux 5 Royales), le duo L. Dixon/Shirley Owens écrit Tonight’s The Night, qui n’est pas un grand succès, mais qui présente alors déjà les immenses qualités du groupe : une écriture fraîche, simple et directe. Le crescendo qui ouvre la chanson sur son refrain présente ensuite un titre doté d’une partie rythmique très soul emmenée grâce à un mariage parfait entre la guitare et la batterie, jouant à contre-courant et laissant tout l’espace lyrique à la voix grâcieuse de Shirley, appuyée et sublimée sur fond de chœurs bouillants. Pouvait-on faire mieux alors ?


En 1961 sort donc Will You Love Me Tomorrow, tiré de l’album Tonight’s The Night. Le single se classe numéro un aux Etats-Unis (et numéro deux en Angleterre) ce qui est alors une première pour un groupe composé uniquement de filles. Ici, l’amour et le doute cohabitent, hésitant sans cesse entre crainte et espoir : « Is this a lasting treasure or just a moment’s pleasure ? ». Chaque note retombe à chaque fois sur l’inévitable question du titre de la chanson, toujours relancée par l’écho des violons qui chasse les craintes un peu plus loin, permettant d’y croire un peu plus. Ce succès relance les titres moins connus du groupe, Dedicated…, Boys ou l’excellent Mama Said. Une année après, le groupe enregistre son deuxième (et meilleur) album : Baby It’s You, dans lequel se trouve les plus grandes chansons du groupe : Soldier Boy, The Things I Want To Hear (Pretty Words), The Same Old Story, Make The Night A Little Longer et le self-nommé Baby It’s You. Entre ces petites perles, divaguent quelques chansons-pour-danser qui ne déplaisent pas, mais qui manquent parfois de matière (Big John reste assez bonne tout de même). C’est sur les morceaux de la première catégorie – réelles pépites du genre – qu’il faut comprendre le disque. Le refrain en colimaçon de Make The Night A Little Longer fait tourner la tête et plonge l’adolescent dans un été qu’on aimerait « just a little bit longer ». Le charme discret et faussement naïf de The Things I Want To Hear vaut les plus beaux titres des Chiffons et que dire du Nancy Sinatrien The Same Old Story où il est impossible d’oublier la ligne : « I know ev’ry little things about you » (prononcé « ya ! ») qui résonne encore longtemps dans la tête à la fin du morceau. Puis, évidemment, il y a Soldier Boy qui devient le deuxième et dernier numéro un du groupe aux Etats-Unis avec son riff à la Shadows. En ouverture du disque, on retrouve la chanson titre éponyme pour ne pas rater le décollage. Mais comment le rater ? Baby It’s You est le prototype de la chanson soul parfaite avec ses chœurs, sa batterie sourde et ses paroles intemporelles et destinées à tous, car sans aucune allusion directe à un sexe déterminé. C’est ce qui explique pourquoi elle connut un immense succès et fut tant reprise autant par les Beatles en 1963, puis par bien d’autres : Elvis Costello, Johnny Thunders et puis The Smith plus tard. Les paroles ne demandent aucune modification que ce soit pour la chanter à sa copine, à son copain, à sa muse, à son père, à sa sœur ou à son ex petit ami… Et tout de suite, ça sonne et on ne peut se tromper : un classique est né. L’album Baby It’s You n’est pas une quête, mais une demande de tendresse et d’amour, priée et dansée par quatre grandes chanteuses aux voix émouvantes et illuminées, pleines de vie. Dixon quittera le groupe en 1962, laissant le groupe orphelin de celui qui les hissa si haut.  « Je ne peux m’aider moi-même » chantait Shirley une année avant… Pour la peine – et c’est cadeau – voici une version unique et nouvelle de Baby It’s You, interprétée spécialement pour Death Proof en 2006 (hé oui encore lui…). Une scène inédite et intégrale, et à capella s’il vous plaît ! Tiens… N’était-ce pas ainsi que les Shirelles commencèrent ?