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15 juin 2017

Alien : la solitude de l’androïde

Illustration: Saïnath Bovay

Meilleure série de films mêlant science-fiction et horreur, Alien repose, entre autres, sur des scènes terrifiantes et un univers fascinant façonné par Giger. Son scénario partait sur une base au final assez classique et le répétait avec quelques variations : un alien, tueur parfait+une équipe chair à alien+une héroïne pour tuer cet alien. Mais est-ce que, dans cette série de six films (on exclue ici les trois Alien VS Predator), le caractère évoluant le plus d’épisode en épisode était en fait l’androïde ? Entre salaud et gentil, portrait d’un personnage à forte charge morale dont l’importance est telle qu’il finit par occuper le premiers rôle dans le dernier opus.

Alien, c’est bien sûr une bête terrifiante et fascinante, suivant un triptyque incubation-perforation de la cage thoracique-monstre parfait décliné désormais dans un arbre généalogique florissant. Face à ce monstre parfait, c’est aussi une des meilleures héroïnes de l’histoire du cinéma, le sergent Ripley, à la bonté et à la grandeur morale, dotée d’un courage prodigieux. L’après Sigourney Weaver de la série Prometheus perpétue ce modèle avec des actrices tentant d’arriver à sa cheville, y arrivant parfois. Entre deux, des équipages et scientifiques destinés à mourir dans des conditions difficiles. Et même quand certains survivent, les réalisateurs se donnent le soin de les assassiner froidement entre deux films (David Fincher avec Newt et Hicks).

Au milieu de tout ça, un personnage change fortement de film en film et s’impose comme un acteur clé de la série, l’androïde. Il n’a pourtant été ajouté au scénario du premier film, Alien le huitième passager, que dans un second temps à la requête des producteurs Walter Hill et David Giller. Il représente, évidemment, en soi un questionnement sur l’humanité d’un être entre robot, démon, ange et humain. Cette frontière est constamment mise en scène dans les différents films. Sa nature de robot est ainsi cachée aux spectateurs et aux autres personnages dans la première partie de deux opus (Alien le huitième passager et Alien Résurrection). Quand elle est connue, son humanité mimée est raillée ou questionnée par les humains. Ces rapports souvent marqués par la suspicion envers un être qui se fait passer pour ce qu’il n’est pas vont rythmer une évolution en dents de scie de la morale androïdienne à la part d’humanité grandissante. Suivons ces différentes facettes.

Ash le salaud
Première apparition du personnage, Ash d’Alien le huitième passager a été pensé comme le salaud du film. Infiltré au sein de l’équipage, ce robot scientifique obéit uniquement à l’agenda caché de l’entreprise qui veut récupérer l’alien pour étudier son potentiel militaire. Dans le film peut-être le plus angoissant de la série, il représente un personnage au comble de l’horreur. Tous ces traits de bonté (laisser rentrer un membre de l’équipage le visage couvert d’un facehugger malgré les exigences de quarantaine) ne sont que manipulations sournoises, et il est prêt à faire du mal aux membres de l’équipage qui s’opposent aux plans de l’entreprise. Sa nature d’androïde n’apparaitra que suite à un coup reçu qui fera jaillir son liquide blanc. Malgré ces traits qui font de lui une vraie enflure, Ash ne possède en fait que peu de traits humains. Il constitue la simple incarnation servile de la volonté cupide d’une entreprise capitaliste, prête à sacrifier la force de travail pour toucher le pactole du savoir militaire.

Bishop le bon compagnon
Dans Aliens de James Cameron, Bishop s’oppose en tout à Ash. Dans un film de groupes (les Aliens sont nombreux et attaquent ensemble ; les marines forment un squad ; Ripley n’est jamais aussi proche d’autres humains que dans cet opus), Bishop représente le parfait compagnon. Il annonce sa nature dès le départ sans faux-semblant et est conçu pour ne pas faire de mal aux humains. Malgré de nouvelles visées sordides de l’entreprise à la tête de la mission, il reste dans le camp de Ripley et fait tout pour l’aider. Presque gêné par son infériorité de créature pas assez humaine, il constitue l’androïde le plus attendrissant de la série au point d’avoir sa place dans le vaisseau dans lequel s’enfuie Ripley en compagnie de Newt et Hicks.

Alien3 de Fincher montre une humanité abandonnée et isolée aux fonds d’une prison de tueurs et de violeurs. Dans cet opus, les alliés de Ripley meurent rapidement et ce n’est pas un hasard si c’est le seul où n’intervient aucun androïde.

Call l’indignée
L’androide revient dans Alien Résurrection. Dans ce dernier, Jean-Pierre Jeunet renouvelle profondément l’univers d’Alien sous un angle trans (Ripley mi-humaine, mi-alien ; un nouveau-né encore plus trans-espèce). L’androïde apparait également entièrement renouvelé. Fini les outils serviles des entreprises ou les bons serviteurs, Call, interprétée par la superbe Winona Ryder, chamboule les frontières de l’humanité. Face à une Ripley déshumanisée, des scientifiques fascinés par les aliens et des truands trafiquants d’humains, l’androïde constitue le seul personnage capable d’émotions et d’indignation. Cachant elle aussi sa nature, Call semble être le seul être éthique, cherchant à tout prix à combattre les sordides visées militaires et à sauver l’humanité d’une catastrophe inéluctable. N’obéissant à personne, l’androïde, par sa fragilité et son émotion, semble être ce qu’il y a de plus humain dans un monde déshumanisé. Elle est épargnée jusqu’à la fin du film, ce qui dans Alien constitue un exploit de taille.

David le trop humain
Ridley Scott va en quelques sortes continuer cette exploration d’un androïde de plus en en plus humain avec le personnage de David, qui confirme l’importance du personnage de l'androïde. Ce dernier est le seul à apparaitre dans les deux films de la série Prometheus et se construit petit à petit pour occuper le premier plan. Sous la plastique froidement parfaite de Michael Fassbender, David est un androïde raffiné, cultivé et ultra affuté physiquement. Aussi bien dans Prometheus que dans Covenant, c’est le seul personnage à faire appel à la culture humaine, qu’il s’agisse de poésie, de musique ou de peinture. Sa nature d’androïde, sans être cachée, grouille de paradoxe. Il est à la fois capable d’émotions propres, de penser par lui-même et en même temps conçus pour servir ses créateurs, les humains. A la fois sous-humain (souvent moqué), humain (partiellement libre, capable d’émerveillement) et surhumain par ses capacités, il finit par constituer sa propre humanité améliorée à lui tout seul. Dans l’ouverture de Covenant qui met en scène la naissance de David, ces trois traits sont présentés. Il choisit son nom et pose des questions (humain), est immortel (surhumain) et doit servir le thé (sous-humain).
Accompagnant une mission d’humains à la recherche de leurs créateurs, il pose le même regard sur ses propres créateurs. Face à des humains souvent arrogants et décevant qui lui disent ne l’avoir créé que parce que « c’était possible et pour les servir », il ne ressent plus que du mépris pour cette humanité. Si tel est le genre humain, la morale perd sa raison d’être. Peu importe le bon, seul compte le parfait. Ridley Scott montre pour la première fois la solitude d’un androïde au-delà de l’humanité, antichrist conscient de la vacuité de la nature humaine. Cette position fera de David un être aux confins de l’humanité, à la recherche de la perfection absolue, là où douleur et amour cohabitent et l’émerveillement et l’art se nourrissent de l’horreur (le cabinet des curiosités) et du sadisme (la scène des œufs).

Walter le retour du bon serviteur
Après cette ascension d’un personnage dont l’humanité augmente de film en film au point de la dépasser, le dernier androïde en date constitue un retour en arrière. Repris en main par l’humanité, Walter s’est vu ôter ses traits trop humains pour redevenir un bon serviteur. Il est celui qui ne connait que le devoir de servir. S'il possède des capacités extraordinaires, il  s’est vu retirer le droit de créer. L’humanité a retiré aux androïdes le feu de l’identité et du choix pour en refaire de parfaits outils. David et Walter constituent dès lors deux frères qui posent le dilemme moral sous un angle fortement misanthrope, à l’image de l'atmosphère générale des deux derniers films : le bon est l’attribut de l’esclave, le mal celui de l’être libre.