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04 novembre 2014

Speaches: Octobre 2014

Illustration: Johanne Roten


Octobre fût indien mais pas "hot" pour autant. Entre une recherche sur les fantômes et les paysages brumeux du nord de la Russie, on vous parle déjà de demain, du froid et de la neige. Ce mois-ci on revient forcément un peu plus sur le cinéma (de belles sorties entre Dolan, Léviathan et le LUFF) et sur des manques existentiels personnels, des déceptions new wave alliées à celle d'un Woody qui sent de plus en plus la naphtaline ou, plus harmonieusement, se laisser bercer par le dernier crooner de notre époque, Dean Blunt. Alors on s'assoit et on s'éprend par ce qu'il y a de plus vrai dans ce bas-monde : un bon verre de cognac au Musée de la Chasse et de la Nature de Paris, histoire de se préparer parfaitement pour affronter l'hiver.


LA CREME DU MOIS

Pierre Raboud: MOMMY de Xavier Dolan
Les motifs d’agacement sont nombreux : la précocité du réalisateur, le côté adolescent du film et ses visions du monde égocentrée avec une maman héroïque et un panorama de mecs tous plus stupides. Mais pourtant, le film déploie une qualité qui fait vite oublier ces agacements : des très beaux plans, de grande scènes pop (Celine Dion, "Vivo per lei" au karaoké), des bonnes idées techniques (la variation du cadrage),... Dans un film peut-être moins adulte que LAURENCE ANYWAYS, Dolan s’attaque à un sujet rarement traité, la folie, et parvient à en faire un cri émouvant de liberté. 

Colin Pahlisch: La bibliothèque des textes fantômes
Le terme « fantôme » n’est pas seulement un ectoplasme, être ou non-être laiteux suspendu entre existence et trépas, et, en général, entre le sol et le plafond pour ceux qui s’y sont confrontés. C’est aussi un concept, au sens le plus deleuzien, forgé par un critique de la littérature contemporain, Pierre Bayard, et qui désigne tous ces textes qui apparaissent (littéralement) dans les autres textes... sans pourtant présenter de référent réel : l’histoire du marquis de Rollebon, soi-disant rédigée par Roquentin, l’analyste nauséeux de Sartre ; la pièce de théâtre qui obsède Jack Torrance, héros de Shining, avant qu’une lubie ne le prenne de trucider les siens, et jusqu’aux listes de courses et autres notes-sur-bout-de-serviette que tout personnage de fiction disperse sur l’espace bruissant qui leur est ouvert. Ces textes, leurs apories, leurs jeux, un colloque à l’UNIL vient de leur rendre hommage. Exercice délicat mais réussi, qui donne envie de se replonger dans Qui a tué Roger Ackroyd ? de Bayard, justement !

Maxime Morisod: LEVIATHAN de Andreï Zviaguintsev
Maîtrise russe oblige, le dernier film de Zviaguintsev explose à l'écran malgré sa noirceur constante et glaciale. Dans un petit village au nord du pays, une histoire d'expropriation tourne mal et oblige un citoyen à accepter la volonté - et la loi - de l'Etat. Le film fait allusion au traité de Thomas Hobbes publié en 1651 qui définit le contrat social et la formation de l'Etat et de la souveraineté. Des éléments qu'on retrouve dans le long-métrage et qui soulignent en fin de compte le combat perdu d'avance d'un homme en froid avec le système ; une force inébranlable et qui avale tout sur son passage.

Raphaël Rodriguez: XEN de Arca
Si c'est un pari peu risqué de parler d'Arca en plein boom, son album XEN me semblait mériter qu'on s'y penche brièvement. Pour plusieurs raisons, Arca est une exception à la norme. Premièrement parce que son profil est vachement plus intéressant que celui de nombre d'artistes encensés en ce moment dont le breakthrough s'est effectué dans la zone grise entre mainstream et cool (A ce sujet, lecture enrichissante chez The Fader). Deuxièmement, parce qu'il a tout fait à l'envers et que sortir son premier album sur un label d'ampleur (passer de UNO à Mute, en gros) après avoir produit pour Kanye West, c'est bien casse-gueule. Pour tout dire, XEN est loin de l'album parfait: entre les instants de brillance s'installe souvent un petit doute. C'est parfois branlant (même si parfaitement produit), parfois amateur, souvent inabouti (rarement plus de 3 minutes par morceau), mais le parti pris, pas si accessible mais jamais chiant, force l'admiration.



LE PETIT LAIT DU MOIS

Pierre Raboud: Ne pas avoir de console.
Même si contrairement à une rumeur persistante les jeux vidéo ne sont pas les premiers produits culturels actuels, ils s’affirment toujours et encore comme un lieu de créativité aussi bien pour les blockbuster que pour l’indé, ce qui rend parfois le fait de ne pas avoir de console une source de frustration. Cette dernière devient presque douloureuse avec un jeu comme "Alien, Isolation". 

Colin Pahlisch: Un Woody raté
Un soir, bon, il pleut, ou non, mais quand même, et on sort se faire un film. Et on tombe, de haut, après l’avoir été sur l’affiche sur le dernier Woody Allen. Magic in the Moonlight est une histoire qui pourrait bien partir, débute en fanfare (celles de Beethoven et de Tchaïkovsky) mais s’affaisse bien vite une fois que sous le masque d’un vieux chinois on a reconnu l’habituel Colin Firth dans l’habituel rôle de dandy-crispé-aux-bonnes-manières, entourloupé par une pseudo medium dont il finira, on s’en doute, par s’éprendre (et nous pas). Woody recycle, Allen s’essouffle, et même les références à Freud, pourtant nerveuses du processus d’écriture et de réalisation du plus neurasthénique des façonneurs de pellicule, suffisent à peine à tirer une grimace. Ah, non, c’était le chewing-gum sous mon siège.

Maxime Morisod: Un Chabat grandiose dans un Dupieux moyen
Film de fermeture du LUFF, le dernier Dupieux raconte l'histoire d'un caméraman de télévision (Alain Chabat) qui désire réaliser son propre film. Bob Marshall, son producteur et vieil ami approuve l'idée. Mais pour débloquer le budget, Chabat doit trouver un son de rugissement particulier. Dupieux réussit à exploiter le meilleur de Chabat, et rien que pour ça le film vaut clairement le détour. Les scènes avec lui et Jonathan Lambert sont extrêmement drôles, absurde et presque déjà mythique. Le reste du film est un mélange de burlesque et de petites choses qui vont et viennent. Dupieux réussira-t-il un jour à faire mieux que Steak et Rubber ? En tout cas, il a déjà réussi à nous refaire goûter à du Chabat 100% nul. 100% Parfait quoi.

Raphaël Rodriguez: Andy Stott, c'est pas si bien
Andy Stott m'avait proprement assommé en 2011 avec PASSED BY ME, gros trip slow-mo techno sombre comme il faut, passablement influencé par le dub, un truc qui racle bien. Naïf que je suis, j'attendais beaucoup de la suite. Un premier live au Bourg frôlant la beaufitude et un album médiocre l'année d'après m'ont fait progressivement décrocher, jusqu'à sa collaboration avec Mile Whittaker de Demdike Stare, un peu plus inspirée, laissant présager la possibilité d'un retour plus rugueux. Son album fraîchement annoncé et un single plus tard, retour au désenchantement. "Faith in Strangers", single éponyme, laisse présager le pire. Première conclusion: c'est hi-fi à mort, vachement pop, en parfaite harmonie avec ton nouveau système B&O. Deuxième conclusion: c'est tellement conscient. Andy Stott essaie (trop), depuis un moment déjà: un peu de new wave, un peu d'IBM, vocaux gentillets, riddims jungle...le tout édulcoré jusqu'à l'agacement. "Faith in Strangers" n'est pas fondamentalement horrible, c'est simplement un single qui sent le manque d'inspiration à plein nez, en forme de réaffirmation boiteuse d'un mec un peu largué (et embourgeoisé?) et tantinet démonstratif. Andy, "Dark Details", rappelle-toi. Ca c'était bien, c'était douloureux.



LE PAIN SURPRISE DU MOIS

Pierre Raboud: Ty Dolla Sign
Dans un mois d’octobre riche en sortie mixtape (Rich Gang, Eric Bellinger), Ty Dolla Sign réussit peut-être l’arrivée la plus remarquhi-hiée avec SIGN LANGUAGE, une mixtape inventive, en bon élève de Future, variant entre titres plus saccadés et chansons au paroxysme du love avec la géniale "Strech the better". Dans le même temps, Ty Dolla Sign s’affirme comme un des meilleurs invités de featuring avec le single de ce mois "My Main" de Mila J, produit par la machine à tubes DJ Mustard.

Colin Pahlisch: Chasse au cognac
À Paris, y a plein de musées. Mais y’en a un, surtout, dont on m’avait beaucoup parlé et dans lequel j’avais jamais pris la peine de m’introduire, peut-être à cause du génitif : ...de la Chasse et de la Nature. C’était une erreur, tout le long, que de ne pas y avoir été plus tôt. On peut aimer la chasse, ou on peut aimer Les Chasseurs, le sketch des Inconnus. Cela n’enlève pas que l’endroit cossu et pierreux est une vraie découverte, muséographique et, osons le mot, artistique. Par ce qu’il y a des œuvres d’art, dans le musée, et c’est sûrement son point fort : brasser le jeune avec le mort (oui, bon, les bestioles il a bien fallu les...), faire parler la sculpture plutôt que, ou après, la poudre, jusqu’à nous projeter dans un intérieur bourgeois au coin du feu duquel on se surprendrait à vouloir recevoir un vieux pote pour un cognac. Entre deux trophées à l'effigie de têtes de sangliers, c’est une drôle d'impression.

Maxime Morisod: BUZZARD au LUFF
Pas de doute, la surprise cinématographique du mois se trouve au LUFF et se nomme BUZZARD. Deuxième long-métrage de Joel Potrykus (réalisateur de Ape, primé à Locarno), le résultat est plus que conquérant, avec toujours cet humour grinçant personnifié par son personnage phare, Joshua Burge. Si à tout moment, le film pourrait basculer dans l'indé chiant, il est au contraire toujours soutenu par une véritable vision artistique et sociologique de la nature américaine, entre survie du quotidien et clin d'oeil au cinéma d'horreur.

Raphaël Rodriguez: Dean Blunt ou la réincarnation Britopop
Je le dis d'office, la surprise n'est pas que Dean Blunt sorte un bon album, ça serait le quatrième (en plus de toute sa carrière avec Inga Copeland en tant qu'Hype Williams). A priori, la surprise résiderait dans l'existence d'une production médiocre venant d'un mec qui, aussi antipathique semble-t-il, frise constamment le génie. La réalité est bien plus troublante. Pour ceux qui s'y reconnaîtront tant mieux, désolé pour les autres, mais le terme britpop résonne pour moi comme le truc glauque qui nous a imposé des décennies d'Oasis et autres conneries post-adolescentes décomplexées, soit un "mouvement" aussi ambitieux et profond qu'une comédie tous publics. Et là, angoisse, la première moitié (au moins) du nouvel album de Dean Blunt, BLACK METAL, comme son titre ne l'indique pas, ressemble furieusement à de la britpop. Mais c'est sans compter la touche weirdo, constamment sur le fil, le chant toujours sublimement décalé de Blunt, ce truc mystérieux que peu peuvent se permettre (et une deuxième partie d'album largement plus barrée). Tout n'est pas bon -il y a une limite à ce type d'instrumentation hein, faut pas déconner non plus-, mais impossible de trouver un meilleur exemple de réappropriation des codes les plus blafards de la pop à guitare (sans distortion). On peut le dire maintenant, on a trouvé le crooner de notre époque.