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15 novembre 2014

Bande de filles: film de genre?

Photo: Ugo Hesse, "Thomas-Mann-Straße"


Après Naissance des pieuvres et Tomboy, Céline Sciamma réalise un nouveau film avec pour trame la transformation d’une jeune fille. Le parcours initiatique se fait cette fois sur fond de banlieues parisiennes. En se frottant à des questions de genre, de classe et de race, le résultat est forcément un peu maladroit mais se révèle riche de quelques moments de bravoure, trop rares dans le cinéma français. 

Bande de filles vient ainsi éclairer la situation inquiétante du cinéma français, pratiquement incapable de faire exister visuellement la banlieue et restant extrêmement fermé d’un point de vue racial, mises à part quelques exceptions. On en est donc réduit au point de se réjouir qu’un film donne le premier rôle à une bande de jeunes filles noires, exercice auquel se plie allégrement la majorité des médias. Il est néanmoins vrai que c’est une des forces de ce film que de filmer enfin la banlieue et ses habitant-e-s. Le décor y est malheureusement un peu trop magnifié entre  barres d’immeubles la nuit et les cours, véritables ruines modernes. On pense évidemment à Drive, que ce soit avec la musique de Para One ou avec cette façon de filmée la ville la nuit comme un paysage futuriste rempli de néons. Cela fournit de beaux plans mais fait en même temps perdre en concrétude l’approche sociale. 


Mais cette dernière était-elle vraiment recherchée par la réalisatrice? En effet, si Bande de filles représente un film de genre, c’est d’abord au sens où il s’inscrit dans un genre historique du cinéma : le récit initiatique où l’on suit une protagoniste principale changer de vie à travers la rencontre d’une bande comme dans Bande à part ou Grease, pour n'en citer que les exemples les plus connus. La  réussite du film se rapporte peut-être à cet aspect très traditionnel ; le fait que les protagonistes soient des jeunes filles noires ne change en rien les moteurs du récit, ce qui peut résonner comme une affirmation d’égalité. A travers le charisme de Lady, l’amitié fusionnelle adolescente et le modelage des personnalités, Bande de filles parvient à nous faire sentir proches de cette bande. Céline Sciamma n’en oublie pas pour autant les traits culturels propres au milieu mais tombe allégrement dans les clichés : des bastons aux scènes de danse an passant par le shopping aux Halles. 


Mais Bandes de filles est-il un film de genre, cette fois au sens où il mettrait en avant des questions relatifs aux rapports sociaux entre les différents sexes, comme son nom semble l’indiquer ? Le film montre bien la difficulté de filles à exister dans un monde où ce sont les garçons qui tiennent les barres d’immeubles et les escaliers, tout en ne s’arrêtant pas à ce constat de domination. Cette bande de filles dont il est fait le portrait est puissante et revendique sa liberté. On reprochera simplement au film de tirer en longueur et de se faire parfois un peu trop didactique sur cet aspect de la domination masculine et les rôles restreints qu’elle impose aux filles. De plus, même s’il peut sembler exigeant de demander à un film de rendre compte de l’intersectionnalité de la domination, certaines limites peuvent tout de même être mentionnées. Ainsi une fois de plus dans le cinéma français, l’individu noir de banlieue ne fait que subir la situation sans jamais pouvoir prendre des choix, et suit une trajectoire descendante, et ses perspectives sont bornées à la vente de drogue et à la violence. Ce qui n’est certes pas sans lien avec la réalité des conditions matérielles difficiles vécues par les habitants des banlieues, mais qui en perpétue en même temps la représentation culturelle d’inéluctables perdants sans tenter d’en formuler une autre image, cette fois plus conquérante.