Illustration: Myriam Ziehli
|
Le dernier film de Christopher Nolan divise la critique : entre ceux qui l’élèvent au rang du meilleur film de l’auteur et ceux qui n’y voient aucun intérêt, l'écart des différents avis surprend. Tentative de réponses sur une œuvre partiellement surestimée.
A la sortie d’une projection qui dura 2h50 (mais qui dans mon imaginaire en a duré 14) j’ai ressenti une profonde tricherie de la part d’un réalisateur que je pensais pourtant estimer. Dans le soi-disant « blockbuster le plus intelligent jamais réalisé », le réalisateur britannique n’utilise ni la magie, ni l’illusion – essence même du cinéma –, ni aucune finesse de narrations et baratine le spectateur par des discours pédants et intellectuels sur le fonctionnement d’un monde irréalisable. Dans les faits, Nolan, pour tromper son public, s’empare de deux armes pour le moins suspectes.
La première, c’est l’usage constant de situations vues et revues mille fois dans le cinéma de science-fiction mais aussi dans le cinéma américain traditionnel : des thématiques comme la séparation d’une famille ou la sublimation du travail de l’Américain moyen (le fermier) ou des musiques surabondantes qui s'accordent mal avec une utilisation exagérée du son diégétique. De la part d’un réalisateur aussi talentueux que lui (Le Prestige, la dernière Batman), il retombe ici dans ses pires travers en réutilisant des artifices pauvres et ancestraux rappelant les coutures pénibles et migraineuses de Inception.
Intellectullar
La deuxième arme de Nolan, qui découle de la première, c’est de vouloir tout et trop expliquer avec une instance scientifique qui doit paraître cohérente. Mais on s’en fout ! La science-fiction n’a pas besoin d’être diagnostiquée et enseignée. Elle est par définition un genre qui se définit par une disparition des normes et des frontières de la réalité. Alien en est le plus bel exemple : on se trouve dans un vaisseau à des années lumières de la Terre, à la suite d'une petite pause sur une planète inconnue, une bête pénètre dans le navire par le biais d'un des personnages. Et hop, on repart direction la Terre. Il n’y a rien besoin d’expliquer ou de démontrer : on tourne, on montre (ou on cache) et la magie opère naturellement.
Pis encore : certains le comparent au 2001 Space Oddysey de Kubrick alors qu'il s'y trouve à l'opposé. Non pas parce qu'il est faible, mais parce que le film lui-même n'utilise aucun des éléments et des points de vue de son prédécesseur. En effet, Kubrick ne va jamais perdre du temps à vouloir expliquer ce qu’il se passe dans son vaisseau. Il exploite au contraire l’ignorance du public sur ce thème pour y installer une narration et des thèmes. L'espace, puits de références de l'imaginaire de science-fiction, permet ainsi de laisser errer le spectateur dans la salle de cinéma, dans le noir complet (ce qu'avait réussi Cuarón avec Gravity sur ce point).
Nolan a voulu faire son film dans l’espace et il s’est complètement raté. Je ne vois aucune poésie, aucune qualité de mise en scène, aucune prouesse photographique, aucune tension progressive et encore moins de délicatesse ou de tour de force. Le tout est enseveli par un scénario extrêmement poussif et rempli d'interrogation (quid de ce drone indien au début du film ?). Même Chastain et McConaughey – pourtant deux des meilleurs acteurs de leur génération – n’arrivent pas à retranscrire une once de sentimentalisme. Nolan avorte tristement ce qui est pourtant l’un des plus beaux sujets de l’histoire du cinéma de science-fiction : l’espace.
Irrespirable
L’espace intersidérale ce sont des questions, des mystères, l’infini et le libre recours à l’imagination. Il y a un passage dans la nouvelle La Sentinelle d’Arthur C. Clarke qui définit parfaitement ce domaine choisi par le réalisateur de Interstellar : « D'être venu peut-être cent millions d'années trop tard ne me contrariait pas ; c'était déjà bien assez d'être venu, tout simplement. ». Le romancier, dont l’œuvre fut la source d’inspiration principale de 2001, réussit à simplifier et à rendre poétique et sensible quelque chose d’inconnu et de foncièrement compliqué à raconter (la temporalité, l'univers infini, les autres dimensions). Dans cette citation, l’auteur résume les erreurs de Nolan : vouloir être plus intelligent que son sujet et rendre une production plus mystique qu’elle n’y paraît.
La scène où Cooper se retrouve dans la 5e dimension discutant avec un robot derrière la bibliothèque de sa fille rassemble les pires clichés du cinéma d’attractions en voulant à tout prix montrer un monde irréel et débloquer le mystère. Il n’y a plus d’espace, on ne respire plus et on laisse le spectateur enchaîné à une conclusion extrêmement pénible. Et surtout : qu’est-ce que c’est moche ! Dans le même registre, Danny Boyle rendait une copie bien plus censée et réussie avec Sunshine qui proposait d'ailleurs le même sujet que Interstellar : une équipe d’astronautes partis dans l’espace pour sauver la Terre (ici le soleil qui s’éteint). A vouloir être trop spectaculaire et trop didactique, Nolan perd en souplesse et liberté. On se sent coincé dans un entonnoir qui semble durer des plombes et qui brouille des pistes présentant des lignes didactiques qu’on a du mal à comprendre dès le début.
Ces dernières années, nous avons eu droit à plusieurs blockbusters du genre (Gravity, Prometheus et même Looper dans la thématique de la temporalité). Tous sont plus réussis à plusieurs égards. Alors que j’avais eu beaucoup de peine à aimer Gravity, je le trouve dorénavant beaucoup plus honnête sans chercher à vouloir démontrer quoi que ce soit de philosophique ou scientifique. Sa mise en scène était d’ailleurs autrement plus spectaculaire alors que son point de départ était bien plus intimiste.
Avec Interstellar Nolan ravira certainement ceux qui ont aimé Inception car les deux films sont très proches (rien que les titres) en exploitant à nouveau les mondes qui se confondent et les immenses vagues (d’eau ou d’immeubles). D’ailleurs, le problème du film est peut-être plus simple que tout ce charabia. A vouloir montrer de quoi il est capable, Nolan ne réussit pas à montrer l’essentiel d’une histoire pourtant passionnante et simple : l’homme face à l’Univers.