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17 décembre 2012

MIX TTAPE: Britt Brown (Not Not Fun/100% Silk) "Femme Kingdoms"

Illustration: Botine
Au bout d'une année 2012 finalement riche en sorties de qualité, Think Tank ne pouvait mieux terminer une saison de MIX TTAPES qu'en invitant les fondateurs de deux des labels qui ont nous profondément marqués: Not Not Fun et 100% Silk. Amanda et Britt Brown, couple atypique au possible, sont responsables du déluge d'artistes obscurs initié en 2004 avec la naissance de Not Not Fun. A l'abri des catégorisations de par l'éclectisme qu'ils revendiquent comme une condition même de leur existence, ils ont asséné, sortie après sortie, une identité forte, rugueuse et fraîche, nous gratifiant d'excellentes sorties dont certaines ont su s'installer en fers de lance de diverses scènes, tant house, dub que rock psyché. On parle West Coast, drogues et état de la musique sur un mix 100% femmes des deux labels.



TT: Qu'est-ce qui vous a poussé à commencer ces labels, et pourquoi deux ?
Britt: Not Not fun a été fondé dans le vide. Amanda et moi, on était ensemble depuis quelque mois quand elle a proposé de commencer un petit label de cassettes hand-made, comme on baignait dans les enregistrements bizarres et qu'on avait pas mal d'amis dans des groupes obscurs. On ne connaissait pas beaucoup d'autres gens dans la musique à LA et on n'avait pas tellement conscience de la communauté de labels DIY qui existait. Not Not Fun est vraiment né d'une impulsion très pure. On est les deux encore un peu surpris de voir à quel point ça s'est étendu et ça a grandi. 100% Silk a été lancé avec un agenda beaucoup plus spécifique : sortir et présenter les projets plus dancefloor et électroniques que nos amis avaient développés. On sentait que beaucoup de la musique qui nous obsédait (house, acid, kraut) s'éloignait trop des paramètres de Not Not Fun, alors Amanda a mis en place le concept de 100% Silk et ça a pris tout son sens. J'aime la manière dont ils (ndlr. les labels) fonctionnent en tandem.

Les deux labels ont maintenant pris une place prédominante malgré le fait que vous sortiez majoritairement des artistes obscurs, à tel point qu'on a le sentiment qu'ils sont si bien établis que peu importe qui est l'artiste, le public va s'y intéresser. Est-ce que ça te semble juste ? Est-ce que c'est le fruit d'une stratégie ?
Les deux, on donne beaucoup d'importance au fait d'aider et soutenir des artistes complètement nouveaux. Donner une chance aux outsiders, c'est le noyau-même de la philosophie sur laquelle on a fondé nos deux labels. C'est génial de travailler avec des artistes sur plusieurs albums, mais quand le succès est au rendez-vous, ça peut vite s'articuler plus autour de l'argent, du prestige et du business de merde qu'autour de la camaraderie et de l'art, et aucun de nous n'est attiré ou inspiré par ça. Les labels m'interpellent quand ils font des choix courageux et suivent des lubies esthétiques bizarres plutôt que quand ils renforcent les modèles business génériques de l'indie-rock. La plupart de mes artistes favoris sont ésotériques et mal-aimés et on veut être un des labels qui aident ces artistes. C'est moins une stratégie qu'une attitude.

Est-ce que tu penses que ça témoigne d'une quelconque manière de l'état actuel de la musique ou d'un retour de l'idée du label tel qu'on le considérait par le passé ?
J'ai grandi en aimant l'idée romantique qu'un label indépendant, peu importe à quel point il est petit et pauvrement financé, pouvait vraiment diriger et cultiver une esthétique unique, de manière à ce que, dans un sens, tu sois plus fan du label que tu ne l'es du groupe. Aujourd'hui, les choses sont tellement fluides et interconnectées que je crois que cette idée se désintègre à nouveau, mais on fait tout notre possible pour que notre label défende quelque chose. J'aime moi-même le fait d'être fan d'autres labels et de faire confiance à leur contrôle de qualité et leurs goûts aventureux. J'espère que, pour certaines personnes, Not Not Fun et 100% Silk apportent ça.

On entend souvent à quel point des artistes ou labels américain sont acclamés en Europe alors qu'ils continuent à se battre aux Etats-Unis, en particulier sur la côte ouest. Quelle est votre situation par rapport à ça ? Est-ce que vous êtes associés une certaine scène club ?
C'est bizarre de t'entendre dire ça, parce que c'est comme ça qu'on a toujours connu les choses. On a été assez chanceux pour accumuler quelques extraits de presse de qualité ou de publications qu'on admire, mais sur la côte ouest, les gens ne s'intéressent pas tellement à ce qu'on fait. Le buzz sur internet ne se transforme pas en personnes physiques aux concerts ni en ventes de disques. Los Angeles est une ville massive et grouille tellement de requins de l'industrie de l'entertainment comme de micro-scènes qu'on n'a jamais été associés à une vibe en précis. C'est probablement ça qui nous fait rester obscurs (rires), mais ça nous rend aussi ouverts et avides de ce qui est à venir. L'important, c'est de se sentir inspiré et aussi longtemps qu'Amanda et moi, on peut s'accrocher à ça et aller de l'avant, on se sent chanceux et heureux.

Les Sorties de Not Not Fun et 100% Silk gardent souvent un son très sale et chaud, des mixes bruts, même quand elles sont plus club. Est-ce que c'est un postulat sur la production en général ?
Parfois, les gens pensent lire quelque chose de très profond dans les raisons pour lesquels nous (et d'autres labels) avons toujours favorisé des styles de production plus bruts, mais à la vérité, c'est simplement comme ça qu'on préfère la musique. J'aime les sons physiques dont on sent qu'ils ont été faits par un humain. En fait, entendre les erreurs et aspects brouillons de la main humaine impliquée dans la musique est une part énorme de la magie et du mysticisme de la musique que je préfère. Les morceaux hi-fi brillants me laissent simplement froid. Je m'en fous de la beauté immaculée, j'aime la brume, la crasse et des vibes plus boiteuses et droguées.

Est-ce votre musique est liée à une drogue en particulier ?
Oh (rires). Cool question. Amanda a toujours été quelqu'un d'excessivement sobre, mais la vision du monde teintée de marijuana médicale qui règne sur la côte ouest des USA s'est sans aucun doute infiltrée dans notre perspective, consciemment comme inconsciemment. Fais tourner un joint, une bouteille de vin (ou quoi que ce soit d'autre que tu as pu choper), couche-toi dans une chambre faiblement éclairée et toute musique semblera meilleure. La nôtre probablement un peu plus...