MUSIQUE      CINEMA      ARTS VISUELS      LIVRES      POP LUCIDE      POST DIGITAL

31 mai 2012

Prometheus : accepter l'immensité

Photo: Julien Gremaud
Le voici enfin. Le film le plus attendu de 2012 est sorti cette semaine en Suisse et dans le reste du monde. Sa sortie internationale fût précédée par une couverture marketing extravagante allant jusqu’à créer un arrêt fantôme sur une ligne de métro parisienne. Ridley Scott, l’homme qui nous a pondu Alien et fabriqué Blade Runner – deux des films les plus marquants du cinéma de science-fiction – revient aux origines de la passionnante saga du monstre le plus terrifiant de l’espace.

Dans un interview en 2003, Ridley Scott parle sans trop s’avancer d’un possible cinquième opus de la saga Alien. Avouant que rien n’est très avancé, il laisse entendre que la seule chose qui le motive serait de revenir aux questions posées dans le premier épisode : d’où vient, par exemple, le vaisseau écrasé sur la planète avec ce mystérieuse extra-terrestre à l’intérieur ? Il y a quelque semaines, le réalisateur britannique l’avait confirmé : « C'est de là que je suis reparti ». Si Prometheus offre des réponses aux fans de la saga Alien, il fait peut-être plus, en proposant un film plus dense et plus percutant que tous les épisodes de la saga, excepté bien évidemment le premier. Idée à la mode à Hollywood, le prequel de cette série ne pouvait être imaginé par personne d’autre que son créateur. D’ailleurs, imaginer un Alien 5 était impossible puisque Sigourney Weaver refusait il y a quelques années tout nouveau rôle dans cette saga. Le réalisateur doit accepter cette mort volontaire de sa woman warrior de l’espace permettant ainsi la morale implicite de son nouveau long-métrage : celui qui créé peut aussi détruire.


Big things have small beginnings
Si James Cameron nous a montré le monde lumineux de la science-fiction avec son Avatar, Ridley Scott est plutôt l’homme de la noirceur et de l’horreur usant des mêmes moyens que son contemporain : des effets spéciaux prodigieux et une 3D que l’on accepte (bon, mais c’est la dernière fois!). Une équipe de scientifiques est embarquée à bord du vaisseau nommé Prometheus pour découvrir une planète qui devrait apporter des réponses sur les existentielles questions « qui sommes-nous » et « d’où venons-nous ». L’équipage est malheureusement encore une fois pathétique, à l’américaine, avec celui-qui-n’est-pas-content-de-venir, ceux-qui-sont-amoureux, et celui-qui-fait-le-chef et qui a l’air un peu méchant. Premier bémol du film ? Moui… mais finalement, quand on revoit Alien, on se rend compte que l’équipe de scientifique à la cool était déjà du même acabit. Alors bon, passons. Dans l’équipe d’expédition, on trouve aussi David, dont nous apprenons très tôt qu’il s’agit d’un robot, à l’inverse de Ash dans le premier épisode de la saga qui dévoile son identité tard dans le film. C’est le quasi anagramme de Ash, Elizabeth Shaw qui sera, avec Fassbender en David, les seuls personnages passablement intrigants de ce prequel. Car oui, le scénario contient ses zones d’ombres. Forcément, quand on prend le mec qui scénarise Lost… Au CV du monsieur, il y a aussi l’exécrable Cowboys vs Aliens. Alors OK, c’est de la science-fiction et ce genre permet d’innombrables invraisemblances, mais à la sortie de la salle, on repense à des incohérences un peu trop grosses qui laissent un peu sur notre faim.


Mais finalement, Alien était aussi basé sur des interrogations et c’est ce qui en faisait la force du film. Il faut laisser à Ridley Scott la grâce d’avoir su resté encore assez sobre dans l’utilisation des 250 millions de dollars de production (même si ça fait drôle de le dire…). Comme Alien, tout se passe soit dans le vaisseau, soit dans la grotte trouvée sur la planète. Et comme Alien, les trente premières minutes sont d’un régal absolu. Pourquoi ? Parce que premièrement, Prometheus reprend exactement la même trame narrative d’ouverture du film de 79 (vaisseau dans l’espace, atterrissage sur une planète inconnue, exploration d’une caverne étrange, suspens en crescendo, indices extra-terrestres) et deuxièmement, pas grand chose n’est montré durant les premières 45 minutes. Evidemment, Scott ne pouvait pas rejouer le mode de la suggestion horrifique parfaitement mis en place avec Alien, mais il réussit à ne pas déborder dans tous les sens. L’explosion du vaisseau, les monstres qui petit à petit surgissent, une séquence proprement horrifiante, les scènes d’action irriguent parfaitement les deux heures de science-fiction pure que propose le réalisateur. Au niveau visuel et même tri-dimensionnel (les plans subjectifs dans les casques des astronautes), Prometheus, à l’image de sa séquence d’ouverture, est une merveille pour ceux qui aiment l’ambiance d’Alien.


Mythologique
La scène d’ouverture est d’ailleurs un coup de poing visuel, exploitant en quelques minutes intelligemment le récit qui va suivre avec ces paysages hostiles, ces coulées de neiges et les eaux bouillonnantes allant même jusqu’à citer le mythe de Prométhée lui-même : un Dieu, désirant apporter la lumière aux hommes, se fait bannit de l’Olympe. Par son histoire, le film tente de répondre à la question universelle : avons-nous un créateur ? Cette idée plutôt réactionnaire permet l’élaboration d’un récit de (science-)fiction qui va confronter création et religion. La présence du crucifix autour du cou de Shaw aura parfois l’air d’une plaisanterie décorative alors qu’il prouve une puissance en la croyance humaine. Comme ce dialogue entre David et Milburn, où l’homme méprise le robot en le narguant de ne pas avoir d’âme. David, sous ses airs de Lawrence d’Arabie, sourit et rétorque : « que diriez-vous si vous rencontriez votre créateur et qu’il vous parlait ainsi ? ». Malheureusement, le film ne fait qu’effleurer cette problématique complexe et qui promettait beaucoup puisque l’homme ne se rend pas compte de ce qu’il créé. S’ils ne sont que des ouvrages d’une entité régissante au-dessus d’eux, les hommes perdent ainsi toute croyance mentale, pourtant si importante pour l’âme, comme le démontre le rêve de Shaw ou les peintures murales non pas de la grotte en Ecosse, mais celles qui recouvrent le plafond du temple extra-terrestre. De mythologie, d’histoire de l’art, voire de philosophie, il en est un peu question dans Prometheus mais les questions sont, trop souvent, avortées trop précipitamment.


Alors qu’est-ce qui importe ? Le monstre. Evidemment. N’oublions pas qu’à la base du projet, Scott veut expliquer qui est le « space jockey » au début d’Alien. Cette réponse se trouve dans Prometheus. Et d’ailleurs, ne faut-il pas retenir que cette ligne conductrice qui, en filigrane, traverse tout le film ? Cette création nouvelle, sublime et angoissante qui souligne toute l’erreur humaine de vouloir à tout prix tout savoir, tout expliquer et tout connaître ? Car si de nombreuses critiques affirment que Prometheus n’est qu’un banal film d’actions à effets spéciaux, on n’y apprend le plus important : comment et pourquoi un jour, une bête monstrueuse s’est échappée de l’abdomen d’un humain. Ou quand la métaphore sexuelle d’Alien est devenue une critique de l'avidité de l’humain avec Prometheus. Scott nous livre un excellent rendu de science-fiction, voire le meilleure depuis belle lurette. Les références obligées vont de Solaris ou 2001 : l’Odyssée de l’espace (pour les références ultimes) à l’inattendu Sunshine (Boyle, 2007) ou le très mauvais Mission to Mars de DePalma pour la présence mystique. La Guerre des Mondes n’est pas loin non plus, mais à ce train-là, tous les films de science-fiction et d’extra-terrestres rentrent dans Prometheus, pour le pire et le meilleur.

Prometheus de Ridley Scott (USA, 2012)
*****