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17 avril 2012

Twixt de Francis Ford Coppola

Illustration: vitfait
Après le chef-d’œuvre Tetro, Coppola confirme son retour en pleine forme. A son âge avancé, il oublie toute forme d’hésitation et plonge les yeux fermés dans les arcanes du cinéma. Après l’inceste et la famille, place avec Twixt à la mort et à la beauté. Coppola ou le miracle d’un cinéma savant et naïf à la fois.

Le cinéma est un monde de surprises. Qui aurait pu deviner qu’un ancien réalisateur hollywoodien, petit à petit ringardisé par sa propre fille, allait attendre de passer le cap des 70 ans pour se réinventer complètement en cinéaste se permettant toute l’espièglerie, l’expérimentation esthétique et la candeur généralement réservées aux jeunes débutants ? Coppola parvient en ce moment même à filmer des choses absolument hallucinantes pour l’histoire du cinéma : des films à la fois riches d’un savoir ancestral et d’une maîtrise technique dignes d’un vieil artisan, vivifiés par un plaisir de la réalisation toujours aussi jeune, toujours aussi frais. Ce paradoxe ne manquera pas de choquer certain-e-s spectateur-trice-s venu-e-s dans l’attente d’une nouvelle fresque pimpante ou d’un univers léché. Pour ce dernier élément, celles et ceux qui n’aiment pas être surpris-es n’ont qu’à aller voir le dernier ou le prochain Tim Burton. En voyant Twixt, le/la spectateur-trice ne peut être que décontenancé-e. En effet, ce film renferme non pas un mais trois récits. Ces derniers s’entremêlent avec malice, si bien que souvent – et encore plus a posteriori –, on ne sait plus très bien à quel niveau tel passage se situe. Le récit premier raconte la venue dans un petit village sordide d’un écrivain qui va s’intéresser à un meurtre tout aussi sordide. Les deux autres récits sont des métarécits, ayant pour base cette intrigue. Le deuxième est le roman de vampire de seconde zone, écrit par le romancier en question. Le dernier est un rêve du romancier, qui observe un massacre commis il y a longtemps dans le même village.


Les deux premiers récits sont presque indiscernables, Coppola prenant un malin plaisir à faire passer son film pour un film d’horreur de seconde zone. La différence ne tient qu’à des critères de réalisme. Ainsi, dans le roman, les gothiques sont devenu-e-s des vampires, et la victime se réveillera des morts pour se venger elle-même. C’est cette fin, assez bidon, que semble donner Coppola à Twixt, avant d’assurer un dernier retournement de situation avec un intertitre, annonçant le futur véridique des différents personnages ne faisant plus aucune mention à des êtres extraordinaires. L’entremêlement est réussi à un tel point qu’on en finit par se demander si le film ne nous a pas montré qu’un seul de ces deux récits pour nous laisser seulement deviner l’autre (je vous avais prévenu-e-s que c’était un peu compliqué). Mais si on s’extrait de la trame narrative, on s’aperçoit que les trois faces du film explorent le même thème. Et là, Coppola n’en est plus au niveau de la simple amourette ou de la vengeance ordinaire. Non, il vise directement des thèmes essentiels à l’art en général. Ici, il s’agit de la beauté assassinée, image suprême de la mélancolie. Cette trame, grâce à la multiplicité du film, sera explorée sous plusieurs aspects : onirique, kitsch, concret et même autobiographique. Chacun sera riche de sa propre beauté, montrera le massacre de cette dernière et enfin permettra à la beauté d’être vengée, que ce soit par elle-même ou par un tiers.


D’un point de vue formel, Coppola maîtrise le tout avec beaucoup de grâce et ce qu’il faut de maladresse pour rendre le tout sympathique. Laissant le noir et blanc de Tetro de côté, il se rattrape en utilisant un contraste de gris pour filmer les nombreuses scènes de nuit ou de rêve, rehaussées de quelques touches de rouge bien pimpantes. Quelques fois, cette effervescence se trahit par une forme de maniérisme pas toujours très agréable. Néanmoins, ce dernier se trouve très vite compensé par l’autodérision dont fait brillamment preuve Coppola en laissant son film se confondre avec un roman de seconde zone et en donnant le rôle du personnage principal à un Val Kilmer émouvant par sa force pataude et sa naïveté. Face derrière laquelle se glisse l’enthousiasme artistique d’un Coppola,  l'improbable candide.