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28 février 2012

TT Books: Linus Bill, Golf Wang et Jérôme Knebusch

Photo: Golf Wang, reproduction Julien Gremaud
Ici et là, l'édition d'art recèle de belles surprises; son enthousiasme et sa plus-value lui assure une diffusion non-négligeable. Loin d'être à l'agonie comme certains le prédisent à tort, il prend même des formes inattendues. C'est ainsi que l'on retrouve pour cette nouvelle chronique TT Books les rappeurs ultra-classes de Odd Future, aux côtés d'artistes, plasticiens ou écrivains. Le livre d'art et ses artistes jeunes: l'occasion de démontrer qu'il ne circule pas que sous les noms Taschen ou Steidl, mais sous des entités multiples. Un post sous l'égide des récits.

Ainsi, nous débutons avec le petit livre gris (25x17.5 cm) de Linus Bill, Topmotiviert. Rapidement, l'artiste suisse-allemand (Bienne) bénéficie d'une jolie attention, alors qu'il étudiait encore à l'Ecole d'Art de Zürich. Bill dessine, peint, installe et photographie, souvent avec des slogans absurdes, parfois avec des Mickeys, des mains surtout. Mieux: il publie à un rythme effréné, d'excellents ouvrages d'art, jusqu'à gagner un prix lors des Plus Beaux Livres suisses, en 2007 déjà, avec Meistens macht man die im Haus, aber im Sommer gehts auch draussen, livre d'illustrations sous l'égide de l'éditeur zürichois Benjamin Sommerhalder et sa maison d'édition tip top Nieves, au catalogue plus que fourni. Sinon, Bill publie aussi ses photographies, à l'instar de Piss down my back and tell me it's Raining, reprenant des travaux issus de ses études notamment, ou encore Tu M'as Volé mon Vélo. Avec Topmotiviert, Linus Bill change d'écurie et publie son nouveau travail chez Rollo Press, mené par Urs Lehni, en pleine transition apparemment entre la technique du Risographe et le passage à l'offset. Topmotiviert est en fait la publication de l'exposition Was Nun?, tenue au Photoforum PasquArt de Bienne, associant Bill à Patrick Hari et Timm Ulrichs (*1940, Berlin), figure pionnière de l’art conceptuel. A la maison, Bill semble mener la danse et l'exposition tient le spectateur en haleine, dans un pluridisciplinarité  bienvenue. "Objets, installations, photographies et autres procédés d’impression composent un parcours en forme d’interrogation qui combine les trois positions artistiques" (Annonce de l'exposition biennoise). Le livre passe à travers plusieurs couches de l'expo: simples reproductions de toiles, déclenchements approximatifs au flash, vues de l'arrière-cour et mise en abyme de ses œuvres Topmotiviert traduit une pratique artistique vive, précise et bordelique à la fois, brut et saturée; graphiquement, les choix sont réduits au plus simple, avec des photos verticales en mirroir, sans pause, où l'on joue sur les échelles. Une belle ballade subjective du Was Nun? de Linus Bill. L'avenir lui appartient.



























































L'avenir n'est non plus pas un problème pour les Odd Future, c'est le cas de le dire. Incarnant un hip hop au top l'an passé, les OFWGTKA ont tourné sans arrêt et ne devraient pas s'arrêter avant… Avant quoi? La prison? Certains y sont déjà passés… Le crack? Pas sûr qu'ils tombent dans le piège. Le skate? Peut-être bien… Malgré tout, Tyler, The Creator et son collectif semblent garder les pieds sur terre, pas si sectaires qu'on pourrait bien penser, généreux et assez loquaces. A travers le tumblr Golf Wang, les Odd Future ont parfaitement documenté leurs premiers faits d'armes sur la route, avec bien plus d'allure que n'importe quel autre groupe à guitares: ni niaises ni faciles, leurs photographies témoignent d'une certaine lucidité, dans le travail et dans le succès, d'occupations de gens de leur âge dont, surtout, du skate et encore du skate (au point de faire la Une du magazine Trashers). A la fin de l'année passée, toute cette documentation finit dans une publication. Un groupe de hip hop publie un livre d'art, WTF? Sisi! Et voici leur réponse équivoque: "Yes! GOLFWANG Is Finally Being Made Into A Book (…) Nothing Special, Just Photos That Our Group Of Friends Took". Effectivement, ce Golf Wang n'a pas d'intention ultra-artistiques: ici, il y a de la maladresse, des films voilés, cramés, des mises en scènes pas terribles, des photos anecdotiques, pas mal de private jokes. Toutefois, ce livre publié par PictureBox n'exclut pas l'amateur de photos au détriment du simple fan de OFWGTKA. Sur presque 200 pages, la somme est suffisamment dense et honnête pour représenter un réel intérêt documentaire, témoignant d'une réalité des skateparks et de stars en puissance pas si déconnectées du monde que ça. Ni Swag ni crétins, la fine équipe joue sur ses propres codes – le studio, saint des saints des rappeurs, les groupies, les concerts, les flingues, la marque Supreme – pour mieux les désamorcer. Ce ne sont juste que des photos, rien de spécial comme mentionné. Dans la préface, Tyler témoigne: "Après tout, voici ce que nous sommes: jeunes, ignorants et passant du bon temps. PS: libérez Earl (Sweatshirt, en prison alors ndr.)". Golf Wang recèle de splendides snapshots et atteint parfois le niveau de publications de Ari Marcopoulos, fourni par le gang lui-même: ça évitera qu'un photographe de concert arriviste ne se fasse de la thune sur leur dos comme c'est bien trop souvent le cas dans la musique.





















































































"Choses lues, entendues, trouvées, inventées, vécues et autres mensonges". Après le récit d'exposition et le carnet de route, terminons ce TT Books audacieux avec l'artiste français Jérôme Knebusch. Actuellement basé à Francfort, le diplômé de Nancy travaille avec les mots et, lui aussi, avec le livre, au point de faire le médium central de sa pratique artistique. Dans cette dynamique, Notizen zu Berlin est un adorable petit livre de poche, "procédant d’une quête impossible de l’identité de la ville de Berlin". En deux langues, ce carnet de croquis berlinois est imprimé en offset argenté sur papier noir. Noir, comme la face comique de la ville, son attractivité nocturne en négatif de la grisaille quotidienne parce que ce n'est pas si facile de vivre à Berlin, malgré les apparences. Si on enlève la jaquette externe, on se retrouve avec un livre sans titre ni page de garde ou encore de nom d'auteur. Les récits débutent. "Je n'ai pas trouvé la première phrase, la première phrase décisive (…). Je me suis levé et j'ai dit: on rentre". Plus loin, on se retrouve au Berghain, forcément, mais aussi à l'étrange Postdamer Platz, à Treptow, dans des élucubrations tintées de mythes berlinois ou de simples anecdotes aussi vite oubliées. Au final, si l'on apprend quelques trucs 112 pages durant, l'ensemble est assez léger mais veut s'inscrire comme une œuvre d'art, ou plutôt une performance textutelle. Plus intéressant que les blogs de récits d'expatriés parisiens dans la capitale teutonne, Notizen zu Berlin n'est pour autant pas emphatique ou pléthorique. Sans début ni fin, pour mieux prendre quelques extraits quand on veut, aussi longtemps que l'on désire, attentif ou non. Au final, c'est un petit peu cela Berlin: on vient y faire ses courses, peu importe le contenu, sans contrainte ni impôts à payer. Notizen zu Berlin est à caser aux côtés d'un autre récit quasi-gonzo, Sandwischme, de Jérémie Gindre (paru chez Rollo Press).