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04 janvier 2012

RETRO CINE 2011: CHAOS ET LIBERTE

Illustration: Camille Kunz

N’ayant pas la prétention de présenter un compte-rendu détaillé et complet de l’année 2011 au cinéma, nous avons choisi la voie plus libre de parler des thèmes récurrents qui ont marqué les films avec en point de mire un top 10 forcément subjectif.

Avant toute chose, 2011 fût une riche année. Parmi un millier de films (dont la vision totale est impossible due à une distribution limitée et à un manque de temps), nous avons eu l'honneur de voir le retour de Terrence Malick au premier rang, de se délecter devant une Natalie Portman en transe et même la chance de voir un bon film de gangsters avec Animal Kingdom. Des réalisateurs importants sont revenus sur le devant de la scène tant en Europe (Nanni Moretti, Lars Von Trier, Almodovar, Refn) qu’aux Etats-Unis (Aranofsky, Coen, Malick ou Cronenberg) avec parfois, un peu de déception. Si l’on parle « déception », c’est avant tout parce que le film ne surprend pas ou que plutôt qu'il ne fait rien avancer. Les Coen, Almodovar, Polanski et Cronenberg sont victimes en 2011 d’un problème commun qui n’en est pas vraiment un : forts de leur filmographie riche importante, applaudie autant par la critique que les spectateurs, ils livrent un bon film mais qui semble être trop bien maîtrisé, sans erreur et sans risque, comme le numérique, destructeur de la pellicule, n’ayant plus besoin d'un contrôle mentale et humain pour tourner. Ils ne parviennent pas (ou plus) à déstabiliser le code d’un genre ou de débrayer le récit de façon inattendue ou originale (ce que réussi par exemple Kim Jee-woon dans l’excellent I Saw The Devil). Leur objectif n’est en somme pas celui-ci puisqu’ils ont simplement compris le système hollywoodien et le suivent à la lettre en sachant que dans quelques années, peut-être, ils réaliseront sans doute un film contraire. Et là, ça sera excitant.


Parlons "top" alors. En lecture rapide, le film qui revient dans tous les classements de 2011 (Les Cahiers du Cinéma, Critikat, Les Inrocks) est Melancholia. Il est impossible de passer à côté de cette œuvre si réussie et si éprouvante à certains égards. Son prologue est l’un des plus puissants jamais vus au cinéma (en tout cas de ces vingt dernières années) et Lars Von Trier, en dénigrant joyeusement ce film, le distingue du reste de sa filmographie pour notre plus grand plaisir. Le second film qui revient souvent dans les top français, c’est L’Apollonide de Bertrand Bonello qui nous a plutôt déplu chez Think Tank. Ce côté « film à tableaux » embourgeoise l’univers pataude et malsaine que Bonello tente d’instaurer, et le récit ne décolle jamais, même si la tentative première est bonne (la jeune fille qui n’a pas 16 ans qui débarque dans la maison close). De même que Tomboy, le film préféré de l’émission du Cercle sur Canal+, qui n’a pas enchanté Pierre Raboud sur TT : « le problème de Tomboy, c’est justement que tout y est lissé ». À l’opposé du discours français, le cinéma des européens migrants aux Etats-Unis nous a marqué d’avantage avec Drive, une production certes américaine mais réalisée par un Danois, et The Artist qui réussi son drôle de pari. Une certitude subsiste avec le cinéma hollywoodien : le blockbuster se porte bien. Si la quantité primait sur la qualité dans les années 90, c’est presque l’inverse qui se passe aujourd’hui. Quoi qu’il reste des déchets (Somewhere de Sofia Coppola, Contagion de Soderbergh ou encore Time Out d’Andrew Niccol), le blockbuster joue la carte de la nostalgie et de l’hommage : Super 8 et sa capacité à mélanger le deuil avec l’essence régénératrice du cinéma et de l’ailleurs ou le génial Rise of the Planet of the Apes, une réussite totale dans la catégorie film à grands spectacles.


Chaos, liberté, et tout et tout…
Car pour en finir avec cette ébauche incomplète du cinéma en 2011, il s’avère que le thème général, dominant et récurrent, est bien celui du chaos. Si Melancholia, The Tree of Life, Another Planet, Super 8 ou L’Etrange Affaire Angélica utilisent ce sujet comme fil rouge de leur film, d’autres long-métrages s’en servent d’une autre manière. La fin de Black Swan ne montre-t-elle pas en spectacle la mort de l’héroïne, signe d’un happy end reclus, qui signifie la fin de l’optimisme forcé hollywoodien. Le très beau documentaire Nostalgia de la Luz utilise les étoiles comme rappel miroir des morts enterrés dans l’anonymat sous le sable du désert de sel au Chili ; il montre ainsi un passé douloureux qui ne doit pas être oublié. Même Midnight in Paris, la comédie fantastique de Woody Allen, relate un passé doré que tout artiste désire revivre un jour. Il faut donc passer du chaos à la liberté, du deuil à la vie, de la mort à l’amour et c’est une ultime chance que nous offre le cinéma en 2011, année du présage du désastre à venir en 2012 (la fin du monde, ne l’oublions pas !).

Si 2012 sera l’année de la fin, 2011 est celle du choix. Le film de Lars Von Trier nous montre l’angoisse de deux sœurs – l’une craignant la vie, l’autre la mort – et rassemble ainsi dans son film le chaos (début du film) et la liberté (l’explosion finale), les deux thèmes phares de l’année. Alors oui, il pourrait être numéro 1 de notre top. Mais venu de nulle part, le film de Refn, si bluffant au point de vue de la mise en scène, dépasse les autres par la voie de gauche. Et puis, dans ce film, le chaos et l’amour sont bien au rendez-vous.


1.      Drive de Nicolas Winding Refn
Une mise en scène grandiose pour un scénario léger, ou comment réaliser un chef d’œuvre sans une véritable histoire. Le film emmène Ryan Gossling et Refn dans la cour des grands.

2.      Melancholia de Lars Von Trier
L’un des plus beaux prologues cinématographiques du cinéma, le meilleur film de Trier, un choc visuel ultime.

3.      The Tree of Life de Terrence Malick
Le long-métrage qui a le plus fait sortir les spectateurs des salles en 2011 (et en plus, avec Brad Pitt). Deux séquences majeures : les deux enfants qui regardent les passants et l’apprentissage du père avec le fils (la scène du coup de poing).

4.      I Saw the Devil de Kim Jee-woon
Dernier métrage du nouveau cinéma coréen emmené par la horde des trois Talentueux (Park Chan-wook, Bong Joon-ho et Kim Jee-woon), Jee-woon réalise un thriller de haut vol, terrifiant et qui joue sur les rôles inversés d’une chasse à l’homme.

5.      Black Swan de Darren Aronofsky
Peut-être un brin surestimé, Aronofsky réalise le penchant féminin de l’excellent The Wrestler. Natalie Portman est parfaite et l’œuvre nous tient en haleine jusqu’à un final sublime.

6.      Habemus Papam de Nanni Moretti
Le meilleur Moretti à ce jour peut-être, l’un des plus beaux films de l’année, le plus intellectuel aussi, avec toujours cette touche d’humour italien propre au réalisateur.

7.      Hugo Cabret de Martin Scorsese
Surprise de fin d’année, le dernier Scorsese réussit le pari de montrer que la 3D ça peut être bien une fois par an. L’un des plus beaux prologues de l’année et mention spéciale à la BO signée Howard Shore.

8.      Animal Kingdom de David Michôd
Un film de gangsters sec et rythmé dans la canicule de Melbourne. Un chef d’œuvre du genre pour la première réalisation de ce jeune Australien.

9.      Midnight in Paris de Woody Allen
De retour aux joies du cinéma fantastique, Woody Allen signe une comédie sur les clichés déjouant l’horizon d’attente du spectateur.

10.   Medianeras de Gustavo Taretto
Petit film génial, grand film pour ados, l’histoire de deux jeunes angoissés vivant à Buenos Aires, dont l’architecture de la ville joue le rôle du troisième personnage.