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21 décembre 2011

Le cadeau de Noël de Scorsese : Hugo Cabret

Illustration : Giom



Quand l’homme qui a réalisé Taxi Driver sort un nouveau film, c’est un événement. Quand celui qui a tourné son premier long-métrage avec Harvey Keitel sort du silence, on tire l’oreille. Quand la légende qui a réalisé le chef d’oeuvre noir et blanc Raging Bull tourne, on se tait. Quand celui qui a réalisé le meilleur plan-séquence de l’histoire du cinéma surgit, on applaudit. Quand Scorsese a décidé de tourner un film pour enfants en 3D, on cligne deux fois des yeux et on se demande si l’âge a finalement eu raison de son âme de génie.

« Si Méliès était vivant, je suis persuadé qu'il ferait des hologrammes. Je suis un grand admirateur de la 3D, un obsédé ». C’est ainsi que Martin Scorsese, à 69 ans, parle de son nouveau film dans une interview accordée aux Inrocks il y a quelques jours. N’étant pas un grand fan de la 3D, mais un grand admirateur de Scorsese, je me suis senti trahi. J’ai cependant accepté les tentatives de Spielberg et Cameron, mais les derniers films d’animation m’empêchaient de voir un réel avancement dans le relief et je trouvais finalement l’idée bien plate. Pourquoi alors Hugo Cabret, le nouveau film de Scorsese « pour enfants », sort-il en 3D ? Que peut apporter ce procédé si superflu au talent du réalisateur des meilleurs films de gangsters ? Il a suffi d’une minute pour me convaincre.


Le monde est une grande machine
Si j’avais trouvé la première demi-heure du Secret de la Licorne très bonne, usant parfaitement du procédé motion capture, que dire de l’ouverture gigantesque de Hugo Cabret ? Tout Scorsese semble se réunir ici : plan-séquence géant, mouvements de caméra fluides et magistraux, nous pénétrons dans la gare Montparnasse (et donc dans le film) par la grande porte, comme un train, mais par les airs, et comme dans tout grand film, sans qu’on ait le temps de prendre sa respiration. Pendant le prologue, aucun dialogue, uniquement de l’image. Et quelles images ! Nous atterrissons dans les yeux azurs de Hugo (Asa Butterfield) qui se cache dans les murs de la gare du Nord, épiant le monde et tous ces voyageurs circulant, allant et venant dans les grands corridors de sa prison de pierre. Le premier plan du film représente des rouages d’aciers, de la mécanique, qui disparaissent et prennent l’apparence de la ville de Paris. La métaphore, dès le premier plan, est montrée et deviendra l’allégorie du film : le monde est une grande machine. Hugo complètera la phrase plus tard : « Et comme dans toute machine, toutes les pièces ont une fonction. Si je suis là, c’est donc que j’ai ma place dans ce monde ». Hugo est donc un orphelin, qui a perdu son père dans un incendie et qui a pour seul lien avec lui, un automate qu’il lui a légué. Le but de l’aventure sera de le faire fonctionner à nouveau puisqu’il semblerait qu’il garde en lui un grand secret… Ce qui avait l’odeur d’une bizarrerie de conte pour enfants devient alors une histoire magique sur la création du cinéma et de son artiste le plus novateur : Georges Méliès. Ce que cache la bande-annonce est en fait le noyau du film. Et Méliès n’est pas seulement au centre du film, il en est le point d’orgue, le point d’arrivée vers lequel toute la mécanique du film est dirigée. Scorsese semble prendre cette histoire comme bouclier pour rendre hommage à l’un des plus grands talents du 7e art ; il raconte donc la vie de cet homme, mais aussi, et surtout, celle du cinéma. Et il le fait avec virtuosité, en mettant ce divertissement forain qu’était le cinéma au début du XXe siècle dans les mains de deux enfants, Hugo et Isabelle.


S’il fallait noter deux défauts au film, ce serait d’abord sa longueur (un tantinet long, 1h45 aurait largement suffi). Deuxièmement, c’est cette mauvaise habitude de situer l’histoire à Paris avec des personnages qui parlent tous un anglais universitaire d’Oxford : la fleuriste, le libraire, le chef de gare et même les gendarmes. Pourquoi ne pas avoir tout déplacé à Londres alors ? Et si Paris devait être le point central, pourquoi ne pas prendre des acteurs français ? Bon, ok… il est vrai que rares sont les réalisateurs américains à savoir tourner avec des acteurs français ; d’ailleurs, il est quand même moins horrifiant à l’écran de voir Jude Law que Guillaume Canet. Hormis ces minuscules détails, Scorsese ne fait aucune fausse note.



Trois siècles de cinéma
On pourrait en parler longuement, mais Howard Shore dirige ici l’une de ses plus belles bandes-son à ce jour (un thème à la Frodon) et le casting est exceptionnel. Ce n’est pas vraiment leur façon de jouer qui impressionne, mais vraiment le rôle que chacun s’est vu attribué : Ben Kingsley en Méliès, l’apparition furtive de Jude Law pour une unique séquence, Borat en gendarme (!), Christopher Lee qui s’invente un rôle doux et amical de libraire, la british Emily Mortimer en fleuriste, ou encore une apparition clin d’œil du producteur du film qui n’est autre que Johnny Depp. Il ne manque plus que Martin. Mais le réalisateur est pourtant là, tout au long du film, devant nous, derrière la caméra, avec nous, à côté de vous, dans le fauteuil voisin. Scorsese nous montre la magie du cinéma et il le montre avec des yeux d’un enfant surdoué et habile en mécanique, ce petit garçon qui sait tout reconstruire, en réparant d’abord un jouet, puis un automate et qui permettra à Méliès de sortir de l’anonymat et d’un passé ténébreux dans lequel il se renfermait (comme Hugo dans sa gare finalement). Les grandes séquences du film resteront celles où Scorsese filme le cinéma des premiers temps et où il l’utilise en y ajoutant la 3D qui est, pour la première fois, intelligemment utilisée : le relief nous donne vraiment l’impression d’être avec Hugo, enfermé dans les murs de la gare parisienne. Et lorsque que Scorsese nous passe L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat en noir et blanc (l’un des premiers films du cinéma, réalisé par les frères Lumières en 1895, film qui fit se lever de leur siège les spectateurs de peur de voir le train leur arriver dessus), tout se résume. Dans ce plan, trois siècles de cinéma se superposent dans l’image : le début du cinéma (1895), le siècle du cinéma avec ses spectateurs (le XXe) et enfin la 3D qui impose sa volonté de devenir une caractéristique intrinsèque du cinéma au XXIe siècle. Et c’est un jeu de regards, de visions, de voyeurs (et donc le cinéma), que nous renvoie le réalisateur par ce film, jusqu’à réussir une fin reposant uniquement sur les images du héros véritable du récit : Georges Méliès. Le tout, mis en relief. Ce n’est donc pas sans peur d’avouer qu’Hugo Cabret est l’une des œuvres majeures de Martin Scorsese. Qui l’eut crû ?



Hugo Cabret (Hugo en vo), Martin Scorsese, 2011 (USA) *****