Photographie : Vincent Tille |
Du briton qui tourne aux States, des ricains en Norvège et des frouzes en Iran : we are the world comme nous disait l'autre, quel optimimisme ! En fait, nous parlons surtout de morts aujourd'hui. A vos risques et périls.
We need to talk about Ramsay
Le troisième long-métrage de l’écossaise Lynne Ramsay est une adaptation du roman de Lionel Shriver. C’est un drame, un combat, une sorte de jeu d’Œdipe entre une mère et son gosse, petit diablotin qui finira par commettre (on s’y attend un peu) l’irréparable. Le film est monté entre flash-backs et scènes du présent. Nous suivons le personnage principal qui est la mère (Tilda Swinton) et qui souffre de la croissance de Kevin durant tout le film. Certaines séquences sont bonnes (la promenade de la poussette) et par moments même inattendues : les deux plans de coupe franche au début du film où nous passons de la mère au fils vu depuis un lavabo. Les acteurs sont impériaux et c'en est clairement le point fort du film. Le problème, c’est que la réalisatrice Lynne Ramsay s’étend à vouloir faire de ce long-métrage une œuvre trop importante, trop dense, trop oscar-isante. Ramsay joue sur l’ambiance malsaine qui habite la famille de Kevin usant de moyens cinématographiques classiques mais jamais bien placés : les contrastes flous/nets sont pénibles et la couleur rouge qui étouffe le film est pathétique. Comme pour bien faire comprendre qu’un drame va arriver, le rouge est partout, sur la maison, dans le panneau "Exit", sur le phare des voitures, sur le camion des ambulances, etc. et cette surabondance n'a pour effet que de nuire à l'esthétique déjà vierge du film. Résultat : on voit que Lynne Ramsay sait tourner un film, mais elle n'en fait rien. L'atmosphère glauque du film déborde et s'enlace dans une ronde monotone et lassante. Heureusement que Josh C. Reilly, Tild Swinton et le démoniaque Ezra Miller qui interprète Kevin sont bons – ainsi que la BO, excellente (le joyau Mother's Last Word to her Son qui tente de donner un peu d'âme au film), qui vient sauver les meubles.
We Need To Talk About Kevin, Lynne Ramsay, UK-USA (2011)
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L'affreuse chose
La version originale de John Carpenter (1982) n’avait pas connu un grand succès tant critique que commercial à sa sortie. C’est une fois sorti en VHS suivi d'un bouche à oreilles entre fans de films d'horreur gore de série B qu'il se hissa au panthéon des meilleurs films d’horreur et de science-fiction aux côtés d’Alien ou de La Nuit des Morts-vivants. Le réalisateur américain avait réussi un beau pari en réalisant The Thing : faire croire qu’une "chose", qui n'a pas de forme originale, terrorise une équipe de scientifique coincée dans le grand nord. La réalisation, les scènes d'explosion d'hémoglobine, le suspens du test sanguin, tout était à la hauteur d'un bon petit film d'horreur sans prétention et qui, sans vraiment le vouloir, eut un impact dans l'histoire du genre. Puis, trente ans plus tard, The Thing, intitulé comme le précédent (sans précision s'il s'agit d'une suite, prequel ou remake), sort en salle. C'est un certain Matthijs van Heijningen Jr. qui accepte la commande des studios Universal pour ce qui est – après de méticuleuses recherches – bel et bien un prequel. Super alors ! se dit-on, avant d'embarquer dans l'une des pires histoires qu'Hollywood ait daigné nous offrir depuis la remake de Vendredi 13. Acteurs médiocres, scénario plus vierge que la neige de Norvège (on annonce une tempête au début du film qui ne viendra jamais…), réalisation nulle et surtout : rien d'effrayant. Seuls les effets spéciaux viennent réveiller le spectateur endormi depuis le générique et la scène où la "chose" rassemble deux humains renversés qui se déplacent comme une araignée est tout de même rigolote. Mais Carpenter, avec notamment le chien qui explose dans la cage, avait tout réussi dans cette séquence inattendue qui arrive sans crier gare au premier quart d'heure. Le spectateur, ensuite, pendant tout le film, se demandait à quelle sauce il allait être mangé, déséquilibré par la vision d'une chose indescriptible puisque sans forme d'origine. Le plus affligeant dans ce "prequel", c'est qu'on ne voit pas qu'est-ce que ça vient apporter au film de 1982. Zéro quoi.
The Thing, Matthijs van Heijningen Jr., USA-Norvège (2011)
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L'après Persepolis
Comme Tintin, ce long-métrage est aussi une adaptation d'une bande dessinée en film avec certes une différence majeure, la BD et le film sont le résultat artistique d'une seule personne : Marjane Satrapi. Cette iranienne nous avait conquis avec son Persepolis (2007), film entièrement d'animation et tiré de la BD du même nom. Avec Poulet aux Prunes, la réalisatrice a décidé de tourner un film avec de véritables acteurs et des scènes bien réelles, sans s'empêcher tout de même d'y ajouter sa pâte pour les séquences d'animation qui surgissent au bon moment dans le film. L'histoire raconte la vie d'un violoncelliste de renom qui a décidé de se donner la mort après que sa femme – qu'il n'a jamais aimé – lui a cassé son violon devant ses yeux, ne supportant plus la vie qu'elle menait à ses côtés. Nous passons donc les huit derniers jours avec Nasser Ali Khan (Mathieu Amalric) qui se remémore les bons et les tristes moments de sa vie. Satrapi ne fait qu'effleurer des bonnes idées sans jamais vraiment les exploiter. Et du coup, le film ressemble à une étrange tambouille ou à une sorte de ratatouille imparfaite ; ou bien (osons le rapport facile) à un poulet aux prunes où le poulet serait passé de date mais où les prunes viendraient relever le goût fade de la viande blanche. Des idées, il y en a pourtant. Et par exemple l'épisode où l'on suit le parcours du fils de Ali Khan qui part vivre aux Etats-Unis est exquis ! De même, la séquence où l'ange de la mort (Edouard Baer et son phrasé pince-sans-rire irrésistible) vient rencontrer Ali Khan au lit de sa mort est délicieuse, bien menée et efficace. Entre petites pièces bien montées et long film autoroute un peu ennuyeux, Poulet aux prunes est une jolie histoire, qui essaie d'avoir des airs de grands films (ce qui est un chemin délicat à prendre) et qui essaie surtout de résister à la normalisation classique du cinéma français d'aujourd'hui. Là où, malheureusement, Satrapi échoue.
Poulet aux Prunes de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Iran-France (2011)
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