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22 novembre 2011

TANKINO: Polisse, Intouchables et Mon Pire Cauchemar : comment va le cinéma français ?

Illustration: Pierre Girardin
Après le décevant film de Bonello (L’Apollonidepourtant encensé par la presse spécialisée), le cinéma de nos voisins francophones s’emballe en ce mois de novembre avec la sortie de trois long-métrages bien différents : trois genres distincts qui s’opposent et qui offrent un sujet taillé dans la pierre pour Think Tank.


Une comédie pure, une comédie dramatique et un drame. Comme s’ils l’avaient fait exprès, voici trois long-métrages qui permettent peut-être d’établir un baromètre qualitatif du cinéma du pays de Truffaut. Et pourtant, il faut un Belge à Anne Fontaine pour réussir son histoire. Un Belge qui fait le con (Benoît Poelvoorde bien sûr) et une Française (la toujours ravissante Isabelle Hupert) qui a du fric, quinqua, cul-tendu et qui travaille dans l’art contemporain. Ces deux-là font la paire antinomique rêvée, le Belge incarnant tout ce que la belle Française déteste ; c’est la Belle et le Belge. Voici une comédie dans laquelle on rigole beaucoup et qui, durant les 45 premières minutes, ne donne que du plaisir tant on est heureux de retrouver un Benoît Poelvoorde au sommet de son art du trop gras et du très lourd. Répliques en enfilades, boutades continues et gueule de con, l’arrivée de ce plombier de bas étage dans cette famille bien éduquée installe à merveille l'histoire et ses personnages. La réalisatrice Anne Fontaine, visant la comédie parfaite, s'amuse à critiquer le monde de l’art contemporain. La moquerie est parfois bien menée (comme la scène du photographe asiatique invité au repas) quand elle n’est pas un peu abusée (la dernière scène). Ce thème de l’art contemporain est aussi abordé dans Intouchables, le film qui cartonne actuellement en France et qui vient de franchir la barre des 5 millions de spectateurs dans les salles. Dans ces cas-là, on parle de phénomène, comme l’avait été en 2008 Bienvenue chez les Ch’tis de Danny Boon.

Sans penser un jour chatouiller le box-office, Eric Toledano et Olivier Nakache ont été touchés, il y a sept ans, par un documentaire qu’ils ont vu sur un homme riche, handicapé, qui demande à être aidé par une personne non qualifiée et issue de la banlieue pour l’assister. Les deux bonhommes vont déconstruire tous les tabous et clichés qui entourent le quotidien d’un tétraplégique. Pas loin du Huitième Jour, en plus drôle et plus décalé, Omar Sy y est pour beaucoup dans le succès de cette histoire. Le comique du « Service Apres Vente » de Canal+ emporte le film et lui donne  de la vie, comme il en donne à Philippe, joué par François Cluzet. L’histoire est certes simpliste mais bien écrite, et devient surtout efficace quand à l’écran, elle est jouée par deux excellents comédiens qui incarnent chacun une façon de jouer opposée : c’est le mouvement contre le statique, l’expression du visage contre celle du geste, du corps et des danses de Omar. Un peu comme si l’on avait pris l’acteur type français du début des années 2000 (Cluzet) face au renouveau, au futur du cinéma français, Omar Sy.


Intouchable
Alors bien entendu, c’est joli, comique, touchant et, surtout, ça rapporte ! Au-delà, il n'y a pas grand chose. Si ce n’est cette bonne idée qu’est la première séquence du film qui joue avec l’horizon d’attente du spectateur et aussi cette capacité de savoir rire non pas « de » mais « avec » quelqu’un. Maïwen, de son côté, c’est l’inverse : elle reprend la vie faussement réelle de tous les jours de la brigade de protections contre les mineurs et en fait une fiction avec ses petites histoires d’amour par là et ses problèmes d’égo par ci. C’est un métier comme tous les autres, avec des gens comme il y en a dans un bureau d’assurance. Les différents personnages sont construits de la tête au pied par la réalisatrice et l’effet « réel » en prend alors un coup, puisque la fusion entre la pseudo-réalité de la dure vie de ces flics-nounous et l’histoire d’un couple qui se sépare n’a pas grand chose à voir entre elles. Maïwen s’introduit dans le film comme la « photographe branchée assez jolie et timide au début pour finalement tomber dans les bras de la grosse tête de la bande » et si Omar et Poelvoorde étaient obligatoires au récit, Maïwen ne sert à rien, sauf pour se montrer à rouler des pelles à Joey Starr. Une fois n’est pas coutume, ce sont les acteurs qui sauvent le film. Les scènes d’engueulades sont oppressantes (on s’enfonce dans son fauteuil en espérant disparaître) et les moments de violence, le plus terrible étant celui où l’on sépare le fils de sa mère, sont assez saisissants. Mais encore une fois, la caméra ne fait pas grand chose d’intéressant et les histoires viennent et repartent sans tisser de liens entre elles, ou entre l'histoire et les personnages. Ce sont donc, encore une fois, les acteurs qui assurent avec en leader incontesté l’immense Joey Starr qui tient ici un rôle ahurissant, tant dans ses sorties inconvenues que la place qu’il prend dans le cadre filmique. Une force de la nature en somme, comme l’est Omar Sy dans Intouchables et Poelvoorde dans Mon Pire Cauchemar.


Deux blacks et un Belge
Car le cinéma français tient à peu de choses aujourd’hui : un bon sujet et de bons acteurs. Ces trois films cités les ont. Alors que L’Apollonide, par exemple, n’avait ni acteurs ni sujet, il avait cependant une âme malheureusement sous-exploitée. Deux blacks et un belge, c’est ce qui rend ces trois films touchants. Poelvoorde n’a jamais joué autant son propre personnage, celui qu’il paraît être dans la vraie vie, et c’est ce que le public et ses fans lui demandent. Il est évident que si vous n’aimez pas Poelvoorde, ce n’est pas le film d’Anne Fontaine qui va vous le faire aimer (Les Emotifs Anonymes peut-être). Il serait préférable dans ce cas d’aller voir le tendre duo d’acteur Cluzet/Omar dans Intouchables ou la sale gueule flamboyante de Joey Starr dans Polisse. Sur ces trois films, deux d’entre eux s’inspirent de la réalité, comme si la fiction était un lieu trop difficile, ou alors trop bien conduit par Hollywood, domaine où les réalisateurs français n’osent plus s’aventurer. Alors, il faut (ré)utiliser ce qu’ils ont de meilleur peut-être aujourd’hui : des personnalités, des visages, des individualités fortes qui marquent les esprits et attirent le public. De plus, ces personnages externes arrivent dans un groupe (ou un monde) courbé sur lui-même, enfermé, et débarquent tel l’ennemi mais deviennent rapidement l’ami, ou une bouffée d’air attendue depuis trop longtemps. Finalement, nous trouvons trois films qui traitent par le même moyen un sujet différent ; ce qui ne fait pas beaucoup avancer le cinéma français, mais ne l’empêche pas d’additionner des millions d’entrées. Le drame de Maïwen ne vaut pas un Prix du Jury à Cannes mais la comédie française reste encore ce qui se fait de mieux chez nos chers voisins. On en sort le sourire aux lèvres mais on en veut plus peut-être. Et on aurait envie de délirer un peu, de s'enfiler dans des histoires folles, de danser... ou juste regarder : "ce sera mon plaisir", comme dans La Peau Douce.


Mon pire cauchemar de Anne Fontaine *****
Intouchables de Eric Toledano et Olivier Nakache *****
Polisse de Maïwen *****