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15 août 2011

TANKINO : Lars Von Trier's Melancholia

Illustration : Giom



Plus lyrique et moins violent, plus humain mais dépressif, le dernier film de Lars Von Trier se décline en deux volets prenant chacun le nom d’une des deux sœurs interprétées magistralement par Kirsten Dunst (prix d’interprétation à Cannes) et Charlotte Gainsbourg. Sur fond d’apocalypse à retardement sublimé par la musique de Wagner, le provocateur réalisateur danois réalise son meilleur film.


Lars (Von) Trier est un emmerdeur. Contrairement à la majorité des réalisateurs de ce monde, le Danois aime aller à l’encontre des problèmes (réfuter les décors dans Dogville, 2003), à déraper juste quand il ne faut pas (« Je comprends Hitler » à Cannes) et à jouer avec le public de façon aussi malsaine qu’il dirige ses comédiens. Déjà dans The Idiots (1998), un de ces films dogmatiques (il fonde dans les années 90 le Dogme95 qui est une sorte de mouvement artistique selon des règles définies : filmer caméra à l’épaule, pas ou peu de montage) l’atmosphère instaurée par Lars était déstabilisante pour le spectateur qui ne savait plus vraiment comment comprendre le film, la frontière entre le docu et la fiction étant si mince. Dancer In The Dark (2000) – sa comédie musicale – fut remarqué à Cannes pour la qualité de ses scènes de danse et la réflexivité de la notion de musical : croire en la danse et à l’évasion pour sortir de la folie. La présence de Bjork n’était pas non plus insignifiante. Déjà Lars jouait à torturer ses actrices et l’artiste islandaise ne manqua pas d’écrire une lettre à Nicole Kidman pour la dissuader de jouer dans Dogville. Charlotte Gainsbourg en subira les frais dans Antichrist (2009) mais acceptera de poursuivre avec ces rôles masochistes. Cependant, Melancholia – le film qu’il définit comme son plus optimiste – se veut plus calme, moins « film d’auteur », moins dogmatique dans ce sens, ce qui voudrait donc dire plus agréable à l’oeil.

Dès le début en effet, Trier veut nous en mettre plein la vue avec une séquence d’introduction qui dure une bonne quinzaine de minutes présentant une succession de plans fixes surréalistes en slow-motion sur l’ouverture de Trisan et Iseult de Wagner. Séquence magistrale évidente, invoquant la puissance visuelle de Kubrick ou le lyrisme de Visconti, comprenant des citations effectives (Bruegel) ou déconstruites (Magritte, De Chirico), l’ouverture de Melancholia est une convocation des grands esprits du monde qui a pour fonction d’ouvrir un film ayant comme sujet (ou plutôt comme but) la fin du monde. Le choc est donc brutal lorsque le film commence réellement avec la première partie (« Justine ») et l’agression des plans caméra à l’épaule qui donne le mal de mer. Petit conseil, accrochez-vous aux sous-titres pour ne pas verser. Mais ce choix est tout à fait attendu et acceptable. Le diptyque mis en place par Trier n’est pas anodin et les deux parties se répondent intelligemment et subtilement l’une à l’autre ; elles définissent le caractère des deux sœurs ainsi que l’angoisse de chacune. Car plus qu’un film sur la dépression (Trier dira qu’il faut avoir connu la dépression pour savoir vivre), Melancholia est un film sur l’angoisse. Et sur ce sujet, peu de films lui arrivent à la cheville. Claire aime la vie et désire le meilleur pour le mariage de sa sœur Justine. Cette dernière, dépressive, tente de garder la face tout au long de la soirée mais n’y arrive pas. Le problème psychiatrique de Justine prendra encore plus de sens dans la deuxième partie, celle consacrée à sa grande sœur Claire qui angoisse à l’idée de voir cette énorme planète Melancholia rentrer en collision avec la Terre. La séquence où Justine remplace les tableaux abstraits en exposition sur la bibliothèque par des figuratifs qu’elle choisit métaphorise le combat entre les deux sœurs qui luttent finalement contre la même peur. L’immense coup de génie réside dans la structure du film, qui semble pourtant vue des centaines de fois, mais qui n’a que rarement été aussi bien utilisé. Rarement (jamais ?) au cinéma nous n’avons pu voir une aussi bonne simulation de ce qu’est la dépression : cette planète qui fonce tout droit sur vous et qui, par moments, s’éloigne pour vous laisser un peu respirer.

Lars Von Trier est un emmerdeur car il réussit ici son plus grand film et c’est celui qu’il dénigre le plus. « It is too beautiful » dit-il. Dans son entretien aux Cahiers du Cinéma, il préfère parler de son prochain film – qui sera un porno hard – que de celui qui sort aujourd’hui dans les salles. Durant l’interview, le journaliste tente de le faire parler de Melancholia et d’expliquer l’utilisation de Wagner ou des différentes peintures, mais Trier répond qu’ « il faut faire attention quand on utilise de la musique romantique », qu’il « ne regarde que très peu de films » et que « Kirsten Dunst est magnifique, génialissime, provocante ». Laissons de côté l’homme et gardons le film : Melancholia est une œuvre de grande envergure et aurait mérité la Palme d’Or ex-aequo avec The Tree Of Life (et autant Kirsten Dunst aurait pu partager son prix avec Charlotte Gainsbourg). Cette punition pour la persona non grata du dernier festival de Cannes donnera raison à Bergman quand il disait que Lars Von Trier sera un grand réalisateur quand il arrêtera d’être provocateur dans ses films. Avec Melancholia, Trier s’est enfin contenu, mais il n’a pas pu s’empêcher de faire le con en public. Bonne nouvelle, le Danois a annoncé récemment qu’il ne donnerait plus jamais de conférence de presse. Malick l’avait compris bien avant lui.