MUSIQUE      CINEMA      ARTS VISUELS      LIVRES      POP LUCIDE      POST DIGITAL

30 juillet 2011

Serra/Brancusi: Le Beau et la Bête

Illustration: vitfait

Une visite au défunt Ernst, ou parce qu’il n’est jamais trop tard. Encore visible pour un mois, l'exposition mirroir Serra/Brancusi fait partie des gros impératifs de l'année. Pour Think Tank, Fumiste y était.

Toujours impressionnante, toujours transparente, la Fondation B., design et plans signés Renzo Piano, enclose dans le petit village de Riehen et nichant dans la verdure. Deux géants y sont à l’honneur pour cette fin d’été : d’un côté Constantin Brancusi (1876-1957), le roumain mystique au « Baiser » centenaire (1908, première mouture), de l’autre Richard Serra (1939 -), l’américain des murailles intranquilles. Première rétrospective commune, première confrontation donc entre le maître défunt et le disciple d’un temps qui qualifiait son œuvre lors des brèves visites qu’il faisait à son atelier, de « catalogue de possibilités ». Il est difficile de saisir de prime abord le lien qui unit les deux démarches : le travail de Brancusi tient de l’art primitif, du masque, de la forme qui émerge par paliers de la roche pour s’accorder dans la simplicité (voir les diverses déclinaisons du « Baiser ») : une Babylone qui naîtrait vers l’Egypte. Pièces rondes, lisses et polies, miroirs à visages d’enfants, endormis ou criants. Serra c’est le mur, la paroi, le monument, la présence de cet acier brut et marron qui avance dans la violence. D’un côté la lumière, le fini et le rêve, de l’autre la courbe, le donné franc, la matière immédiate. La mesure et l’ivresse. La caresse et la claque.


Pourtant Apollon n’est jamais bien loin de Dionysos. Aussi petit à petit sent-on se distiller du combat chez Brancusi, et de même de l’équilibre chez Serra. Là où l’un exploite la forme pure jusqu’à la limite, la traque dans les retranchements de sa disparition, (l’élancement aérien d’une plume de bronze appelée « Oiseau » (1925)), l’autre livre une réflexion aigüe sur la valeur de l’espace dans la rencontre avec la sculpture, sur le malaise et la vision d’une forme qu’on prend pour une autre (voir « Strike : To Roberta and Rudy » (1971) cette paroi unique qui ne tient debout en diagonale que grâce à l’angle de la pièce, et qu’on prend tour à tour pour une plaque, une arête ou une incurve). De même les explorations de la forme féminine, parfois abstraites jusqu’à l’humour, de Brancusi rejoignent chez Serra les installations au plomb d’un rouleau tenant une surface plane contre un mur pour l’empêcher de tomber. Serra fait œuvre d’ancrage en suggérant constamment la chute (« House of Cards », 1986), Brancusi élague et dépouille la matière pour en extraire l’incorruptible essence. L’un use du solide pour révéler le vide, l’autre taille vers le sacré. En définitive, c’est à une discussion, une variation sur l’art, que nous invitent les deux sculpteurs. Comme on partage un pur malt avec un vieil ami.Brancusi Serra, Fondation Beleyer, Riehen, Bâle. Jusqu’au 21 août.