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25 juillet 2011

MUSIK TANK : Back to Amy Winehouse

Illustration : Giom











































Pauvre Amy. On aurait beaucoup voulu la voir sur scène, au moins une fois, se déhanchant sur "Rehab" sans jamais vraiment bouger les pieds de devant son micro droit. Son jeu de scène n’avait rien de très exceptionnel, car c’était elle, son corps, sa coiffure, ses yeux de panthère et au-dessus de tout sa musique. Car si la chanteuse a plus fait parler d’elle par ses excès et ses concerts annulés, la diva motown de l’an 2000 a réussi l’exploit d’écrire un des meilleurs disques de ces vingt dernières années.

En 2003 est sorti l’album FRANK. Un disque r’n’b avec quelques bonnes idées et une voix qui prédisait du bon. S’il fut accueilli sagement par la presse et le public, c’est en 2006 avec BACK TO BLACK que Amy Winehouse devient une des chanteuses les plus demandées et  les plus applaudies de la planète. Avant le scandale, avant la dépression, avant la gloire et les escapades surréalistes avec Doherty dans le petit matin gris de Camden Town, Amy est une voix, Amy est une compositrice complète et douée. Chacun des titres de BTB sont des compositions pur-sang, enlevées au ciel et arrachées à l’esprit malade de la diva blanche et diabolique. Sur la rythmique de "Baby Love" des Supremes, tambours de temples romains et voix d’outre-tombe ouvrent l’incroyable "Back To Black", son morceau le plus sombre. Il n’est pas sans rappeler les plus grandes chansons des Shangri-La’s où est étirée au maximum la puissance d’une voix de femme jusqu’à la perdre dans les instruments, enveloppant l’auditeur, les paroles et la musique dans un univers motown qui est au-delà du disque, au-delà de la piste de danse, au-delà du monde – ce genre de chanson qu’on écoute aujourd’hui en frémissant. Tentez l’expérience : très fort dans votre appartement, et de préférence isolé.


Nous évoquions les Shangri-La’s car, comme elles, Amy revient souvent sur l’amour dans ces chansons. Sur la fin de l’amour bien sûr, sur la séparation, sur l’écume des sentiments – sur la perte. N’est-ce pas assez explicite que le titre qui suit BTB se nomme "Love Is A Losing Game" ? Titre jazzy et nostalgique d’une époque révolue qui réussit à ne jamais tomber dans le cliché du vieux traditionnel repris maintes fois à toutes les sauces. Amy reste dans un paradigme simple et dans lequel elle assure comme une petite reine, connaissant les règles de son art musical sur le bout des doigts et les fautes à ne pas commettre. Elle maîtrise parfaitement l’histoire de ses chansons, vie de tous les jours, la sienne et celle de madame-tout-le-monde en Angleterre, récit dont elle est l’héroïne vaincue ("Wake up Alone") et respirant les notes pluvieuses éclaboussant sa proéminente chevelure noire afin de donner plus de corps à sa maigreur qui la dévore petit à petit. Instable psychologiquement, âme sentimentale meurtrie, féline sensuelle, grande romantique à coup sûr, Amy ne s’est jamais mieux racontée et dévoilée que dans ses chansons, tout un gardant un secret imperméable à chaque fin de morceau. Sa vie privée et ses déboires ont fait d’elle une cible facile pour la presse, mais la musique, que certains ont trop facilement oublié, est et sera toujours la plus belle armure qu’une artiste est capable de dresser devant son corps – We put it in writing, but who writing for, just us on kitchen floor ("Some Unholy War").


Le sort voulait qu’Amy Winehouse se produise en Suisse, au Paléo Festival, le soir du matin de sa mort. Retrouvée sans vie dans son appartement londonien, elle est partie en ne nous laissant musicalement d’elle que deux albums, dont un chef d’œuvre. Les vidéos de son dernier concert à Belgrade le 18 juin 2011 devraient être retirées de Youtube. Nous ne voyons qu’un corps sans équilibre qui ne peut plus chanter ses paroles, aidé par un public qui chante ses propres chansons et qui ne comprend pas ce qui est en train de se passer sur scène. Amy prend son micro et se déplace vers son musicien choriste qui essaye de lui redonner confiance. Il la prend dans ses bras. À chaque seconde, Amy peut craquer et s’effondrer. Elle ne chante pas, parle, se tourne vers son guitariste, son visage se transforme ; elle se retourne, regarde le public avec un air déjà bien loin. Elle s’assied, se couche, se relève, tente de faire face à une foule de 40'000 personnes et ne sait plus quoi faire de ses bras trop grands et trop tatoués. Amy chante à côté du rythme et donc ce n’est plus Amy. Au Paléo, peut-être se serait-elle transformée en cygne noir ? Qu’importe, aujourd’hui, on peut imaginer Janis, Jim, Kurt et les autres l’accueillir dans leur bande très fermée et la voir jouer au billard et boire des coups avec eux, ses yeux noirs gorgés de larmes qui se déversent une dernière fois sur des millions d’orphelins :


We only said good-bye with words
I died a hundred times
You go back to her
And I go back to…