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Si Gang Gang Dance avait déjà sorti trois albums, c’est bien SAINT DYPHNA qui est dans un premier temps resté dans les mémoires. Je me rappelle encore comment la succession de "Bebey"/ "First Communion" ou "Vacuum" m’avait mis à terre et cet effet est toujours d’actualité : une musique amniotique, un tantra dément que des versions live portent encore plus loin. Cette transe lascive et frénétique qui a hypnotisé nos âmes ravies au bout de la fatigue et de la nuit du Kilbi d’il y a deux ans. Moins marqué folk qu’Animal Collective, Gang Gang Dance s’aventure dans des territoires bien plus éloignés ses mélodies habituelles, tout en se nourrissant d’un monde pop, que le groupe semble percevoir à travers un état omni-temporel, à la fois originel et utopique, tout en restant contemporain. Carrément. C’est d’ailleurs le programme annoncé dès les premières secondes de EYE CONTACT : I can hear everything/ It’s everything time.
Ecouter un album de Gang Gang Dance, c’est toujours partir vers un inconnu excitant et vertigineux. Pour être sûr que tout le monde l’a bien compris, EYE CONTACT commence par "Glass Jar", une épopée de plus de onze minutes qui embrasse des horizons si multiples qu’une vision à 360 degré semble encore trop limitée pour tous les apercevoir. Se plonger dans cette chanson, c’est comme mettre des lunettes effet vision d’abeille. Le format chanson est totalement bouleversé par une diversité affolante d’ambiances et de rythmes. On rentre dans "Glass Jar" comme dans une descente spirituelle faite d’échos pour en ressortir mouillé d’une pluie de claviers, remarquant sur nos bras et nos jambes les bleus laissés par une transe qui nous a fait rebondir dans toute la pièce sur des paroles mystiques, dignes de The Tree of Life de Malik (I care for you like a mother/Brother), scandées par une Lizzi Bougatsos, à la voix toujours aussi incroyable de force psychédélique "Glass Jar", ce n’est pas qu’une chanson mais des milliers de chansons possibles, retenues par magie dans une boîte de seulement onze minutes. Cette richesse est aussi contenue dans les autres titres de EYE CONTACT et c’est le format album en entier qui explose. Sa construction agrippe l’infini grâce à une structure parfaite entre longues plages, titres abrasifs et trois courts interludes bizarrement beaux. Ces derniers s’offrent à l’oreille sous forme de voix italienne, synthé et roulements, apparus dans des interstices laissant apparaître d’autres dimensions interférer dans cet artefact occulte que représente EYE CONTACT et servent de tunnels entre les différents mondes incarnés par les différents titres de l’album.
Après le rite de passage de "Glass Jar", le dernier album de Gang Gang Dance contient seulement six véritables titres, mais on retire aussitôt ce "seulement" tant ces six chansons possèdent une densité supérieure à ce qui se fait normalement sur le triple de titres. Toujours ce mélange utopique d’instruments bricolés, de synthés surpuissants, de beats qui tapent, de rythmiques malades et sans cesse changeantes. Et toujours cette voix onirique qui parle directement tant aux esprits qu’aux corps. Décrire chaque chanson semble faux dans le cas de EYE CONTACT, il faudrait presque les disséquer une par une pour mettre à jour les fœtus qu’elles portent en leur sein. Mais ce serait rompre vérité et la force de cette unité qui se veut justement diverse et cette diversité qui refuse l’individuation. Ainsi, le single "Mindkilla" est une bombe prise sur le vif de son explosion : chaque morceau est encore en suspend, et relié par magie. En l’air se côtoient des bouts de techno, de synthés éblouissants, des montées folles, visions qui laissent sans voix et donnent autant envie de danser que de fermer les yeux et de partir en vrille. Voilà ce à quoi le psychédélisme doit ressembler, celui du cristal, du kaléidoscope, des reflets et de la polychromie. Autre sommet de EYE CONTACT, "Romance Layers" dresse pour son compte un décor plus sensuel en compagnie d’Alex Taylor de Hot Chip, qu’on va finir par apprécier si ça continue comme ça. Le son ralentit pour laisser place à une moiteur où, dans un semblant d’immobilité, tout scintille et se fond en une osmose langoureuse. Cette complexité et cette expérimentation, Gang Gang Dance leur donne vie en se basant sur un matériau composé de mélodies finalement assez pop. C’est ce que nous rappelle "Chinese High", "Sacer" ou encore "Thru and Thru", toutes aussi bouillonnantes que jouissives, avec leurs rythmes frénétiques et leurs refrains imparables. Après le temps de tout, EYE CONTACT se clôt sur une aspiration à l’infini avec pour derniers mots : Live forever.
On vous laisse avec la très belle vidéo réalisée lors des sessions du si fort label 4AD. Au menu : look super ; miroirs en kaléidoscopes ; objets cristallins pendant de partout et surtout un "Mindkilla / Kou-Da-Ley" monstrueux, rendant sa matérialité à une musique qu’on n’imagine parfois qu’aux tréfonds de machines bizarres :