MUSIQUE      CINEMA      ARTS VISUELS      LIVRES      POP LUCIDE      POST DIGITAL

30 mars 2011

TT SPEACHES / MARS 2011

Illustration: vitfait
TT Speaches: à chaque début de mois, l'écurie de Think Tank ouvre un post commun et le publie 30 jours plus tard. TT Speaches, c'est notre façon de vous faire part de tout ce qui est sorti en musique durant le mois écoulé, et surtout le constat que, finalement, on ne fait qu'oublier beaucoup d'albums.


Julien: Voilà, bon. Hum, on en a loupé des belles tout de même le mois passé. Pandit tout d'abord. Enfin, il fallait le trouver ce groupe. L'album s'appelle ETERNITY SPIN. Nos collègues de Magic eurent ces mots flatteurs à son encontre: "Pandit pourrait être l’une des révélations inattendues de l’année". Si si. Vraiment inattendu: pas de sortie internationale, pas de plan marketing, des micro-labels s'en occuppant (Waaga entre autres) ainsi qu'une identité assez trouble. Seul aux commandes, Lance Smith vient de Lumberton et a enregistré ce premier LP seul dans sa chambre, un LP à caser entre la classe intemporelle d'un Neil Young ou ses héritiers Bradford Cox / Panda Bear. On temporise, voire on tire le frein à main jusqu'au final European Dance Theme (feat. Foxes In Fiction), pas loin d'un Brian Eno. Question: pourra-t-il s'exporter? Par ailleurs, on nous a reproché avoir passé sous silence tant Radiohead que Toro Y Moi. C'est chose réparée, via des longs articles trouvables sur TT, avec plus ou moins de gentillesse suvant les cas. J'ai entendu dire que tu avais pas mal de trucs à dire ce mois Pierre n'est–ce pas? Déjà, Pandit, comment?

Pierre:  Ouais, il y a des choses assez biens mais certains chansons sont un peu trop folk pour moi et ceux qui me connaissent savent la relation délicate que j'entretiens avec tout ce qui se rapproche de genre ou du songwriting américain. Mais avec Kurt Vile, je suis prêt à faire une exception. Overnite religion m'avait déjà séduit mais j'attendais encore un album réussi. C'est désormais chose faite avec  le nouveau SMOKE RING FOR MY HALO. On aura beau chercher, difficile de trouver quelque chose à reprocher à cet album. La qualité d'écriture et de mélodies est bien là. Loin des poses surjouées d'une Amérique profonde, Kurt Vile déploie une grâce de poète urbain, chantant sous les ponts. A voir les très bonnes vidéo et chansons de la série "Don't Look Down" de Pitchfork.























Julien: on devrait sans doute le voir tourner cet été en Europe. Enfin, il fait déjà le Primavera ce printemps en Espagne. Sans doute l'artiste qu'on aurait voulu voir à la Kilbi, mais n'en demandons pas trop et  attendons de voir comment se comporte ce membre des War on Drugs dans le futur, une fois la hype passée. Sans transition, j'en profite pour annoncer mon album du mois, sans conteste: Robag Wruhme, THORA VUKK (cover ci–dessus), importé par Namskeio, à paraître le mois prochain suivant certains pays. Pas de shoegaze ici, mais une électronica admirable, pensée et construite en 12 morceaux, à rapprocher de Sascha Funke. Beaucoup d'espaces dans les compositions, de hiatus d'humeurs et de ponts entre une folk futuriste et une minimale lustrée sans luxure. Membre des anciens Wighnomy Brothers (avec son associé Monkey Maffia), Gabor Schablitzki fait selon moi énormément de bien à cette culture électro, sachant clubber avec corps et surtout pas mal d'âme. Cette fois–ci, sa nouvelle production n'est ni signée chez le géant Kompakt ou les enfants de Jena, Freude–Am–Tanzen, mais chez le petit Pampa Records, aux dents de plus en plus longues (le nouveau Isolée, des titres de Nathan Fake, Axel Boman ou encore DJ Koze). Dans THORA VUKK, on retrouve une belle collection de samples, de voix, de clavecins défoncés ("Brücke Eins"), et de quoi vraiment rendre jaloux des grands noms de l'électro (l'éponyme "Thora Vukk", ou ""Bommsen Böff" est vraiment taillé pour le succès).

Julien: on reprend son souffle, toujours dans le registre électronique, DUST REMIXES de Ellen Allien (distribué aussi par Namskeio), la diva berlinoise qu'on ne présente plus, omniprésente (trop?), sachant faire tourner le commerce et fructifier son dernier LP, DUST donc. Une série de remixes par certains DJs over the top, Nicolas Jaar ou Tim Hecker. Des choses très bien dans le disque, le tribal et tonique "My Tree" par Ripperton's Backlash, le deep "Dream" par Bodycode, mais aussi un peu d'opportunisme avec l'excellent "Flashy Flashy" remixé ici par Nicolas Jaar en une bouillie à la Ibiza ou le vain "Searching" de Shonky. Sans surprise, "Schlumi", par Camea, est vraiment très accrocheur alors que le meilleur titre de DUST, "Our Utopie", est ici remixé par Kassem Mosse, en gardant ce gimmick saillant en version club. Sinon, c'est quand même assez passable malheureusement. On reste à Berlin avec Mike Dehnert et son premier album, FRAMEWORK (label Delsin). De la raw techno propre en ordre pour cet habitué du Berghain. Pas de grosse surprise dans le registre (on relève toutefois deux inédits si vous achetez le LP en vinyle) mais de quoi casser quelques noisettes sous des néons, avec notamment le flinguant "Quattro", sa ritournelle et son synthé bien trouvé ou encore "Beatmatching" que Boomkat décrit comme un futur classique. A écouter en 5:1, voire plus si possible.























Pierre: Comme tu as lancé ton album du mois, je vais aussi me jeter à l'eau. Pour moi, c'est  la mixtape de The Weeknd: HOUSE OF BALLOONS, disponible ici (cover ci–dessus). Pas que j'adore tout dans cet album mais je trouve vraiment que c'est le plus marquant de ce mois de mars. Certains s'étonneront qu'un disque de R'n'B ait sa place sur Think Tank. Mais ce disque est à la fois un ovni musical et symptomatique de mouvements musicaux actuels. Ovni parce que tout en étant dans un style directement défini comme R'n'B, style que l'on croyait trop kitch ou mort, il se retrouve sur les différents blogs d'avant-garde, sa production détonne fortement avec les classiques du genre et il sample des groupes raffinés. Symptomatique parce qu'il représente justement ce que différents articles sur TT affirmaient. D'une part, le brouillage des distinctions mainstream et underground. Weeknd appartient tout autant à l'un et à l'autre. Les mélodies sont faciles, la voix mielleuse mais les sons sont bizarres, heurtés, parfois sombres. C'est là qu'on arrive au d'autre part: la diffusion extrêmement large du dubstep et des sons fantômatiques. Weeknd, c'est finalement une version américaine de James Blake, moins blanche, plus assumée. On y retrouve cette même alliance de deux éléments en apparence opposés: un son parfois crasseux et une mélodie à la limite du kitch. Cet alliage reprend finalement deux composantes importantes de la musique de ces dernières années, tant mainstream qu'underground. Le dubstep donc, et la fin des mélodies déconstruites au profit d'un retour au chant clair et débordant d'émotion, que ce soit dans l'autotune de Kanye West ou la dream pop de Beach House. Ces derniers sont d'ailleurs samplés sur HOUSE OF BALLOONS pour deux chansons au top de la mixtape: "The Party After the Party" et "Loft Music". T'en penses quoi, Julien?

Julien: récemment, un ami habitant dans la capitale allemande et connaissant mes goûts quant il s'agit de rythmes électroniques s'est étonné après m'avoir vu faire passer le lien pour télécharger l'album. En effet Pierre, on peut tout à fait lire ce disque au premier degré, voire au premier morceau (le terme ne dit que mon pote n'ait pas écouté l'album avec précaution); une voix perchée, sucrée (oui je n'ai pas trouvé mieux), du presque mainstream, mais une déglingue sous-jacente. Je crois que c'est cette lecture à plusieurs niveaux qui est intéressante dans ce disque, comme pour celui de James Blake d'ailleurs tu as raison, ou même des XX (n'allons pas plus loin). The Weeknd apportent quelques pistes non pas nouvelles mais récentes, suffisamment soignées pour être retenues par une poignée d'artistes à moyen–terme.  Si je résume: deux albums du mois entre électronica, dubstep et minimale, sélectionnés par des enfants du rock, pas pour faire semblant, mais vraiment parce que cela nous plaît. 2011, nouveau débat: le rock est–il de nouveau mort, sacrifié ou tout simplement, encore une fois, épuisé? A suivre…























 Pierre: J'ai reçu tout récemment le nouvel EP de Mi Ami: DOLPHINS (cover ci–dessus). C'est un groupe que j'aime beaucoup et qui a sorti deux très bons premiers albums. A ce que j'ai compris, un des membres du groupe (qui est à la base un trio) s'est barré et les deux musiciens restant en ont profité pour faire prendre un  virage… électronique à Mi Ami, à grands coups de sampler et de synthés. Si cette nouvelle formule est parfois un peu maladroite ou trop facile, DOLPHINS déploie quand même 4 titres au dessus du lot. On retrouve les éléments qui font le style de Mi Ami, cette voix en forme de gémissement agressif, ces rythmes déments,  les longues plages répétitives et intenses. Mais tout ça est passé au tamis électro. Attention, ici pas question de sons clairs ou froids. On a plutôt l'impression d'entendre un groupe underground se servant d'appareils trouvés dans la rue et rafistoler vite fait. Hard Up en est l'exemple parfait. Une tuerie que Mi Ami auraient presque dû raccourcir pour en faire Le tube du genre. Les trois autres titres lorgnent du côté des dix minutes et sont plus proches du travail passé du groupe, c'est-à-dire toujours aussi bons. Dolphins part sur des rythmiques en vrille aux sons de synthés malades ("Wild Child"), tandis que Echo se repose sur un beat simple, qui sera prétexte à toute les explorations possibles sous les auspices d'un chant tout bonnement incroyable d'intensité.

Julien: je retiens vraiment "Sunrise" sur ce EP, avec aussi pour ma part une grande surprise de retrouver ce groupe sous ce jour. "Hard Up" est pas franchement éloingé de PiL ou de l'esprit des Happy Mondays, là aussi un groupe qui jouait en longueur(s), morceau à remixer au plus vite pour vraiment faire vrombir les pistes de danses. Pierre, je sais pas, ces 5 minutes tiennent la route, la basse y prend son pieds, nos pattes aussi. A suivre pour un nouveau LP?
























Julien: dans le registre grand pop, il ne faut pas louper la sortie du nouveau Lykke Li, WOUNDED RHYMES, sorti sur son propre label, LL Recordings (cover ci–desus). Li Lykke Timotej Zachrisson avait quasi tout rafflé en 2008 avec YOUTH NOVELS; c'était pas mal, un peu trop rose–bonbon (re: oui je n'ai pas trouvé mieux), mais franchement meilleur que la soupe normale, c'est–à–dire beaucoup de monde, Kate Nash en tête. Deuxième LP donc, qu'on dit plus tribal parce qu'il y a quelques percus du sud. Et elle a appris à paufiner ses ballades, à l'instar de "Love Out of Lust", pas si loin de Fever Ray, l'ecclésiastique en moins, ou du très folk cul–terreux "Unrequited Love" (il fallait oser les chœurs, la dame a presque combiné du Fleet Foxes avec du Supremes). Sweden is better peut–on lire parfois chez les critiques musicaux. Pas faux (facile aussi: la pratique d'un instrument étant intégrée au programme primaire à l'école, ça aide). "Get Some" lancera le débat sur ce fameux terme tribal, on se contentera pour notre part de brancher nos lumières sur courant alternatif. Brillant (cette basse!).

Pierre: Beaucoup moins tribal mais peut-être tout aussi grand pop, le premier album de Micachu and the Shapes, sorti en 2009, m'avait bluffé. En cette fin du mois de mars, sort de façon assez inattendue un second LP: CHOPPED AND SCREWED. L'espoir de retrouver la pop aussi raffinée que d'apparence simple est d'amblée déçue. Ce second album est en effet tiré d'un live réalisé avec la London Sinfonietta, orchestre de musique contemporaine. Le résultat est tout sauf mauvais mais la vérité, c'est qu'on s'y ennuie un peu. Bien sûr, dans ce plat pays, les rares sommets touchent au grandiose, notamment la très réussie "Everything". Il n'empêche qu'on regrette que Micachu and the Shapes soit passé aussi vite du petit con génial de "Golden Phone" aux vieux con talentueux mais un peu rasoir de CHOPPED AND SCREWED. Mais ce projet n'est qu'anecdotique, un véritable nouvel album de Micachu étant attendu pour la fin de l'année. Vivement.

Julien:  l'importateur Musikvertrieb nous a récemment envoyé l'album de The Pains of Being Pure at Heart, BELONGS. Chose curieuse, j'ai toujours vu ce groupe comme une de ces fameuses curiosités à ne pouvoir cartonner que dans un pays (ici, l'Allemagne). Peut–être cartonnent–ils tout simplement, surtout auprès de la catégorie éternels ados, ou plutôt éternels emos. L'éponyme "Belong" tourne sur notre platine et, effectivement, on a notre lyrisme, nos grosses guitares, nos chœurs, le tout dans un maxi–pack pas franchement déplaisant. Avec "Heaven's Gonna Happen Now", on les signe direct en première partie de Teenage Fanclub ou des Pastels. Ya de l'idée et de la belle finition. Après, on s'amuse un peu plus sur n'importe quel tube pop des Cure / Smiths. A noter aussi le très Modern Lovers "The Body" ou le luxuriant "My Terrible Friend", vraiment terrifiant. Donc, du moyennement très bon, du très bien appliqué, de la légèreté, de la bonne volonté, mais franchement, bon, oui, n'a–t–on pas mieux avec un bon best–of des années 80, registre new–cold–post–punk–noise–wave? A voir… Attention, je dis cela en ayant sous les yeux le nouvel album des Wild Beasts (à paraître mi–mai), écouté une bonne vingtaine de fois, une véritable bombe. Oui, ce groupe est merveilleux et va nous faire une belle leçon d'optimisation de pop des années…80. Si si.

Disques du mois
Pierre: The Weeknd, HOUSE OF BALLOONS
Julien: Robag Wruhme, THORA VUKK

Singles du mois
Pierre: Mi Ami, "Hard Up"
           The Strokes, "Machu Picchu"
Julien: Lykke Li, "Get Some"


Et ce dont on n'a pas pu parler ce mois:

R.E.M., Collapse Into Now [Warner Bros.]
Elbow, Build a Rocket Boys! [Polydor]
Wye Oak, Civilian [Merge]
J Mascis, Several Shades of Why [Sub Pop]
The Joy Formidable, The Big Roar [Canvasback/Atlantic]
Keren Ann, 101 [Blue Note]

Obits, Moody, Standard and Poor [Sub Pop]
Peter Bjorn and John, Gimme Some [StarTime International]
Wolf + Lamb vs. Soul Clap, DJ-Kicks [!K7]
The Dø, Both Ways Open Jaws [Cinq 7]
Howe Gelb, Alegrías [Fire/Konkurrent]
Noah and The Whale, Last Night On Earth [Coop/V2]


A dans 30 jours donc! 
























A venir le mois prochain: 

King Creosote & Jon Hopkins, Diamond Mine [Domino]
Surfer Blood: I'm Not Ready EP [Kanine]
Jeremy Jay: Dream Diary [K]

Lake: Giving & Receiving [K]
Kode9 & the Spaceape: Black Sun [Hyperdub]
Fleet Foxes: TBA [Sub Pop]
The Kills, Blood Pressures [Pias]
TV On the Radio, Nine Types of Light [Interscope]
Panda Bear, Tomboy [Paw Tracks]
Alela Diane, Alela Diane & Wild Divine [Rough Trade/Konkurrent]


La vidéo du mois: Woodkid, "Iron"