Illustration: Giom |
Un an qu’on attendait de se retrouver à Kilbi. A nouveau seul délégué pour couvrir tout le festival pour Think Tank, avec en plus une année de plus dans les jambes, au prix de quelques moments de ramasse, j’avais de nouveau signé pour la formule complète : camping, alimentation invariée et rythme de vie malade. Comme l’an dernier, Kilbi part très fort avec peut-être sa meilleure soirée et des groupes très attendus comme Beach House, Lower Dens ou Oneothrix Point Never.
Passée l’émotion des retrouvailles, on se réjouit d’abord d’une météo clémente. La quechua nous implose dans les mains, le camp se construit avec au centre un espace libre pour tiser et manger des chocoly. Le festival comporte toujours trois scènes et assister à tous les concerts devient un défi impossible qui implique de ne pas prendre de pause repas et le don d’ubiquité. Malgré la générosité de l’offre, le festival, en limitant intelligemment le nombre de places vendues, garde sa dimension agréable. Les bières sont déjà bien au chaud dans les tentes, tout est prêt, allez c’est parti pour trois jours de Kilbi.
La crème du jour
Cette année, une des priorités que je m’étais fixé consistait à danser tous les soirs. Et secouer la nuque, cela ne compte évidemment pas. Pour le premier soir, il aura fallu attendre la toute fin de soirée mais que ce fut bien avec Clark. Un concert qui confirmait d’emblée la capacité hallucinante de la grande scène du Kilbi à se transformer en dancefloor. Le son est imposant, le fait qu’il n’y ait qu’une personne entourée de machines ne pose ici aucun problème, le public n’a aucun doute qu’il s’agisse de « vraie » musique et danse en toute confiance. Normal quand officie un membre de l’écurie Warp. Le set est structuré avec une intelligence folle, mêlant passage bien techno et nappes bruitistes. C’est exactement ce qu’on demande : une musique qui soit à la fois évidemment dansante et diablement composée. Les montées sont jouissives sans être putassières, les mélodies s’entrechoquent sans jamais produire le moindre dérangement. Clark adapte parfaitement ses compositions de house triturée en un format live plus accrocheur. Le public en redemande et c’est sans effort que tout le monde danse jusqu’à passé 2 heures. Qui de secouer son popotin, qui de dessiner des halos autour des gens autour de soi, tout passe dans un festival où l’embrouille ne se rencontre jamais.
La déception du jour
J’attendais beaucoup du concert d’Oneothrix Point Never, surtout après l’excellent REPLICA sorti l’an dernier et utilisant des nombreux samples de publicité des années 80. Le problème, c’est que ce concert s’adapte très mal au format festival. Les synthés ont beau être lo-fi, ils sont beaucoup trop étouffés et le tout ne sort avec aucune puissance. Le son semble être tombé du côté drone absolu de la force, oubliant de s’ouvrir et d’apporter la dose de fun, pourtant présente sur album. Rien à faire, impossible de rentrer dans ce concert pas assez lumineux, d’autant plus que les visuels présentant des sortes de logo pour t-shirt Ibiza modélisé en 3d et tournant dans tous les sens donnent juste envie de s’enfuir, tant ils me donnent l’impression de sombrer dans un mauvais bad trip. Quand un peu plus loin grésille la cigarette du repos, le piano de "Replica" résonne. Le regret est alors encore plus fort, tant j’aurai souhaité un concert prenant, qui se serait permis de bouleverser voire même de délirer avec Oneothrix Point Never osant des incartades du côté de son autre projet, Ford & Lopatin.
La découverte du jour
Comme c’est le soir où je connaissais à la base le plus d’artistes, pas facile de dénicher une surprise. Par défaut, ce sera donc Emika. Pas un grand concert, surtout qu’il était programmé tôt. Si la musique ne jouit pas de la plus grande finesse, ce fut drôle de se sentir en plein après-midi comme dans un club à 4h du matin. Emika envoie de la grosse basse. Du dubstep dans sa version la plus électro-pop. Sûrement qu’il doit exister des dizaines de réplique d’Emika à Berlin, il n’empêche qu’elle m’aura presque fait danser à 20h. C’est déjà pas mal.
Le tour du monde
Ce jeudi soir, c’est surtout du côté de la grande scène que cela se passait. Vite fait mentionnons la seule performance non mentionnée de la seconde scène : la projection du film Earth de Ho Tzu Nyen avec une musique live de Aki Onda. S’il y a quelque chose d’impressionnant et presque d’admirable d’oser programmer un truc aussi expérimental, de plus sur une scène de grande taille et en plein milieu de soirée, il faut admettre que l’expérience se vit dans un ennui difficilement camouflé. Revenons en arrière avec le premier concert auquel j’ai assisté lors de ce Kilbi. Le moins que l’on puise dire, c’est que c’est parti très très fort avec Lower Dens, un des concerts les plus attendus de cette édition. Il répondit largement aux attentes : le groupe hypnotise par sa maîtrise d’un son tout en stridence de glace, malgré le soleil qui brille autour. Alors que les groupes à guitare actuels déçoivent presque toujours, Lower Dens tapent très fort avec des mélodies aussi dense que stupéfiante, une sorte de New Wave plus sombre et plus écrite, de la dream pop en mieux, maintenant la beauté des compositions sous un voile de brume. La chanteuse varie les registres et la qualité de NOOTRONICS se trouve plus que confirmée, avec "Brains" qui restera une des meilleures chansons entendues lors de cette édition du Kilbi. Malheureusement le niveau ne se maintient pas et le concert suivant sur la grande scène restera comme le truc le plus ennuyeux que j’ai entendu lors de ce festival. Les Kings of Convenience n’aurait pas pu mieux choisir leur nom et même en se concentrant sur le délice d’un fallafel, je ne peux pas ne pas entendre le cri de désespoir de mes oreilles face à ces grattements de guitare insipides que des faux détours du côté de Whitest Boy Alive tentent en vain de rehausser. De la beauté et de la mélancolie, au contraire, se sont déversés en avalanche du concert de Beach House. En trois albums, le duo s’est imposé comme les maitres absolus de la dream pop, laissant ses imitateurs à distance. Cette maitrise sonne de manière encore plus impressionnante en live : tout est magnifique et la voix de la chanteuse bouleverse. Mais face à un concert aussi cristallin, on ressent comme un effet Moonrise Kingdom : tout est si mignon, maitrisé à la perfection, que l’enchainement de titres tous aussi beaux finit par désincarner la Beach House. Restent pourtant sans aucun doute la fulgurance de certaines chansons, en particulier les bijoux de TEEN DREAM. Dans un registre beaucoup moins éthéré, le dj set de Kalabrese repoussa la fatigue du premier soir jusqu’à faire danser tout le monde tard dans le Bad Bonn avec notamment les délires italo disco de Ali Love. Enfin pour ceux qui s’en souviennent le lendemain.