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12 janvier 2012

A DANGEROUS METHOD : Cronenberg passe de l'ombre à la lumière

Photographie: Julien Gremaud

Long-métrage tiré de la pièce de théâtre de Christopher Hampton (scénariste pour le film) qui elle-même découle du roman de John Kerr, A Most Dangerous Method, la dernière réalisation de David Cronenberg met en scène les débuts de la psychanalyse ainsi que la relation qu’ont entretenue le docteur Jung et Freud au début du XXe siècle.

Il est amusant de voir le virage qu’a pris l’œuvre de Cronenberg dans les années 2000. Depuis A History Of Violence (2005) et Les Promesses de l’Ombre (Eastern Promises, 2007), le réalisateur canadien prend de plus en plus d’envergure et de hauteur sur son sujet. Il étudie ses moindres mouvements de caméra et construction de cadres, raconte des histoires délicates et embarrassantes se présentant comme l’une des figures les plus passionnantes du cinéma américain d’aujourd’hui. En 2005, il choisit Viggo Mortensen pour interpréter le rôle principal de son thriller. Le courant passe, la magie surgit : le film est une petite merveille, l’un des coups de maître de Cronenberg. Depuis A History, Cronenberg délaisse un peu ses thèmes d’antan : la recherche du double (Dead Riners, 1988), la transfiguration de l’être (The Naked Lunch, 1991) ou des corps (The Fly, 1986) et sa vision de la frontière du réel et du rêve s’estompe quelque peu (eXistenZ, 1999). On pourrait alors parler d’un embourgeoisement dû à une carrière prolifique et à une œuvre originale marquée par un style. Mais ce « style », cette patte cronenbergienne, est utilisée d’une toute autre manière dans son dernier film, où la blancheur – extrêmement présente – exprime l’envie de montrer dans un cadre cliniquement travaillé, un réalisme pur et vierge.


Avec une histoire mettant en scène Freud, Jung et cette jeune patiente souffrant d’hystérie, l’ensemble formait un sujet parfait pour Cronenberg : tordu, pervers et cérébral. Au lieu de nous montrer des scènes choquantes bien connues de l’œuvre du Canadien, A Dangerous Method prend le parti du spectacle intellectuel brut, une sorte de pièce filmée, qu’il faut sûrement voir deux ou trois fois pour y déceler les petites richesses que compte le film. Passé de l'ombre à la lumière n'est peut-être pas finalement ce qui réussit le mieux au Canadien puisqu'on ressort de la projection ébloui mais un brin déçu, baigné d’un sentiment de frustration. Le long-métrage garde un rythme tranquille, helvétique, bercé par les escapades maritimes sur le lac de Zürich et la correspondance épistolaire pesante des deux docteurs. Mortensen est bon mais sans plus (rien à voir avec son rôle brillant dans A History of Violence). Les prouesses de l’actrice Keira Knightley, qui déboîte sa mâchoire inférieure lorsqu’elle tombe dans des crises d’angoisse, dérange sans vraiment impressionner. C’est alors le jeu coupé aux rasoirs de Fassebender qui surpasse les deux autres rôles. Bien que impeccable dans sa réalisation, le problème du film réside dans sa volonté de vouloir en faire un spectacle intellectuelle malheureusement avorté dans son obstination à vouloir tout cacher. Les spectateurs qui connaissent le travail de Freud sauront tout de lui et ne seront sûrement pas d’accord avec la moitié du film ; à l’opposé, ceux qui ne connaissent pas les théories du docteur autrichien ne vont pas tout comprendre à l’histoire. Ce qu’avait admirablement réussi à faire Cronenberg avec A History of Violence s’essouffle dans son dernier métrage, qui à force de vouloir prendre le parti d’une ligne claire, du côté de l’intelligence, tombe dans les méandres du jeu épistolaire mielleux et inintéressant. L’Europe qui perd l’esprit et qui se dirige vers la guerre en métaphore finale nous laisse un peu sur notre faim, regrettant de n’avoir pas assez pris de foies gras en entrée. En effet, le premier quart d’heure du film est tellement bon que la suite a du mal à suivre, s’emmêlant dans un mélodrame parfois grandiose (les scènes de bateau) mais souvent endormant (les discussions sans fin entre les deux docteurs, les ellipses temporelles trop fréquentes).

A Dangerous Method de David Cronenberg (UK, Canada, Allemagne, Suisse), 2011
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