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22 avril 2011

TT Trip : tankart à la capitale

Illustration: "Edible Artificial Girls (Mi-Mi Chan)" de Makoto AIda
Entre les concerts, il y a des journées. Et dans ces journées, il y a des musées. Deux expositions donnent deux métaphores de l’artiste : un cochon pour l’exposition Tous Cannibales à la Maison Rouge, un caniche pour le trio General Idea au musée d’art moderne.

Peu en forme après une nuit agitée, le choix de pénétrer dans l’exposition Tous cannibales, c’est un peu comme le kebab. Soit ca te sauve de ta gueule de bois, soit ca casse. Souvent conquis par l’originalité des expositions présentées à la Maison Rouge (je pense notamment à Warhol TV en 2009), j’étais sur que c’était la première option qui serait de mise. C’est donc parti pour une exposition sur le cannibalisme dans l’art, presque exclusivement contemporain, seules quelques gravures de Goya et d’autres du XVème siècle sortant du XXème siècle. Tout commence avec un tapis rouge, tapisserie réalisée à partir de charcuterie par Wim Delvoye, artiste chez qui la figure du cochon est associée à celle de l’homme, les deux partageant la même chair. Chair ! On touche là à la véritable question du cannibalisme : l’appréhension violente par l’homme de sa propre chair. On ne peut faire mieux ici que de citer Jacques Lacan : « Il y a une horrible découverte, celle de la chair qu’on ne voit jamais, le fond des choses, l’envers de la face, du visage, les secreta par excellence, la chair dont tout sort, au plus profond même du mystère, la chair en tant qu’elle est souffrante, qu’elle est informe, que sa forme par soi-même est quelque chose qui provoque l’angoisse. Vision d’angoisse, dernière révélation du Tu es ceci. » L’exposition de la Maison Rouge réussit à faire exploser la chair et à en explorer toutes les dimensions, dans des créations parfois très dures, parfois drôles, presque toujours fascinantes. Que ce soit l’horreur délicate de parties du corps transformées en gâteau de Phillipe Mayaux ou de mets comestibles à l’apparence de femmes de Makoto Aida, la souffrance affreuse du sang et des organes qui transpercent le sol chez Adriana Varejo, la cruauté terrible des toiles de Jerôme Zonder, l’horreur cauchemardesque du corps pétrifié ou pourrissant ou encore la magie associée au cannibalisme, tout y passe. Face à tant d’œuvres autour d’un thème aussi dur, on ressort retourné et un peu dégouté mais franchement subjugué. L’exploration des mystères de notre propre matérialité ne se fait pas sans quelques haut-le-cœur.


On change de registre avec General Idea au musée d’art moderne de la ville de Paris. Derrière ce nom de collectif, il s’agit en fait d’un trio d’artistes canadiens fondé en 1969. Ce qui impressionne dans cette exposition, c’est la capacité qu’a eu le trio de développer tout le long de leur travail une œuvre cohérente travaillant autour de différents thèmes, avec au premier plan celui du glamour. Celui-ci s’incarne à travers la figure du caniche, lui-même allégorie de l’artiste. Vous l’aurez compris, avec General Idea, on ne se situe pas tout à fait au niveau du premier degré. Le glamour est en même temps utilisé pour ce qu’il a de jouissif, de beau mais aussi dans ce qu’il a de ridicule. Ce détournement d’un univers pour en faire ressortir les côtés risibles, les gars de General Idea le font comme il faut, c’est-à-dire en mêlant plaisir performatif et sérieux de la posture et du discours. Dans toutes leurs œuvres, on retrouve les mêmes slogans et une forme de discipline de pensée autour des thèmes, comme l’art, la communication de masse ou encore la sexualité. Et à chaque fois, ces mêmes œuvres font hyper plaisir : organisation d’un concours de Miss General Idea, invention d’un Pavillon Miss General Idea qui n’a jamais existé mais dont des faux vestiges seront créés, avec comme emblèmes des caniches et des verres à cocktail. Si certaines œuvres ont un peu vieillies, on est étonné par la capacité de la plupart à fonctionner encore aujourd’hui. Par exemple, la conception d’une boutique du Pavillon de Miss General Idea présente différents objets manufacturés par le trio, qu’un public fictif pourrait acheter pour un prix modique. Ce thème paraît même en avance sur son temps, tant aujourd’hui il n’existe presque plus de musée où on ne puisse (doive) pas se procurer je ne sais quelle carte postale, miniature ou sac pour être bien sûr d’avoir un souvenir matériel de l’investissement culturel qu’on a fait en allant visiter une exposition. General Idea excelle dans l’art du détournement subversif. Ceci se vérifiera dans une œuvre puissante et plus tardive du trio. Alors que deux de ses membres sont atteints du Sida dont ils mourront quelques années plus tard, ils ont l’idée de détourner la forme d’une image pop, le LOVE de Robert Indiana, pour la réécrire en AIDS. Le trio utilise ainsi la puissance d’une forme connue et appréciée pour opérer un rapprochement entre les mots aids et love. A un moment où le sida est encore perçu de manière très négative et homophobe, ils opèrent une repositivation de la maladie en l’associant à l’amour et surtout en montrant que le sida n’est rien d’autre qu’un fruit noir de l’amour.

L’exposition Tous Cannibales dure jusqu’au 15 mai 2011, General Idea jusqu’au 30 avril.