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21 avril 2011

Musik Tank : DEERHOOF VS. EVIL

Photo: Ryan Slack / TT
Comme souvent dans notre petit pays, les meilleurs évènements ont lieu en même temps. Ce week-end, alors que Electron va faire danser une « horde sauvage » sur Genève, l’Impetus Festival se déplace à Lausanne et propose quelques noms très intéressants avec notamment un groupe que la petite équipe de TT vous déconseille fortement de rater : Deerhoof. Un groupe si unique et particulier qu’ils auraient d'ailleurs très bien pu être programmé à Electron. Mais c'est le Romandie qui a la chance de les accueillir ce samedi (23 avril) et le détour pour découvrir leur dernier album en vaudra à coup sûr la chandelle.

Deerhoof contre le Mal. C’est le titre de ce qui devrait à peu près être le 11e album du groupe après une existence d’une bonne grosse douzaine d’années. Et oui, Deerhoof n’est pas né de la dernière pluie et ce groupe de San Francisco après avoir ouvert autant pour Malkmus, Sonic Youth et Radiohead, en a chié dur pour en arriver jusqu’ici. Il faut dire aussi qu’ils n’ont pas choisi la voie de la facilité à en voir les membres du groupe qui ressemblent à une bande de doctorants universitaires trop intelligents pour passer dans la vie active. Et la comparaison n’est pas poussée puisqu’il s’agit justement d’étudiants en composition à l’Oberlin Conservatory of Music. De la formation initiale, il ne reste plus que Greg Saunier. On peut dire aussi que John Dieterich fait partie des meubles puisqu’il a rejoint le groupe en 2002, lorsque sort Reveille le premier album réussi du groupe. Donc ces mecs, trop concentrés sur leurs instruments, leurs effets et la structure de leur chanson, se sont mis à réfléchir (longuement avec des dictionnaires antiques et des traités de mathématique) pour se dire qu’il leur fallait une belle gueule pour porter leur séminaire sur scène. Ils ont alors dégoté une charmante japonaise fraîchement débarquée de Tokyo à San Francisco pour étudier le cinéma. De l’étude, des cordes, un batteur génial (qui a probablement le jeu de batterie le plus intéressant du XXI siècle), du café, des graines, des répétitions et un zeste de Japon ; mélangez le tout et vous obtenez Deerhoof.

Donc, Deerhoof se bat contre le Mal. Faut-il vraiment essayer de comprendre ? Parce quand on observe la pochette, on a pas envie de fouiller plus loin tant elle ressemble à un groupe qui essaye de reprendre les thèmes musicaux des plus mauvais films de vampires des années 80. La galette, par contre, c’est autre chose. Comment ne pas dire qu’il y a de l’inventivité ? Comment ne pas dire « Ah super ce passage là quand ils font ce truc bizarre » ? Comment ne pas taper du pied sur « The Merry Barracks » ? Comment ne pas sourire pendant le superbe « No One Asked to Dance » ? Chanson sur laquelle il est impossible de danser. Par contre, volontiers que j’irai me déhancher sur « Super Duper Rescue Heads ! » : on se croirait lancé au beau milieu d’un Tokyo déjanté et surréel. « Let’s Dance the Jet » nous confirme la volonté première des lutins. Car finalement, si Deerhoof est fabriqué par des intellos de la musique, leur seul but semble bien simple et universel : faire danser, encore et toujours. Et une fois de plus, après les étonnants THE RUNNERS FOU (2005) ou OFFEND MAGGIE (2008), Deerhoof nous embarque dans une univers de rébellion, perturbant et féerique, dans lequel il faut « casser les fenêtres » et voir « la lune s’évader dans l’ombre ». L'ensemble est parfaitement harmonisé et n'importe quels sons ressort avec une justesse et une délicatesse surprenante. Le son général du disque est vraiment bluffant et Dieu sait que ça ne doit pas être facile de produire ce grand bordel symphonique !

Il semble donc bien qu'on tienne entre les mains un majestueux bric-à-brac scintillant qui paraît compliqué mais qui se focalise à simplement plaire et amuser. Impossible à aimer à sa première écoute, DEERHOOF VS EVIL est un album étonnant et imposant, qui s’affirme au fil des écoutes entre guitares flamenco, wah-wah, en japonais ou catalan avec refrains bucoliques (« I Did Crimes For You ») et surprises pop détraquées : « Secret Mobilization », « Hey I Can ». En fait, ce disque est à l’image de sa pochette : ça a l’air immonde, mais quand on l’ouvre, c’est beau. Très beau. Dansant, intelligent et puissant. Et en plus, il paraît qu'en concert, c'est complètement fou. Alors à samedi !