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03 mars 2011

TANKINO : TRUE GRIT

Illustration : Saïnath Bovay
Adapté du roman de Charles Portis et déjà porté à l’écran par Henry Hathaway en 1969 avec John Wayne, True Grit permet aux talentueux frères Coen de croquer à pleines dents dans un genre qui peut leur sied à merveille : le western. Avec ses règles strictes, son ambiance unique, ses lieux cultes et ses récits tantôt austères, tantôt loufoques, il est un genre qui semblait fait pour réunir les nombreuses qualités des cinéastes frangins. Quid ?

Il faut se l’avouer : le synopsis et la bande-annonce ne cassaient pas des briques. Si ce n’est la (très bonne) utilisation de God’s Gonna Cut You Down de Johnny Cash qui monte tranquillement en puissance, le teaser nous montre une gamine partie à la chasse à l’homme aidée par deux lascars à éperons. Honnêtement, l’histoire d’une fillette de 14 ans plongée dans un monde de brutes alcoolisées et fort habiles du colt pour retrouver son papa tué par un méchant, relève de la comptine pour enfants et c’était à se demander ce que les Coen allaient chercher dans cette adaptation peu originale. Mais bon, on y va, car c’est les Coen ! Une autre raison ? Le retour de Jeff Bridges filmé par ceux qui ont fait de lui, il y a treize ans, l’un des meilleurs personnages coeniens : « the dude » dans The Big Lebowski. Comme attendu, la trame du film est plutôt simpliste. Après avoir réussi à décider le Marshal (Jeff Bridges), Mattie Ross (Halee Steinfeld – assez justement nominée aux Oscars) part en territoire indien accompagné du Marshal et d’un Texas ranger incarné par Matt Damon. Après quelques fusillades, de règlements de compte entre le ranger et le Marshal, de mini suspenses et de très beaux plans larges, l’histoire s’accélère vers l’heure et demie avec une très belle scène de duel à cheval ainsi qu’un dénouement attendu. Et c’est tout. Mais bon, c’est les Coen.

Pourtant, comme prévenu plus haut, le western avait tout pour laisser exploser l’immense talent des Coen. On avait pu en avoir un certain aperçu dans No Country For Old Men (classifié par certains de « western moderne ») qui fut une réussite totale (leur meilleur film ?). True Grit – qui veut dire « avoir du cran » ou « vrai courage » pour les Québécois – réutilise le thème de la « chasse à l’homme », sauf qu’ici la tension dramaturgique, si présente dans No Country…, n’effleure jamais vraiment le spectateur. L’histoire a franchement de la peine à décoller, et l’humour (pourtant la « patte » des Coen, si merveilleux dans le très sous-estimé A Serious Man) est très faible. Alors quand les deux meilleures armes des deux réalisateurs manquent, que reste-t-il pour ne pas renier ce film ? Serait-ce la musique, avec le complice de longue date des Coen, Carter Burwell qui, il est vrai, par moments, illumine le film ? Seraient-ce ces plans larges grandioses, où les frangins retrouvent le plaisir des scènes tournées sous la neige (retour à Fargo) ? Ou serait-ce alors un conte qu’il faut aller chercher derrière ce film déguisé en un western : la petite fille, la traversée de la rivière, un ours sur un cheval, un médecin, un fou, un pendu au milieu d’une forêt lugubre, un rodéo macabre, la gamine qui se retrouve au fond d’un trou (Alice n’est pas loin) près des morts… C’est vrai que le conte est une autre arme puissante des Coen (le mythologico-comique O’Brother). Le film bascule vers un autre niveau quand le Marshal Cogburn traverse cette nuit surréelle emmenant Mattie blessée sur le poney noir qu’elle avait acheté au début du film, ce poney noir qui devient alors cheval impérial pour son ultime voyage, avant que Cogburn porte Mattie dans ses bras. Ici on touche à du grand Coen. Mais c’est malheureusement un peu tard puisque le film se termine juste après.

Un joli film, bien sûr, un casting classe (on est déçu de voir le peu de temps accordé à Josh Brolin qui est excellent) et une histoire touchante à la manière de The Barber (Coen, 2001), sans rebondissements et sans réels éclats de génie, chose à laquelle les Coen nous avait habitués. Cette tranquille et agréable ambiance, qui n’énerve pas, qui ne transcende pas, mais qui fait mouche (plus gros succès commercial des Coen au box-office américain, dix nominations aux Oscars – dont celles du meilleur réalisateur et meilleur film – mais n’en reçoit aucune) a peut-être son explication au générique de fin. On y retrouve un certain Steven Spielberg en producteur délégué du film (celui qui peut être à l’initiative du projet), grand réalisateur, certes, mais de plus en plus conventionnel et normalisé. Deux termes qui peuvent convenir à True Grit : un film qui n’a ironiquement pas vraiment de cran. Mais bon, c’est les Coen, et on leur pardonnera.