Photo: Julien Gremaud |
Partagée. C’est l’impression que donne le dernier film de David O. Russell, The Fighter, qui met en scène deux frères boxeurs, l’aîné (Christian Bale), devenu l’entraîneur du cadet (Mark Wahlberg), entourés d’une famille de sept sœurs, d’une mère autoproclamée manager et de deux pères coach-entraîneurs soumis. Une histoire de famille en somme. Tiré d’une histoire vraie (soupir…), The Fighter est un long-métrage difficile à cerner : dernier des « films à Oscars » à sortir, le film balance entre réalisme tendu et farce grinçante destinée à plaire et réunir les grandes familles. Un film à problèmes; dissection.
La genèse du film est amusante à rappeler. En 2007, Mark Wahlberg approche Scorsese qui refuse de tourner un second film de boxe (pour ceux qui ne l'ont pas vu, le magnifique Raging Bull de 1980). La boîte de production demande alors à Darren Aronofsky de réaliser l’objet et en 2008, Christian Bale remplace Brad Pitt dans le rôle de l’aîné de deux frères. Mais Aronofsky s’intéresse au remake de Robocop et délaisse le projet pour réaliser Black Swan. Alors, à la manière de leur recherche d’un manager dans le film, les deux acteurs (Wahlberg étant devenu producteur du film) se tournent vers David O. Russell pour la réalisation. Celui-ci accepte, mais Aronofsky tient à rester proche du projet en tant que réalisateur exécutif.
D’ailleurs, la patte Aronofsky est saisissable dès les premiers plans du film : caméra à l’épaule, on suit l’acteur sans jamais lui passer devant, on maintient un réalisme brut et esthétique. Car le film débute sur les chapeaux de roue (le générique d’ouverture est un des meilleurs depuis longtemps) et les quarante-cinq premières minutes sont franchement excellentes, guidées par un très grand Christian Bale, transformé ici en boxeur qui « a connu des hauts spectaculaires et des bas dramatiques » selon ses propres termes. Dans ce rôle, on ne peut s’empêcher d’y voir encore le spectre du magnifique The Machinist (2005) où l’acteur avait perdu vingt-huit kilos pour jouer le rôle, avant de se transformer en chauve-souris volante pour le Batman de Nolan la même année. Bale interprète donc un gars attiré par les extrêmes – la boxe, la gloire, le crack. Et le film nous le montre très bien : après une nuit passée dans une maison de junkies, la mère de Dicky vient le chercher pour qu’il aille entraîner son petit frère. Dicky angoisse, se ressaisit, complètement shooté, saute de la chambre du troisième, atterrit dans une benne à ordures, et se met à courir à toute vitesse dans cette pauvre et industrielle ville de Lowell pour rejoindre la salle de sport. Le rythme est soutenu, entre cool attitude et tension petit à petit mises en place : Micky perd un nouveau combat, il a la possibilité d’aller s’entraîner à Vegas, il rencontre une fille au pub du coin, sa vie peut basculer et il peut s’entourer de personnes vraiment sérieuses pour tenter de percer. Alors le film s’emBale : la famille et ses sept sœurs se hissent contre Charlene, la nouvelle copine de Micky, Dicky va un peu trop loin dans ses dérapages et se fait coffrer, son petit frère veut le défendre, les flics lui cassent la main, une scission naît, le chaos s’installe et le film bascule.
Alors qu’on aurait espéré qu’un combat fraternel prenne le relais pour la seconde moitié du film, qu’une sorte de Caïn et Abel des temps modernes nous surprenne, c’est une suite conventionnelle que le spectateur subit. Le film se coince dans une normalisation sécurisante et amorphe, où on ne sait plus si c’est la dure réalité du début qui tient le fil rouge, ou si c’est la performance de Christian Bale dans un rôle mi-gros loufoque cracké, mi-génie de la boxe je-m’en-foutiste. Les clichés sont très présents. Tantôt pour le bon (les sept sœurs, l’indéfinissable Dicky) tantôt pour le mauvais : le frère qui revient et qui rassemble la famille, la boxe contre le crack, la victoire au bout du compte. Tout semble si simple. Mais ne l’oubliez pas, c’est basé sur une histoire vraie, ce qui est bien rappelé deux fois dans le film : au début et au générique de fin avec la présence des deux protagonistes en personne accoudés au bar, qui remercient Hollywood, d’avoir tourné un film sur leur histoire.
Ces deux frères habitent toujours à Lowell et ont, paraît-il, bien aidé à l’élaboration du film. En les voyant au générique de fin, on comprend peut-être mieux le côté parfois déraillé du film, burlesque, et à la cool. Mais ça n’excuse pas tout. The Wrestler avait réussi à nous faire croire à une réalité fausse, mais The Fighter échoue à nous faire croire à une histoire vraie. Tout est là, tout est dans la volonté d’utiliser désespérément des faits réels. Mais le rêve est bien plus beau que la réalité. The Fighter est un bon film de performances (Bale fait penser à un Jim Carey malade et grave par moments, c’est assez frappant), et le jeu de Mark Wahlberg permet de réévaluer cet acteur. Scorsese aussi, avec Raging Bull, avait pris le pari de raconter des faits réels au cinéma, sous le masque de la biographie. La différence ? Raging Bull est dirigé vers la défaite alors que The Fighter se conclut vers la victoire. C’est peut-être ce qui a déterminé le refus de Scorsese à tourner The Fighter : faire un bon film d’une victoire n’est pas très difficile, mais réussir à faire un chef d’œuvre d’une défaite est bien plus surprenant.