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24 mars 2011

MAINGROUND ET UNDERSTREAM

Photo: Julien Gremaud
Difficile de parler de culture sans utiliser les mots de mainstream et underground. Pourtant, avec la mort du disque, les triomphes de groupes dits "indé" ou encore la fin des chapelles musicales, on sent bien qu’on ne sait plus vraiment ce que ces mots veulent dire. Penchons-nous un peu sur les lisières, ces lieux de rencontre de ces prétendus mainstream et underground.

Est-ce que Britney Spears, c’est du mainstream, alors que presque plus personne ne l’écoute ? Est-ce que Animal Collective est underground, alors qu’ils remplissent les salles et qu’il est de bon ton de l’avoir sur son iPod ? Vampire Weekend est censé être un groupe indé, mais ils atteignent facilement la place numéro n°1 des charts américains, ce que nombre de groupes immenses du début des années 2000 n’ont jamais réussi. Je pense notamment aux Strokes et autres White Stripes. Bref entre l’état de décomposition de plus en plus avancé de l’industrie du disque et la place de plus en plus importante de groupes encore confidentiels quelques années auparavant, la séparation stricte entre mainstream et underground a fini par se fissurer. Et c’est tant mieux. Quand des chapelles s’effondrent, on ne peut que s’en réjouir. Aujourd’hui, ils sont de moins en moins nombreux les puristes snobinards qui n’écoutent que des groupes secrets sans jamais succomber aux sirènes de la pop, et la bonne musique a un public de plus en plus large. Au fond, cette séparation n’a jamais été totale, mainstream et underground se nourrissant réciproquement l’un de l’autre. Que ce soit Marx ou Negri, de nombreux penseurs ont montré comment le capital ne peut engendrer de lui-même des nouveautés révolutionnaires, cette créativité est toujours le fait de relations humaines hors du circuit de l’accumulation du capital. Le capital doit donc aller se nourrir dans ces laboratoires de créativités que représente au niveau musical l’underground. Le nombre d’exemples est ici sans fin et s’inscrit dans le mouvement incessant du monde musical qui voit des sous-genres passés du confidentiel branché à la hype mainstream pour finir dans une beaufitude désespérante. Le dernier exemple en date est bien évidemment le single de Britney Spears et sa production Dubstep (genre d’ailleurs décrit comme mainstream par James Yuill lors d’une récente interview à Think Tank). Voir un style musical passer aussi vite du sud crasseux de Londres à un clip plein de marques dans une version au mieux édulcorée, voir carrément nulle, a quelque chose de fascinant et reste un moteur constant de l’évolution musicale. Les milieux alternatifs voyant leurs créations récupérées par la soupe mainstream sont bien obligés de trouver quelque chose de nouveau. Le sujet est loin d’être clos et d’autres pistes sont évidemment à traiter.


Le mouvement en sens inverse est celui qui voit des artistes underground utiliser le son mainstream dans leur musique. Parfois, cette stratégie peut mener au succès, les exemples les plus connus étant la transformation disco réussie de Blondie ou ZZ Top. D’autres fois, on assiste à des reprises de tube par des groupes moins connus dans des versions pince sans rire à vrai dire sans assez d’intérêt pour qu’on en donne un exemple ici. Et il y a enfin les remixes raffinés, déstructurés, malades ou monstrueux. Aujourd’hui, plein de petits malins s’y collent de façon plus ou moins réussie. Non pas des remixes pour des faces B de single officiel, mais du véritable vol à l’étalage, du sabotage, suçant l’énergie mainstream pour la recracher sous une forme pour le moins non commercial. En voici 4 exemples actuels, les faire connaître étant au fond le véritable but de cet article. Commençons par les très prolifiques Elite Gymnastics, qui ont réussi successivement à sortir un très bon album de chillwave (REAL FRIENDS), deux titres de dance délurée (PARACHUTE) et un improbable EP de chillslow entre the Cure et Blackbird Blackbird. Sur leur joli site, au milieu des pixels et des compils super, on trouve désormais leur dernier EP (GIZZARD GREENS VOL.2) avec deux bombes. D’abord, "GΛGΛ", qui sample donc Lady Gaga, pour en faire une chanson brumeuse et c’est à travers ce voile qu’on décerne finalement de l’émotion dans la voix de la chanteuse. Mais là, où Elite Gymnastics envoient du lourd, c’est dans leur vampirisation de Waka Floka Flame sur "WΛKΛ". Au flot profond et claquant du rappeur américain, ils osent ajouter un sample de dance bien nineties. Le résultat, un missile jouissif au possible, taillé pour le dancefloor, une sorte de cocktail parfait de tous les plaisirs coupables sur lesquels il est impossible de ne pas danser. Attention, ça gicle !


Dans un genre plus raffiné et moins dancefloor, il y a Die Neue Mythologen. A leur tableau de chasse, encore peu de prise, mais déjà de quoi se rassasier. A toute seigneure, tout honneur, tout a commencé avec Beyonce. Du tube sucré "Sweet Dreams", ces nouveaux mythologues font une magnifique chanson planante, florissante, et aux battements profonds. Ici encore, les remixeurs s’appuient sur la puissance pop de la voix pour produire une chanson reconstruite où l’émotion devient encore plus forte par son côté furtif. R. Kelly subit un ralentissement et son "Number One" perd son côté guimauve pour se retrouver tout retourné quelque part entre l’hyperdub et le r’n’b voicodé. Sur le site de la formation, on trouve également un remix plus dansant de Missy Elliott mais aussi du plus pointu avec Spiritualized et Deutsch-Afrikanische Freundschat. Que du bon. Ah ouais et tout ça c’est gratuit, comme chez Elite Gymnastics d’ailleurs.


Pour finir, je citerai deux titres, certes bien moins talentueux que les deux projets précédents. D’abord la reprise par Blissed Out, qu’on a connu meilleur, du titre pas si mal mais qui a fini par bien nous gaver, "Empire State of Mind" de Jay Z et Alicia Keys. La seule fois, où j’ai fait écouter cette version à quelqu’un, on m’a répondu que c’était horrible. Et la vérité, c’est que c’est assez juste. Mais, au fond, c’est ce côté horrible qui est jubilatoire. Voir passer un tel tube léché à travers un filtre pour le moins barré, mêlant transe, sons lugubres et voix grésillantes, ça procure un certain plaisir. Dans un style moins horrible, Cop Magnet reprend "No Scrubs" de TLC. Ici, ça sature, le tempo tape et la voix ralentie fait bien sûr penser à de là de Witch House de club. Difficile de savoir si c’est le souvenir de la chanson originale qui procure cet effet, mais là encore, il y a un sentiment fascinant de reconnaître un tube pop au possible mais sous une forme défigurée, monstrueuse mais où demeure encore la naïveté de la chanson de base. En bonus, un titre présent sur la compil' de Footwork, BANGS AND WORKS, "All The Things" de Tha Pope, où en à peine plus de une minute trente, on retrouve ce mélange de sons malades citant des voix les plus pop du R’n’B américain. Enjoy !